Pisser dans le noir

Caïn Bates

     Ça s'est passé cet hiver. Il faisait vachement froid, en Décembre, si je me souviens bien. Mes parents avaient cassé les chiottes du rez de chaussée en vue d'en reconstruire une plus grande, et, bien sûr, les seules chiottes restantes étaient à l'étage. Bien à côté de leur chambre. Moi, ma chambre, elle était au rez de chaussée, à côté du garage. C'était bien en été, parce que j'avais une porte qui donnait directement vers le jardin, je pouvais donc la laisser ouverte pour profiter du soleil et de la chaleur. Mais en hiver, ça caillait grave.
      Pour en revenir à cette histoire de chiottes, j'avais la flemme de monter pour aller pisser, alors j'allais faire mon affaire dans le jardin, en passant par la porte citée précédemment. Et c'est là que je l'avais vue.

     
      Je pissais tranquillement contre un arbre, la nuit tombée, et comme font souvent les hommes qui pissent dehors, je scrutais l'horizon, par ennui, ou bien pour voir s'il n'y avait pas quelqu'un qui me matait. Et, en l'occurrence, il y en avait bien une. De mon jardin, on pouvait apercevoir les immeubles HLM à côté, et quand j'étais gamin, on pouvait voir un tas de gens par leur fenêtre. Maintenant, on ne peut plus voir grand monde, car l'immeuble est censé être vide. Mais il semblait que ce n'était pas le cas. Par la fenêtre, je pouvais apercevoir une femme, qui me regardait en souriant. Ça m'avait mis très mal à l'aise, du coup j'avais très vite rangé mon engin dans mon caleçon, et j'étais rentré pour finir mon affaire aux toilettes de l'étage.
    Le lendemain, j'étais rentré tard du boulot. C'était une semaine "Sans soleil" pour moi, je partais avant son lever et je rentrais après qu'il se soit couché. Ma flemme n'avait pas changé depuis la veille, alors je suis allé vers mon arbre habituel pour me soulager, j'ai sorti mon attirail, et j'ai commencé à uriner. Je me suis alors souvenu de ma spectatrice d'hier, et j'ai tourné la tête vers les HLM voisins. Et, à ma surprise, elle était encore à la fenêtre, avec le même sourire que la veille.
       Cette fois, je n'ai pas pu tout remballer, car je venais à peine de commencer et je m'étais retenu depuis un moment. alors, je me suis dit "tant pis", et j'ai continué. Je me suis retenu de lui faire des doigts d'honneur au passage, parce que bon, dans l'histoire, c'est moi le crasseux qui va pisser dehors à la vue de tous. Même si cet immeuble est censé être vide, elle est chez elle et c'est à moi de ne pas lui déballer mon pénis sous le nez.
         Après avoir fini mon affaire, je suis parti en lui faisant un signe de la main, comme pour m'excuser. Ça ne s'est pas arrêté là pour autant. Durant la semaine, à chaque fois que je rentrais du boulot, j'allais faire mon petit pipi du soir sur mon arbre, et mon admiratrice était toujours là, avec son sourire. Au bout de quelques jours, j'ai pris ça pour de la drague. Peut être que ce qu'elle voyait lui plaisait. Je me suis donc décidé à aller lui rendre visite, un soir, après être rentré.

         Elle était au troisième étage, et, selon ce que j'avais déduit, son appartement était celui au fond à droite. Comme je le pensais l'immeuble était vide. Finalement arrivé au troisième étage, j'ai rapidement trouvé son appartement. Je suis allé sonner, un peu anxieux, car je ne savais pas quel accueil elle allait me faire. Après tout, peut être que son sourire était moqueur, et qu'elle était là tous les soirs juste pour se foutre de ma gueule. J'ai sonné plusieurs fois, sans réponse. J'allais partir quand j'ai remarqué que sa porte était entrouverte, et qu'une odeur pestilentielle s'échappait de l'appartement. Je suis entré en demandant s'il y avait quelqu'un, et on n'y voyait rien. Seul un rayon de lune  illuminait un petit peu le salon, par la fenêtre de celui ci. C'était la fenêtre par laquelle on apercevait mon jardin. Devant celle ci se balançait quelque chose. Je n'arrivais pas à l'identifier jusqu'à ce que j'allume la lumière. Je n'ai pas pu m'empêcher de crier quand j'ai finalement découvert ce que c'était.
      C'était bien une femme que je voyais par sa fenêtre. Mais elle était morte, et se balançait au bout d'une corde. Son visage était déformé par la douleur, ce qui donnait l'impression qu'elle souriait. J'ai tout de suite contacté la police, qui est arrivé très vite sur les lieux.

     Quelques jours après, j'ai appris que cette femme était la dernière locataire de l'immeuble et que les propriétaires avaient fait pression sur elle pour la jeter dehors, qu'ils avaient réussi. Elle n'avait plus de famille, et on lui avait retiré la garde de ses enfants. Elle allait finir à la rue, et ne voulant pas de cette vie, elle avait mit fin à la sienne. Une triste et sordide histoire.
    Finalement, ma belle inconnue souriante était en fait un cadavre moisissant. Et pour ma part, je n'irai plus jamais pisser dehors.

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