Plagiat
rena-circa-le-blanc
Garry Newman était de ces hommes qui aimaient se rendre intéressants avec les idées des autres tout en faisant croire qu'elles venaient d'eux-mêmes. Il n'avait certes pas eu une enfance rose et pleine de douceur, mais il n'était cependant pas à plaindre non plus.
Très jeune déjà, il savait faire preuve de ruse pour utiliser les gens à son avantage ; Garry était aussi doté d'une imagination débordante, lorsqu'il voulait s'en servir, et lorsque c'était pour son profit. Par exemple, il aimait lire les nouvelles et les romans policiers pour se mettre dans la peau des criminels, et essayer d'imaginer une façon meilleure pour un assassin de cacher des preuves ; il avait compris que dans la vie, il fallait brosser les gens dans le sens du poil. Donc faire ce qu’ils aimaient. Il trouvait qu’écrire était assez simple et ce n’était pas les idées qui avaient le malheur de tomber dans ses oreilles qui manquaient. Il avait ainsi su s’entourer de personnes d’esprit et d’imagination mais toutefois assez stupides pour ne pas prendre mal le fait qu’il arrivait à leur voler leurs idées sans « le faire exprès ».
C’est donc ainsi, entouré de jeunes êtres stupides, rêveurs et naïfs qu’il commença sa vie d’auteur célèbre. Enfin, auteur n’était que la façade, son vrai métier était voleur !
Il avait grandi seul avec son petit frère, puisque son père était parti au pas de course lorsque sa mère avait accouché de lui et que cette dernière était quasiment toujours absente de la maison. Souvent malade, car son organisme maigre et faible avait tendance à attirer les virus, bactéries et autres microbes, il en profitait pour se faire plaindre par ses imbéciles d’amis sur lesquels il pouvait toujours compter. De plus, malgré la maigreur de son corps, il possédait en outre un charme et un regard qui attendrissait les filles qu’il laissait volontiers s’introduire dans son lit sans les aimer. Son esprit était si tordu mais si habile à manipuler les autres qu’il parvenait à tisser des relations de confiance avec n’importe qui, même le plus méfiant des misanthropes, et devenait vite l’ami de tout le monde avec sa gentillesse miséreuse. Lorsqu’il allait à l’école, personne ne le détestait, puisqu’il était gentil avec tout le monde, et les professeurs étaient cléments avec lui car il leur montrait bien qu’il mettait du cœur à l’ouvrage et qu’il méritait les bonnes notes qui allaient avec cette envie de travailler et de bien faire. S’il ne mettait pas ce déodorant crémeux de tendresse, il puait l’orgueil et le mal. Mais les autres ne sentaient pas. Dans un monde d’aveugles, les borgnes sont rois.
Cela s’était un peu gâté lorsqu’il était arrivé en faculté, mais tel un chat retombe sur ses pattes, il savait se raccrocher à toute opportunité qui le sauverait. Il avait remarqué que bien des rêveurs voulaient faire beaucoup de choses mais n’allaient jamais jusqu’au bout ; une de ses rares qualités était que lui, allait au bout de ses idées. Alors il s’attacha gentiment aux jeunes qui voulaient gagner beaucoup d’argent grâce à leur écriture. Mais bon nombre d’entre eux tombaient dans le panneau du gentil compagnon. Il les endormait avec son charme et sa bonté, et les futurs artistes se livraient à lui, comme les livres qu’ils désiraient écrire mais n’y parviendraient jamais, trop timides et mollassons qu’ils étaient tous, comme si lui, le gentil Garry, n’était que leur confident. Il les écoutait, patiemment, enregistrant toutes les informations qui lui sembleraient importantes, afin de pouvoir les réécrire plus tard, en mélangeant cela avec tout ce que les gens aimaient. Il ne faisait pas cela parce qu’il aimait, mais parce que ça valait un pognon fou ; un bon écrivain gagnait bien sa vie.
Et Garry ne voulait pas trimer pour toucher le pain. Il voulait du fric facile et il allait être servi ! Ces petits écrivains n’étaient pas en manque d’idées originales, et le jeune homme savait faire en sorte que cela rentre dans le moule des Harry Potter et des Eragon que tout le monde s’arrachait. Qu’il était bon de jouir de l’avenir destiné aux autres. Il n’avait pas le talent de l’imagination, mais il avait le talent de l’illusion et du vol.
Le petit bonhomme auquel il s’accrochait le plus était sans nul doute celui qui allait devenir sa source de revenus la plus grande. D’ailleurs, il allait devenir sa seule et unique source de revenus. Garry avait fait un tri dans tous ses amis et réservait celui qui avait le monde le plus étrange pour lui sucer toute son inspiration et lui piller toute son imagination pour prendre sa forme et son récit, afin de le tourner à la sauce « tout le monde » et en faire son chef-d’œuvre à lui. Les autres qui se trouvaient sous sa main lui servaient à écrire de petites histoires sans importance, au cas où le grand récit ne rapporterait pas grand-chose.
Ce petit bonhomme s’appelait Zack Spinell. C’était un rêveur. Un de ceux qui pouvait rapporter gros à Garry. Peut-être même le seul, l’unique qui pouvait lui mettre la bouffe dans la gueule ! Zack se confiait plus souvent à Garry que les autres, et racontait plus d’histoires dont il disait toujours qu’il allait faire des livres, des recueils d’histoire. Tintin oui ! Il n’allait rien faire du tout, comme les autres ; toute sa vie, il parlerait de ses rêves sans se rendre compte que la vraie vie allait les lui bouffer. Il lui avait parlé d’un monde étrange, d’un personnage banal à qui il allait arriver quelque chose de tout à fait extraordinaire. Au fur et à mesure de l’histoire, le lecteur se rendrait compte à quel point le personnage était hors du commun, et cela finirait en apothéose dans la fin d’un monde vieux et le commencement d’un nouveau monde, sous la surveillance bienveillante de ce fameux personnage. Stupide petit ignorant du reste du monde, le jeune et pauvre Zack ne se laissa pas influencer par les vrais amis dont il disposait et qui lui disaient de se méfie, de ne pas trop parler de ses récits qui lui sortaient de la tête ; il n’écoutait pas, rigolait au nez de ceux qui lui voulaient du bien, se riait des rares qui se faisaient du souci pour lui.
« Que me fera-t-on ? » demandait-il. « Quelqu’un va venir un jour chez moi me voler mes histoire et les vendre après ? Mais il faudrait encore que ça se vende ! »
A ces mots, Garry gardait toujours le silence, mieux valait ne pas confirmer les soupçons de ses amis, mieux valait les mettre devant le fait accompli. Il se riait déjà de la tête de chacun d’entre eux. Surtout de celle de Zack. Il voyait le visage poupon du garçon se tordre en une grimace remarquable et fondre en larmes comme un marmot ! Cette idée seule le faisait sourire à l’avance.
Doucement, tout doucement, au fur et à mesure que son cher petit protégé racontait son histoire, Garry l’écrivait et l’arrangeait à sa sauce. Il faisait en sorte que cela plaise le plus possible aux gens pour que le livre qu’il publierait en fin de compte se vende plus facilement après. Tout ce que les gens aimaient et qui faisait la fortune des livres, Garry le connaissait. Zack se fichait bien que l’histoire dont il rêvait soit connue et reconnue, mais Garry voulait avant tout se faire du fric, et un max de fric possible. Il n’allait pas se borner à ce que lui dictait sans le savoir l’imbécile qu’il allait plumer de toutes ses richesses oniriques, il voulait mettre tous les avantages d’un bon livre en avant. Il n’aurait plus à travailler ; il achèterait une maison d’édition, histoire de rester dans le domaine de l’écriture, et laisserait faire le travail en se contentant de diriger. Alors à chaque page, il s’appliquait pour faire ressurgir des créatures comme les Nains du Seigneur des Anneaux, des animaux qui parlent de la même façon que ceux qui peuplent le Monde de Narnia, des objets magiques et des êtres doués de sorcellerie tirés de Harry Potter et des Dragons dignes de Eragon. Bien entendu, il respectait et gardait l’esprit féérique et merveilleux de son pigeon bien-aimé. Et c’est en réécrivant cette fabuleuse histoire sortie tout droit de l’imagination de Zack qu’il allait bientôt avoir des sous plein les fouilles. En quelque six cent quatre vingt neuf pages, il raconta l’histoire du personnage de son ami vache-à-lait.
Tandis que Zack ne faisait que commencer à écrire de son côté, Garry achevait de relire et de corriger certains passages de son histoire, et imprima deux chapitres. Puis il les envoya à une trentaine de maisons d’éditions. Il garda le silence sur tout cela, comme le lui dictait sa conscience aussi souillée que lui, et attendit tout simplement qu’on lui réponde.
La première maison d’édition l’appela. Peu importait le nom. Après de multiples éloges à propos de son écriture, de son talent et de son imagination débordante, le président du comité de lecture lui proposa un contrat, mais il devant payer deux mille euros de participation pour la publicité que ferait la maison d’éditions. Le jeune homme dit qu’il devait réfléchir, et qu’un rendez-vous serait le bienvenu. Le président accepta.
Ils se rencontrèrent quelques jours plus tard et à peine eurent-ils le temps de prendre un café que Garry attaqua. Il était direct pour ce genre de choses. Si la maison d’édition lui faisait vraiment confiance, elle n’avait qu’à tout financer. Cela ne serait pas trop difficile, et puis sinon, il s’était trompé de maison d’édition. Le coup porté était bas, Garry savait que les futurs lecteurs de ce futur roman se l’arracheraient des mains, et que le marché du livre n’attendait que lui pour repartir plus haut encore qu’il ne l’avait jamais fait.
L’homme qui lui avait proposé le marché lui annonça à la fin de l’entretient rapide qu’il devrait parler au directeur de la maison d’éditions pour savoir s’il pouvait être possible de tout financer mais Garry savait dores et déjà qu’il allait rappeler le soir même ; et bien qu’il n’eut pas de don pour la divination, ce qu’il pensait fut réalité. Le directeur de la maison d’édition lui-même l’appela sur son téléphone portable, lui annonçant qu’il avait toute sa confiance car il avait déjà lu les deux premiers chapitres et donnait son accord pour que la maison d’édition paye absolument toutes les charges. Garry recevrait 40% de la recette et il n’aurait qu’à proposer ce qu’il voulait, ce serait fait. Après tout, pourquoi ne pas essayer ?
Garry demanda à rencontrer plusieurs personnes pour s’occuper des dessins représentant son histoire, et les détails qu’avait dévoilés le pauvre Zack lui donnaient une idée parfaite des personnages et des créatures, ainsi que du monde en lui-même. Il en rencontra des dizaines. Mais une personne en particulier lui arriva au cœur et parvint à atteindre le niveau qu’il espérait. Cette personne, c’était Suzann Blaker. Elle était grande, brune, s’habillait avec chic et goût et portait un parfum des plus exquis. De plus, elle dessinait merveilleusement bien et ses représentations étaient parfaitement celles qu’attendait le jeune homme. Garry voulait mettre ce corps dans son lit et ce nom dans son histoire. Pendant des jours et des jours, il la séduisit. Puis au bout de deux semaines, elle tomba dans le piège. Elle croyait au grand amour et Garry avait fait tellement qu’elle croyait aussi naïvement que l’homme, qui ne voulait en réalité que son corps et son talent, voulait aussi son cœur. Mais Garry n’était jamais tombé amoureux, et cela n’arriverait sans doute jamais de son vivant.
Les jours passèrent, le livre sortit. Garry avait trouvé un pseudonyme pour sa personnalité, afin de voir Zack se morfondre et le consoler tout en se riant de lui à l’intérieur. Les moutons qui formaient le peuple furent si enchantés de voir un livre écrit ainsi qu’il devint le livre le plus acheté avant même la bible et la redoute. On l’aimait, on l’idolâtrait. Ne serait-ce que pour faire bon genre, même les gens qui ne l’aimaient pas voulaient l’acheter. Zack était sans doute le seul à ne pas l’avoir acheté.
La force des choses voulait que la Justice n’existât pas pour le pauvre ancien-futur-écrivain ruiné et dépossédé de toutes ses richesses intérieures. Tandis que Suzann, enfermée dans une bêtise indolente et invisible, s’imaginait encore dans un conte de fée, Zack se croyait dans un cauchemar. Il restait enfermé dans son appartement à pleurer comme une fillette éperdue d’amour pour un garçon mort et enterré. Mais cette espèce de malédiction sordide et tragique dans laquelle il l’avait enfermé l’avait conduit à avoir pitié de lui ; et ce sentiment eut raison de lui.
Parfois, il allait le voir dans le but officiel de le consoler, mais il se moquait en réalité des états d’âmes de sa pauvre petite créature en peine qui ne pouvait se faire encore à l’idée que quelqu’un avait bien pu voler son idée, son monde, ses personnages chéris qu’il avait créés avec amour, ses bébés. Pour lui, cela avait une valeur purement sentimentale, tout cela voulait dire quelque chose de terriblement important à ses yeux. Pour Garry, toute cette histoire qu’il n’avait lui-même pad compris à certains endroits, voulait seulement dire qu’il avait gagné le jackpot.
Puis un jour, la pitié l’ayant emporté sur la moquerie, le voleur invita son pigeon chez lui. La pitié n’était pas en réalité le seul et unique sentiment qui allait le perdre définitivement, mais aussi la fierté, voire l’orgueil qu’il éprouvait et qui se trouvait renforcé par cette terrible victoire sur le reste du monde. En effet, emporté dans cette arrogance, le pillard sans cœur avait laissé quelques indices sur son méfait qui avait détruit une vie. Bien entendu, il avait demandé à Suzann de ne rien dire à propos du livre à Zack, prétextant tout simplement que son ami ne pouvait supporter de parler de ce livre, sans raison apparente. La femme, docile, accepta d’obéir à la requête sans broncher et le soir arriva.
Ensemble, tous trois burent un verre et la vigilance de Garry se trouvait altérée parce que de toute façon, il avait gagné la guerre. Suzann tant dans la cuisine en train d’achever de préparer le repas, Garry pria Zack de l’excuser et sortit quelques instants de la salle à manger. Il alla s’approcher de Suzann et lui frôla la côte. Elle se retourna avec un sourire aussi beau que son regard et ils s’embrassèrent ; puis il l’entraîna vers la chambre qu’ils occupaient tous deux lorsqu’elle venait le voir.
Comme le temps commençait à se faire long de son côté, Zack se permit d’aller visiter son appartement. Il parcourut le long couloir et vit de la lumière dans une pièce ; il poussa doucement la porte, qui était déjà ouverte, et entra alors dans ce qui semblait être le bureau. Sur tous les murs étaient cloués des dizaines de dessins représentant avec une étrange ressemblance toutes les créatures qu’il avait imaginées. Eparpillées sur le sol de la pièce, tout un tas de feuilles écrites à la main qui relataient certains passages que le jeune homme connaissait bien ; derrière l’écran d’ordinateur de celui qu’il avait toujours pris pour son meilleur ami, un document Word ouvert sur la fin de l’histoire en question qu’il avait mis tant de cœur à écrire lui-même et qu’on lui avait pillée. Et à ses côtés, un journal. Un agenda.
Sans réfléchir, il le prit et l’ouvrit ; la première chose qu’il regarda fut une feuille qui tomba mollement au moment où il l’ouvrit ; c’était une liste de noms et prénoms barrés. Seul le sien ne l’était pas. A chaque jour de l’agenda, d’autres passages de l’histoire qu’il avait imaginée.
A la page qui convenait avec le jour où le livre était sorti, un mot :
« Dieu, je ne crois pas en toi mais en ce jour, je te remercie sincèrement de m’avoir donné une présence d’esprit si grande que j’ai pu gagner tout ce que j’ai à présent sans faire le moindre effort pour avoir su truander comme un renard ce petit rongeur misérable »
Zack comprit tout : ce mot ajouté à la liste de noms, à l’ordinateur allumé, aux notes brouillons sur le sol et aux dessins sur les murs ne laissaient aucun doute. Son sang ne fit qu’un tour dans ses veines, ses yeux se voilèrent de larmes, ses mains tremblèrent et il eut envie de vomir. Mais cela s’estompa bien vite pour laisser seule la rage le guider. Garry lui avait volé sa vie entière en volant son monde, en s’appropriant ses peuples, en emportant ses personnages, en dérobant et modifiant son histoire.
Il sortit en silence du bureau, se dirigea vers la cuisine, y entra, vit les deux concubins en pleine conversation sur des choses spécifiquement sexuelles. Puis il frappa.
Suzann avait toujours cru, à cause de cet esprit encore enfantin et doux qu’elle avait, à l’amour et au prince charmant. Et elle croyait dur comme fer que Garry était le sien. Elle voulait avoir trois enfants : deux garçons et une fille, qu’elle appellerait respectivement Jules, Karl et Mathilda.
Le premier serait ingénieur, le second, photographe professionnel ou comédien, et la dernière ferait le même métier que son père, écrivain. Cependant, il y avait deux choses que Suzann, bien qu’elle y eut pensé comme tout le monde, n’avait jamais pu prévoir : la première chose était qu’elle n’aurait jamais d’enfant, même si elle avait vécu, de Garry ; déjà parce qu’elle allait mourir, ensuite parce qu’il n’allait pas survivre non plus ; la seconde était qu’elle ne savait même pas qu’il ne l’aimait que pour son petit postérieur, ses seins bien formés et ses dessins qui rapportaient gros. De par ces deux choses qu’elle ignorait, elle mourut heureuse, songeant jusqu’au dernier instant qu’il l’aimait comme elle l’aimait et que tous deux ne seraient jamais séparés, même dans la mort.
Garry ne faisait plus attention à ce qu’il faisait dans son bureau. Au début, la paranoïa l’emportant, il fermait tout à clé, n’emportait rien avec lui, n’invitait jamais son pigeon chez lui pour être certain de ne pas lui donner d’indice de ce qu’il trafiquait en douce dans son dos. Mais ce jour-là, il était tellement heureux de savoir que jusqu’à la fin de ses jours, il était assuré de ne pas manquer d’argent, qu’il avait tout oublié. Le matin, il avait oublié de dire bonjour à Suzann au réveil, d’appeler la maison d’édition, sa secrétaire avec laquelle d’ailleurs, il trompait sa compagne, son attaché de presse et même sa mère. L’après-midi, il avait oublié de se rendre en ville pour acheter du sucre et du café tout en savourant la folie des gens. Et le soir, il avait oublié qu’il avait invité Zack à manger chez lui, par conséquent, il avait aussi oubli de demander à Suzann d’aller voir une amie à elle pour qu’elle ne parle pas du livre au jeune homme, mais il ne pouvait faire autrement que de la laisser avec eux alors il sortit son plan B : trouver un prétexte bidon pour faire en sorte que la femme ne fasse pas la moindre allusion au roman à sa marionnette qui était, selon lui, dépressive.
Lui non plus ne sentit presque rien lorsque la lame, qui venait de transpercer le corps de celle qui avait partagé l’histoire qu’il avait dérobée ainsi que ses nuits, celle à qui il venait encore une fois de faire l’amour sans penser à leur histoire, puisque pour lui, il n’y en avait pas, il ne sentit rien donc lorsque cette lame aiguisée lui rentra dans le dos. Il aurait bien pu avoir le temps de se retourner et d’ouvrir la bouche dans un élan qui disait « Je vais tout t’expliquer » mais il ne put rien faire de plus.
Lui aussi mourut heureux. Heureux d’avoir gagné tant d’argent, heureux de voir Zack malheureux. Heureux d’avoir si bien réussi sa vie à l’insu de celle des autres.
Zack n’avait jamais été regardé. C’était un garçon qui se voulait différent mais qui était pourtant banal. Il suivait malgré lui une mode qu’il n’aimait pas ou donnait lui-même le ton car dès qu’il se lançait dans un mouvement étrange qu’il avait cru créer de toutes pièces, il se trouvait que cela finissait souvent par exister chez les autres. Un jour, il voulait porter un chapeau australien et le lendemain, tout le monde en avait un. Peureux, sensible, timide et cérébral, il réfléchissait même lorsqu’il était couché (et c’est d’ailleurs pour cela qu’il dormait très peu) et rêvait les yeux ouverts.
Il voulait voyager, il voulait écrire, il voulait savoir, comprendre, apprendre. Mais ce qu’il voulait surtout, c’était donner la chance à ses personnages de vivre des aventures que lui ne pourrait jamais vivre. Il aurait aussi aimé que les gens lisent son histoire la plus longue, qu’il était à peine en train de commencer à écrire, et qu’ils s’évadent de la vie quotidienne qui les tenait enfermés. Ce soir-là, il changea sa chemise, qu’il jeta ensuite dans la poubelle de la cuisine, entre les mares de sang, contre celle de ce sale type qui l’avait trompé depuis le début ; puis il sortit en ville, acheta un livre et s’en retourna dans la campagne. Il savait où aller sans être vu. Au beau milieu d’une petite forêt non loin de l’appartement de son ancien ami se trouvait un cabanon abandonné dont la particularité était son toit plat. Il monta donc jusqu’au toit, s’assit au bord avec un crayon, des feuilles, le livre et le couteau. Il commença à lire l’histoire, à raturer certains passages et à réécrire sur d’autres feuilles, qu’il calait ensuite aux pages qui leur correspondaient. Cela dura jusqu’à l’aube.
Alors que le soleil se levait à peine, nageant à travers la brume qui ondulait encore dans l’air, le jeune homme arrêta enfin d’écrire. Il avait fait une mauvaise chose, mais il l’avait réparé en en faisant une bonne. De toute façon, quelqu’un le trouverait bien là, un jour. Alors il descendit, prit un gros roc, remonta sur le toit avec, posa le roc sur son livre à lui, s’allongea à côtés et tint son couteau d’une main nostalgique. Il regarda quelques instants le soleil rouge qui montait tout doucement dans le ciel. Il sourit, il pleura. Puis il fit glisser la lame de couteau sur son cou et se vida de son sang. Il mourut heureux comme les deux autres imbéciles qui avaient laissé leur peau dans cette affaire. Heureux de s’être vengé, heureux d’avoir rendu à son livre la véritable forme qu’il devait avoir. Il savait que les gens comprendraient vite que la véritable version, c’était lui qui l’avait ; il savait aussi que sa version à lui allait être publiée aussi ; mais il mourut heureux surtout parce qu’il croyait bêtement que les gens préfèreraient largement son roman à celui de Garry, qui était pourtant bien mieux écrit. La Justice voulait que Zack ne soit pas plus aimé par le public pour son roman et son meurtre que Garry pour son vol, et pourtant, leur livre allait être une référence pour les générations à venir.
Pour une fois, je ne dédie pas cette histoire
Car personne ne mérite d’être pillé de son cœur
Comme Zack l’a été
Que c'est beau ! Triste, mais beau et avec une belle lueur d'espoir. Une terrible leçon de vie et de respect de l'intégrité de l'AUTRE. Bravo !
· Il y a plus de 13 ans ·Bernard Boisgard
Merci beaucoup de votre commentaire ^^^
· Il y a plus de 13 ans ·Ca me touche énormément !
rena-circa-le-blanc
Le vol de l'imaginaire c'est terrible. Un récit auquel je me suis laissée prendre, intéressant : l'un a l'imaginaire sans le pragmatisme, l'autre le pragmatisme sans l'imaginaire, un drame assez répandu dans la création artistique, dommage qu'ils ne se soient pas complétés. Merci !
· Il y a plus de 13 ans ·Edwige Devillebichot