PIQUÉE DE CURIOSITÉ

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Quelle est donc cette curiosité qui me pique ?


- Elle me prend très souvent comme on tombe malade - je me confiai avec ces mots à mon docteur il y a de ça un printemps. Il m'avoua à son tour travailler ardemment à la recherche d'un vaccin contre la curiosité.

Curieuse idée.

Je lui proposai alors sans détour d'être son cobaye, son rat de laboratoire.

Je voulais à tout prix me libérer de cette qualité qui ne m'a jamais fait défaut.

 

De la vie de mon voisin Gontran, à la peinture à séchage rapide sur coquilles d'escargots en passant par les traditions culinaires dans la pornographie, tout excite ma curiosité.

Mon esprit ne se pose jamais, je suis comme possédée par les événements extérieurs.

La nuit je me couche en pensant à l'univers, au mouvement des planètes, à leurs couleurs, au hula-hoop des anneaux qui font danser Saturne, je me demande même comment après tant d'années d'exercice ces corps célestes n'ont pas la taille dessinée des danseuses étoiles.


Je ne trouve que rarement le sommeil, chaque bruit est une invitation.

Mon voisin hausse la voix sur sa femme, un drame se joue-t-il ? Mon ouïe fine se heurte à l'épaisseur de ma cloison et n'arrive à percevoir distinctement les syllabes vociférées par ce mâle en mal d'autorité. Je sors mon kit d'urgence.  Un bol en guise de stéthoscope à la main, je prends le pouls des humeurs bipolaires de Gontran, il crie sur sa femme, elle dépense trop, elle ne l'écoute pas assez. Je veux en savoir plus.

 

Oui c'est ça, je veux toujours en savoir plus, sur tout, sur tout le monde. Je me sens comme perdue, toujours propulsée en avant de moi. Je m'échappe sans cesse de moi-même. Et je crois bien que je ne me connais pas.

 

- Docteur,  piquez-moi ! C'est un ordre. J'aimerais me connaître enfin et vivre paisiblement. Faire les choses parce que je les ressens et non par boulimie de connaissance, je veux faire plus qu'observer, devenir l'actrice  principale du film de ma vie et l'objet d'autres curiosités. Piquez- moi !

- Calmez-vous, posez-vous un instant…

 Êtes-vous sûre que ce n'est pas votre curiosité qui vous guide ? N'êtes vous pas seulement curieuse de savoir ce que cela fait, de ne plus jamais l'être ? Pardonnez-moi pour ces questions, en tant que médecin, je me dois de…

- Docteur,  n'attisez pas plus ma  curiosité !

 

L'aiguille me transperce amoureusement dans un mélange de douleur et d'extase, s'agrippe à mes veines soumises, pénètre lentement dans mon sang affolé et libère son liquide folâtre. La précieuse substance s'inocule en moi, je la sens prendre vie sous ma peau.

Je ferme les yeux quelques secondes comme on attend un miracle.

Je prends une profonde respiration. Relève si délicatement mes paupières qu'elles semblent faire un exercice d'haltérophilie.

 

- comment vous sentez-vous ?

- Apaisée, il me tarde de me découvrir…

Je ne sais vraiment pas comment vous remercier docteur…

- Remerciez-vous. Vous venez de comprendre que la curiosité est incurable.

 

 

 

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