Peut-on ne pas aimer Birdman ?

Clémentine Garnier

« Tu en as pensé quoi, toi ? » Après le visionnage de Birdman en compagnie de 800 autres Parisiens, mieux valait poser la question en premier pour éviter de se sentir con tout seul.

Auréolé de récompenses, précédé par la réputation d'Iñarritu, Birdman se présente comme le chef d'oeuvre de 2015. Et pourtant… Regards en coin, réponses évasives : dans les escaliers menant au grand air, le public était bien embarrassé par ce qu'il venait de voir.

Amusée par une bande-annonce qui suggère un audacieux mélange des genres, je m'installe et attends le moment où le théâtre et les clichés des super-héros vont se mélanger dans un joyeux bordel pour casser les codes. Après le premier plan séquence de dix minutes, je tremble d'admiration, le souffle coupé par la lumière magnifique et l'impression d'évoluer dans l'atmosphère poussiéreuse du théâtre de Broadway où se déroule l'action.

Au bout d'une heure, le 25e plan séquence avec des gros plans indiscrets sur le visage des comédiens finit par me donner la nausée, le huis-clos de l'intrigue, la lenteur des dialogues et ses répétitions m'étouffent, et je regarde ma montre en me demandant si quelque chose d'inattendu va sortir de tout cela. Pendant encore une heure, le film s'enfonce dans les effets de manche du réalisateur et propose des séquences presque gênantes pour les comédiens.

Sans doute suis-je passée à côté du génie de Birdman. Mais hormis les prouesses de jeu nécessitées par les prouesses techniques d'un film construit en plans séquences, j'ai eu le sentiment d'être prise en otage par un Hollywood qui se regarde le nombril en prétendant critiquer les dangers de la célébrité.

La-fille-droguée-qui-sort-de-rehab-et-en-veut-à-son-papa-égocentrique, le-has-been-à-la-recherche-de-la-crédibilité-artistique, le-couple-divorcé-encore-amoureux, la-critique-mal-baisée-très-méchante, le-jeune-acteur-surdoué-insupportable, l'actrice-douée-mais-qui-manque-de-confiance-en-elle-pauvre-choute : Iñarritu crée une galerie complète de personnages à la psyché caricaturale et tristement prévisible. Peut-être était-ce une mise en abyme volontaire des clichés hollywoodiens dans un film qui veut les dénoncer, mais le résultat est d'un ennui profond et tourne en rond.

Birdman s'essaie aussi à la critique des phénomènes viraux et passe à côté faute de les comprendre, avec des dialogues aussi lourds qu'une pub LCL. Le film est parsemé de piques affectueuses à l'égard d'Hollywood : on imagine le jury des Oscars oscillant entre larmes à l'œil « il décrit si bien les tourments de notre difficile métier d'artistes », et le rire « ah ah, bien vue cette petite vanne sur Georges Clooney, on reste en famille ». Au point de se demander si cette flopée d'Oscars n'est pas le résultat d'un narcissisme hollywoodien poussé à son paroxysme.

Pour M. et Mme Michu, en prise avec des problèmes bassement pragmatiques comme « reste-t-il du papier toilettes à la maison », ou « as-tu pensé à prendre rendez-vous pour la révision du Scénic » ?, les tourments dépeints par Iñarritu paraissent bien lointains. Voire vains. Le rythme très lent du film alourdit encore l'addition, et l'on se retrouve à la sortie avec des gens qui répondent « C'était pas mal… mais je suis déçu, je pensais qu'il y aurait plus de scènes avec le super-héros ! »

Contrairement à ce qu'assène Birdman dans le film, tout le monde ne veut pas de l'action et des hélicos qui explosent toutes les cinq minutes : en revanche, le public préfère les surprises à la démonstration technique du talent.

A vous de vous faire votre avis !

PS : Et je ne sais pas vous, mais les grands grands grands grands yeux d'Emma Stone m'ont fait un peu flipper. Vous me direz...

  • Critique intéressante et foutrement bien écrite! J'ai pour le coup moins envie de voir ce film mais j'irai, et je repasserai par ici. J'aime beaucoup la façon dont tu analyses tout en étant assez humble pour te remettre en question. Salutations.

    · Il y a environ 9 ans ·
    220px lautr%c3%a9amont by vallotton

    Bryan V

  • Les gens du cinéma aiment bien en général qu'on parle des gens du cinéma ... et comme ce sont eux qui votent ....
    Déçue également

    · Il y a environ 9 ans ·
    Tyt

    reverrance

  • Bien, j'attendrai donc qu'il passe un dimanche soir sur TF1 dans 2 ou 3 ans.

    · Il y a environ 9 ans ·
    Cp2

    petisaintleu

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