Portrait #1

Elle est assise au milieu du studio. Assise un peu n'importe comment, un peu sur ses jambes, un peu comme elle trouvera le meilleur angle pour sa photo. Elle a remonté  ses longs cheveux roux dans un grand n'importe quoi.  Elle porte une blouse olive trop grande qui déshabille son dos et ses épaules. J'aime bien cette blouse, je lui dis souvent qu'elle fait très « théâtre Elizabethain ». Elle répond juste « N'importe quoi… »  dans un sourire qui dit qu'elle est flattée et amusée à la fois.

Cette image d'elle, de dos, dans son studio, c'est celle qui est gravée dans ma mémoire quand je pense à elle. La première fois que sa grâce m'a sauté à la gorge. Un peu comme la nuque d'une Charlotte Gainsbourg filmée de dos la clope au bec.

Elle porte le même prénom, sa mère est tombée amoureuse de l'Effrontée.

Elle n'est pas vraiment effrontée. Je le suis mille fois pour elle.

Elle, elle est fière. C'est une déesse grecque, droite, majestueuse, avec un regard bleu limpide à vous faire baisser les yeux quand elle vous fixe.

J'ai tout de suite su que je voudrais être aimée d'elle.

Elle rit fort et fume trop. Elle est célibataire mais ne baise pas. Elle ne fait jamais le premier pas. C'est pas le genre. Pas le genre à coucher le premier soir. Pas le genre à avouer. Je la gêne souvent par mon excès de confiance. Elle, elle est méfiante mais fidèle. Je suis naïve, volatile et blessée. Elle me confond en tas de petits papiers d'excuses. Je suis douée pour être désolée. Elle est douée pour vous faire vous sentir désolé.   

Le jour où nous avons été séparées nous a arraché un membre. Un que nous avions tissé ensemble, pour nous maintenir côte à côte, ou l'une sous l'autre, pendant des années.