Silence
Isabel Da Rocha
4h00 du matin, le jour d'après.
Écouter le silence effiloché d'une tire d'aile.
Se poser dans l'encorbellement, tête renversée, offerte à la morsure du vent, cul posé sur la pierre glacée d'indifférence.
Ne pas céder…
Écouter le silence de l'automne, les feuilles bruisser d'un dernier souffle, d'une chute délitante en contrebas du Vert Galant, là sur les berges de ce bout d'île triangulaire, là où le saule entremêle ses longs bras graciles à ceux du fleuve Seine.
Ne pas céder…
Écouter les soupirs d'une folle belle, d'une folle ville fille. Écouter son cœur battre, s'emballer au défi d'un grand pari, à la promesse d'une folle gloire.
Ne pas céder…
Écouter le silence des mouettes s'éclater en cris aigus, le frisson de l'eau qui se hâte de faire la Manche, charriant bribes et débris, résidus et rogatons, calamine et poisson-chat. Chut ! Silence mon souffle, écoute… Paris s'est assoupie, Paris s'oublie, quelques minutes, quelques instants, entre nuit déchirée des hommes en rut et jour harcelé d'êtres en dérives. Paris dort. Comme une grande belle lionne repue, œil fluorescent, haleine blanche, griffes d'argent arraché à la plèbe. Paris, ma belle, tu sommeilles oublieuse de tes amours passées, oublieuse des Victor, des Hugo, de leur clameur : ‘'Respirer Paris, cela conserve l'âme''. Tu rêves à ces métamorphoses promises, à des jupons de verre, des ceintures souterraines, des dentelles de béton ajouré, des chapeaux de verdures suspendues. Tes entrailles, déjà éventrées dans un siècle passé, frémissent à l'idée de voluptueuses violences à venir.
Ne pas céder…
Écouter le silence effiloché d'une tire d'aile. Écouter ce quai mouillé, ces relents de photos vieillies, de papiers fanés, d'encre délavée, de banderoles chiffonnées, de peintures éclaboussées, d'aquarelles passées… Écouter l'odeur de Paris.
Ne pas céder…
Hier, ma belle, ma Cité, toi dont j'aime les verrues et les taches à l'instar de Montaigne, toi dont j'aime l'automne, hier tu m'as bouté hors de tes bras. Sans un regard, sans un regret. Je n'étais pas Crésus, je ne suis plus qu'un sans logis.
Les jours de grande douleur, ne pas céder.
Les jours de désespoir, ne pas céder.
Les jours de folie humaine, ne pas céder.
Se lever, se redresser dans ce ciel noir à peine voilé de brume, ce ciel aux étoiles effacées de néon.
Écouter une fois encore le silence de l'eau profonde où gisent l'âme ancienne de Paris et les pavés de mon adolescence.
Et marcher le long de la Seine, le long des quais, plus loin le long des berges, des entrepôts, plus loin encore.
Et là, ma belle, j'irais me nicher sous tes jupes de banlieue, retrouver l'odeur de tes villages, l'insolence de tes cafés, la vigueur de ton esprit.
Isabel da Rocha - Tous droits réservés.
J'aime beaucoup, joli et élégant ! Je vous partage ce texte au même endroit, où je cède à une certaine... colère ! lol ou pas lol : j'ai sûrement tort !
· Il y a environ 13 ans ·Edwige Devillebichot