Patayaga

clothilde

Le matin du départ j’avais été interviewée sur la situation à Patayaga. Je m’étais appliquée à légitimer, à grand renfort d’exemples historiques, la bataille de la liberté contre la tyrannie. J’étais désormais arrivée sur le sol de Patayaga après avoir survolé la terre africaine pendant de longues heures.

Alors que les autres membres de mon équipe de presse se délestaient de leurs affaires et de leur fatigue dans nos chambres, je décidais d’échapper à leur vigilance pour aller prendre le pouls de cette ville inconnue. Le pays était dangereux mais le quartier était sécurisé et je brulais d’envie de sortir voir ce que je ne connaissais pas encore.

Je descendis l’escalier de pierre et d’acajou en regardant les murs décrépis, vestiges abîmés de la colonisation. La dernière marche donnait sur une petite entrée ombragée, dans laquelle se découpait un large rectangle éclatant que j’allais bientôt franchir pour aller vers l’inconnu.

Mon pied se posa sur le sol de terre rouge qui crépitait au soleil. J’étais dans une torpeur émerveillée, si caractéristique des tous premiers instants de découverte après un long voyage et trop de fatigue accumulée. Ma veste de reporter kaki me pesait sur les épaules comme ce trop long périple, mais mon pas était léger, comme guidé par un appel irrésistible. Je foulais la poussière ocre de cette grande rue sans trottoir, mon corps vibrait de cette chaleur sèche, mes sens tentaient de déchiffrer le langage étrange de cette ville, le soleil brulant, le goût suave de l’air, la clameur brouillonne qui résonnait derrière les murs de ce quartier calme. La rue était pourtant déserte et je continuais mon ascension, le cœur ouvert, extatique et plein d’un sentiment que seuls pouvaient comprendre les grands explorateurs me semblait-il. Perdue dans cette nébuleuse d’impressions, je sentis soudain mon attention appelée en amont de la rue.

A distance, une milice d’hommes et de femmes étaient en faction. Je n’ai rien vu distinctement que ces deux yeux verts striés de jaunes me transperçant et le canon d’un fusil visant dans ma direction. Je sentis plus que je n’entendis le sifflement d’une balle qui vint s’écraser non loin de moi. Je me retournai incrédule pour voir qui était visé mais la rue était toujours déserte. Je compris le danger au deuxième coup de feu et me mis à courir vers l’hôtel alors que d’autres balles éclaboussaient ma course de poussière. Je quittais la route par instinct pour rentrer sur une sorte de chantier protégé par une palissade de tôle grossière. Les travaux avaient rendu la terre boueuse et la bourbe aspirait mes pas, mais les balles tonnaient à présent sur la tôle avec moins de régularité. Des cris, des ordres confus avaient fait place au feu. Un petit garçon en haillon surgit de nulle part avec une grosse pierre à la main. Le danger m’apparut jusque dans son innocence et j’évitais le projectile. Par chance ou grâce au repérage inconscient que j’avais fait à l’aller, le chantier s’ouvrait de nouveau à son extrémité; la faction était loin et le garçon n’avait pas rattrapé ma course désespérée. Je m’engouffrai dans l’immeuble et montai jusqu’à notre refuge plus vite qu’il ne me fallut de temps pour m’en rendre compte.     

Quand j’eus repris mes esprits la première question qui me vint fut : pourquoi. Je n’obtins que des explications confuses. On accusa mes cheveux longs et libres, mes ongles rouges vermillon, mes vêtements d’hommes camouflant mal un corps de femme… J’étais une figure de l’occident, doublée d’une figure de femme libre.

Liberté.

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