Pierre, Paul et Jacques
Juliette Delprat
Paul m'a invitée à un concert classique. Il utilise souvent ce genre d'apas pour me faire sortir de mon mutisme. Des fois j'ai envie de lui dire que je suis pas un animal qu'on apate avec un morceau de bidoche, mais je suis sûre que l'image lui ferait plaisir, alors je me tais. J'appréhendais de le revoir et surtout je ne voulais pas céder si facilement à notre dernière escarmouche.
C'est Pierre qui m'a présenté Paul au détour d'un vernissage. Paul est peintre, beau et sombre. Pierre est ce qu'on appelle un artiste incompris et inaccompli surtout, mais ca c'est moi qui le dit.
Paul aime les femmes, ou plutôt ils les détestent tellement qu'il s'efforce à aimer leurs corps avec acharnement, avec urgence et avec férocité. Le tout en les malmenant émotionnellement, bien évidemment.
Paul exposait quelques unes de ses toiles ce soir là. J'aime par dessus tout l'art quand il représente la Femme. Il n'y a plus beau sujet que le corps féminin et Paul savait de toute évidence le sublimer de manière déconcertante et provocante. Sa peinture crue et bestiale dévoilait toute les vérités sur la femme; la beauté, la pureté, la perversité et la violence. Je le voyais qui m'observait, les yeux rivés sur ses toiles. Sans même m'adresser la parole il s'en retourna voir Pierre pour lui demander sur un ton cynique si j'accepterais de poser pour lui. Il voulait s'essayer à la peinture d'une fluette, lui qui aimait les rondeurs, les pulpeuses, les vraies femmes. Ce n'est pas tant l'envie de me voir en peinture que celle de me voir dans les yeux de cet homme si détestable et énigmatique qui me poussa à accepter. C'est ainsi que j'ai connu mon premier rendez vous sensuel avec Paul. Le premier d'un grand nombre, toujours plus sulfureux, toujours plus violent. Je découvrais toute ma sensualité, moi la femme frêle dépourvue de rondeurs. Ces apartés ponctuaient ca et là ma relation avec Pierre.
Pierre, je l'ai connu lors une soirée à laquelle je ne devais pas être. Il était seul dans la lumière d'une fenêtre, un soir d'été et un verre à la main. Accaparé par ses pensées, je l'ai surpris en initiant une conversation plus que banale dont nous avons d'ailleurs beaucoup ri par la suite. Notre histoire a été simple et compliquée. Simple car rarement nous avions besoin de parler pour nous comprendre. La plupart du temps je rentrais, tard,dans son appartement comme s'il était mien, il m'avait tendu la clé, dès le premier soir,dans un geste évident. Je me déshabillais, il m'attendait dans son lit immaculé de blanc, un livre et une cigarette à la main et nous faisions l'amour, inlassablement. Sa chambre était dépourvue de meubles. Un matelas posé à même le sol, et deux voilages tout aussi blancs et légers que, souvent, je regardais se balancer à la fenêtre avant de m'endormir. Des piles de livres partout et toujours un air de Django Reinhardt en fond sonore. J'aimais bien rentrer chez Pierre comme ca. J'aimais bien que Pierre entre en moi, parce que c'était la chose la plus naturelle que j'ai jamais faite. Ca m'allait bien. Compliquée car sans doute aurions nous eu intérêt à nous parler, de temps en temps du moins. Un soir, la porte de Pierre ne s'est pas ouverte. Ma clé n'avait plus sa place dans la serrure. Pierre ne supportait plus que Paul ait aussi les clés de mon corps. Alors il m'a arraché les clés de son coeur.
Paul je ne l'aime pas. Je le méprise parfois. Souvent même. Il sait peindre les femmes mais il ne sait pas les aimer. Il est égoiste et seule sa petite personne l'intéresse. Pourtant elle n'est pas très foisonnante sa personne. Une fois que tu as gratté le vernis de sa peinture, c'est le vide intersidéral. Nous avons vite développé le "je te prends je te jette" et en principe nous n'étions jamais raccord. Ce soir, le concert, tout ca, c'était sans nul doute pour me prendre. Ce soir, au concert, Paul m'a présenté Jacques. Jacques le pianiste. Demain matin je me réveillerai dans les bras de Jacques, pour jeter Paul et oublier Pierre.
Cette histoire de clés est attachante...En tant que musicien, Jacques, en plus de la clé de sol, aura-t-il la clé de coeur ? Pas sûr...
· Il y a plus de 11 ans ·Mathieu Jaegert
C'est curieux, j'ai eu l'impression de lire "sur la route" de Jack Kerouac, vu par les yeux du personnage féminin. C'est prometteur. Y a aura t'il une suite, chère Juliette ? Je l'espère.
· Il y a plus de 11 ans ·Un lecteur inassouvi.
valjean