Place du Jeu de Balle

Marc Menu

En ce temps-là, le vieux marché était mon île au trésor.

Une fois par semaine, je séchais joyeusement les cours pour m'y consacrer à ce qui est resté un de mes sports favoris, la chasse aux livres oubliés.

On y trouve des pépites, parmi ces livres que plus personne ne lit, ces livres publiés dans la première moitié du vingtième siècle, souvent écrits par des petits maîtres dont on ne sait plus grand chose aujourd'hui…

Ma préférence allait déjà vers la poésie, et aussi vers les livres faisant appel au dialecte bruxellois, que j'ai toujours trouvé savoureux.

Mes explorations devaient d'ailleurs me permettre d'acquérir à bas prix les fondements d'une très sympathique bibliothèque consacrée à la question.

Toutefois, avec les années, seule la poésie de cette époque m'intéresse encore - celle d'Odilon-Jean-Périer, des surréalistes aussi.

Il y avait un autre intérêt à ces matinées de chasse… Certaine vendeuse.

Elle avait de longs cheveux noirs, à l'espagnole, de profonds yeux sombres et un sourire à décorner tous les taureaux de l'Andalousie.

Et, détail qui me troublait au-delà de tout, de longs ongles toujours impeccablement vernis d'un rouge éclatant.

Cette dame vendait des livres et des disques, des cartes postales aussi.

Je passais des heures à genoux devant elle, à farfouiller dans ses caisses, à l'affût du moindre sourire, du moindre mot de connivence ou d'encouragement.

Je rêvais, en lui achetant mes livres, d'engager la conversation, de lui offrir d'aller prendre un verre au café tout proche…

Mais la présence de son mari ne m'en a jamais laissé le loisir.

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