Place des miracles
artengo
Virage droite, puis gauche. Les grilles de fer forgés noires se dressent devant moi, menaçantes. Les murs grondent, rêches sous mes yeux hagards. J’envisage de foncer tout droit; D’ouvrir la porte de square et de me lancer à tout allure dans la diagonale en terre battue. L’orchestre cosmopolite des terrasses voisines percute mes tympans, cuivre de fourchettes et couteaux, percussions des assiettes et choeurs de paroles inaudibles. Ou est-elle?
J’avance, j’avance, J’avance. Les arcanes s’estompent et les galeries défilent, et miroitent des couleurs bariolées, des formes kaléidoscopiques. Je suis ivre de fureur. J’entrevoie des visages critiques, préoccupés, affairés. Mes tempes raisonnent. Je me rehausse. Pointe des pieds. Équilibre. Pourtant. Pourtant j’en suis sûre. Je le sens. Des enfants jouent. Les vieux immobiles s’enracinent auprès des quatres rangés d’arbres arithmétiques. Merde. Merde. Merde...
Derrière un arbre, gracieuse, fébrile, elle se cache. Deux pigeons au ramage poivré glissent légèrement au dessus du gravier éparse, ailes déployés. Une petite fille, au bonnet de laine rouge et noir, frappe le sable de son râteau rouge, puis se fige et attend, immobile, sous le ciel bleu blanc de Paris. Une brise légère gifle ses joues tendres. Attendre, attendre. Le froid strident caresse son cou et balaye ses mèches blondes. A quelques centimètres de sa bouche, se dresse l’arbre puissant. Elle se fond dans l’écorce, n’osant le moindre mouvement. L’arbre résonne dans son abdomène alors que la sève pénètre ses veines délicates. Im-mo-bile.
L’homme pénètre dans le jardin de l'hôtel de Sully. Veste trop ample. jeans détendu. Il inspecte les recoins du jardin. Sur les marches usées, un homme lit. Quelques touristes flannent, inconsistant. Sur ses épaules pèse le regard sombre et réprobateur d’Hugo. Elle n’est pas là. Il fait demi-tour, bouscule quelques passants et revient sur la Place Royale. Il scrute chaque portion d’herbe, surprend des amoureux alanguis, dévisage des mères de famille, et s’attarde sur les corps allongés d'adolescents frondeurs. Rien n’y fait. Rien n’y fait.
C’est alors que l’improbable survint. Au profit d’un rayon de soleil, une chaussure blanche, immobile, miroite sous la statut de Louis XIII. Il se remit en mouvement, tout d’abord lentement, puis plus vite, droit devant, puis décrivant une parabole, félin aux ailes déployés, discret et habile, pour ne pas effrayer sa proie. Six mois déjà qu’il l’observait, la suivait, la désirait. Six mois de ferveur, de paroles fiévreuses, de faux semblant et toujours cette douleur viscérale au creux du ventre. Il perçut au loin les sirènes d’une voiture de police.
Le temps passait. Elle ne le voyait pas. Son coeur lentement, regagnait son rythme normal. Attendre, partir. Puis lentement, inexorablement, elle pivotat, sentit une présence, un trouble puis un tressaillement. Il était là. Juste à quelques mètres.
En deux temps, ses jambes fines et musclées la propulsaient vers l’avant. Elle courue. Sur le sable battu, les bruit et la fureur n’était plus qu’à quelques centimètres d’elle. Elle sentit son souffle, ses muscles, ses mains, ses bras, son buste, trop tard. Cette fois ci, elle ne lui échapperait pas. Elle le savait. Et lui aussi le savait. ils trébuchèrent et tombèrent dans le sable mou, au milieu des enfants, des passants et des feuilles mortes de l’automne tombant. Elle riait, sans arriver réellement à reprendre son souffle. Il la tourna, ferme, l’embrassa et cette fois ci elle se laissa faire. Le monde avait cessé d’exister, et à l’abri des arcanes roses et des toits de tuiles brillants, il oublia la place des Vosges, Paris et le reste du monde. Pendant un instant, éternel, les moitiés communièrent, légères, sous le regard d’Eros, bienveillant et de Victor aux poèmes assouvis.
regard bien veillant que deviendra-t-il ? le sage? Coyote...
· Il y a presque 13 ans ·Pawel Reklewski