Patrimoine sensoriel
blanzat
Voilà un outil supplémentaire pour détruire ce qui ne nous appartient pas.
L'esprit affiché de cette loi est de protéger les propriétaires d'animaux ruraux d'éventuels procès pour nuisances : en clair, qu'un citadin ne puisse plus obtenir d'un tribunal qu'on coupe la tête du coq trop matutinal. Et c'est très bien. Il est absurde de venir vivre à la campagne et ne pas accepter certains aspects de celle-ci : bruits, odeurs, insectes, oui, ça en fait partie. Foutez la paix à ce coq !
Une petite loi pour faire plaisir aux provinciaux qui ne voient les « Parisiens » (comme ils les appellent) que comme des pince-nez qui ne connaissent rien au monde rural. À ce titre, le Parisien n'existe pas davantage que le Paysan. Ce sont des images faciles : il y a longtemps que les Parisiens sont majoritairement des banlieusards, et que les enfants de Paysans font leurs études à Paris.
Toutefois, je ne peux m'empêcher de reprendre les éléments déjà développés dans mon article de mars 2019 sur le paysage, et constater qu'une offensive juridique entame une fois de plus la protection de l'environnement. On empêche les procès pour nuisances, mais on ne fait rien pour éviter de décréter le nuisible. On brouille les pistes, le sénateur défenseur du texte, Pierre-Antoine Levi, déclare qu'il s'agit « d'inscrire explicitement dans le code de l'environnement les sons et odeurs qui caractérisent les espaces naturels. »
Que défend ce texte ? Les espaces agricoles, non les espaces naturels. La nature, ce n'est pas l'agriculture. L'agriculteur qui s'autoproclame garant de cette nature ment. Il est garant de son propre monde.
Au nom du patrimoine sensoriel ainsi légitimé, il serait possible de se dresser contre un ré-ensauvagement des espaces naturels. On pourrait faire prévaloir des cris d'abattoirs sur le chant des oiseaux, parce que ça fait partie du folklore ! Le thème rejoint celui de la tradition : à partir du moment où un paysan a connu depuis toujours un monde d'épandages de produits phytosanitaires, d'écobuage, de pâturages et de bâtiments de perpétuation de l'exploitation animale, cela deviendrait intouchable. Encore une législation d'us et coutumes. Vous la sentez ? Cette bonne odeur de végétaux brûlés ? C'est du patrimoine. Vous les voyez ? Ces belles bétaillères où l'on entasse les bestiaux ? C'est du patrimoine. Vous les entendez ? Les joyeux coups de feu dans les champs et ce qui reste de forêts ? C'est du patrimoine.
Il y a bien deux mouvements contradictoires qui s'opposent, et ce n'est pas une bataille ville/campagne, ou citadins/ruraux. Le véritable enjeu, plus grave, est ce partage au sein même de ces territoires entre l'homme et la nature. Il faudrait peut-être l'inscrire dans la loi, si l'on refuse d'ouvrir un dictionnaire : une ferme n'est pas une forêt, une vache n'est pas un chevreuil, la chasse n'est pas un maillon de la chaîne alimentaire. Les défenseurs de l'environnement ne sont pas des Parisiens, mais des personnes concernées, partout, et souvent habitants « natifs » de ces territoires. Il n'y a pas que des agriculteurs en campagne.
Il faut sortir des polémiques de comptoir et constater les dégâts : l'élevage est le premier facteur du réchauffement climatique, l'extension de l'activité agricole réduit les habitats des animaux sauvages. Il y a de plus en plus d'animaux domestiques et de moins en moins de faune sauvage. Cette érosion est constatée, documentée, vérifiée, mais on préfère préserver le chant du coq. En prenant du recul sur ces querelles de voisinage, il conviendrait de mettre à égalité l'étalement urbain, l'artificialisation des sols par les lotissements et surfaces commerciales, mais aussi les activités agricoles les plus néfastes (élevages, cultures intensives et consommatrices de produits phytosanitaires).
Une vraie loi protectrice renverrait dans le même camp Parisiens et Paysans, et les mettrait face à leurs manquements face à l'environnement. Parisiens et Paysans roulent dans les mêmes véhicules de plus en plus gros et de plus en plus hauts, comme s'ils voulaient mettre le plus de distance possible entre eux et le reste du monde. Car les agriculteurs agissent contre la nature, c'est dans l'essence même de leur activité. En renforçant juridiquement l'image que l'agriculture a d'elle-même, on confirme la primauté du domestique sur le sauvage. Une vraie loi protectrice interdirait à un paysan de tuer l'animal qu'il appelle nuisible. Elle lui interdirait d'entretenir une situation artificielle de gibiers de chasse. Elle lui interdirait de décider seul de porter atteinte au bien commun. Voilà ce qu'une loi doit défendre : le bien commun. Ceux qui votent ces lois doivent être désintéressés. Ce n'est pas le cas des sénateurs, dont la clientèle est constituée de ce monde agricole lobbyiste. Pas d'angélisme sur les campagnes, pas de diabolisation des néo-ruraux. Comme le Parisien, le Paysan poursuit son propre intérêt.
Le patrimoine sensoriel n'a rien de sacré, il n'est en rien justifié, il peut disparaître. On manque l'essentiel : le problème n'est pas le chant du coq, mais la présence même du coq, des poules et de toute la nation des douleurs. Quel patrimoine est-ce là ? La vue et l'ouïe de la souffrance ? Ça n'a rien de sacré.
Je réponds d'avance aux réparties faciles du type : sissate-plèpa-taka-aller vouère ailleurs. Où est cet ailleurs ? Vous avez déjà rempli tout l'espace. J'étouffe.
Faut, l'Espace est grand et vide ! Le problème, c'est qu'on ne sait pas comment y aller pour le pourrir ! :o))
· Il y a presque 4 ans ·Hervé Lénervé
Je plussoie. Ce qui est triste, c'est que je ne suis pas sur que sur WLW ce coup de gueule (assez amorti) fasse beaucoup d'écho...Entamons une réflexion sur "le sauvage" et ses implications libérales ou régulées.
· Il y a presque 4 ans ·Ceci dit, "le Paysan poursuit son propre intérêt" est - à mon avis -pas toujours vérifié, loin de là.
Les agriculteurs, oui ; les paysans, non, pas toujours !
Cf Revue socialter.fr
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Gabriel Meunier