pour le plaisir

danystro

Pour le plaisir ! 

-      Tu comprends, j’ai peur.

Je regarde Alain, mon compagnon, avec incrédulité. Non, je ne comprends pas.

-      Tu as peur ? c’est une plaisanterie ? Bon, tu as fait une mauvaise chute, d’accord, mais tu ne vas quand même pas renoncer  à monter pour six semaines de plâtre…

Mon cow-boy préféré ne répond pas, et je le trouve plutôt blême. Nous somme randonneurs équestres et nous passons nos loisirs en selle, le week-end, bien sur et deux à trois semaines pendant les vacances d’été. Alain est tombé, il l’a un peu cherché. Malheureusement, il s’est fait mal, nous sommes cavaliers, c’est le risque.

-      Attends, tu ne vas pas abandonner de la sorte. Il y a surement une solution.

Je suis abasourdie, désemparée, devant l’ampleur de cette crainte irraisonnée. Je ne saisis pas sa réaction. Nous avons fait plus de 2000  kilomètres ensemble. Nous avons vécu les charges de taureaux contre les barrières, les douches des arroseuses agricoles, les traversées de ville au milieu des klaxons sans qu’il se départisse de son flegme et de son sourire. Et aujourd’hui, il me lâche.  I

ll  faut trouver quelque chose.

-      Tu pourrais faire un peu de manège pour te rassurer.

-      A 55 ans passé, dans des reprises d’ados ! Non. N’y compte pas, je n’achèterai jamais d’autre cheval.

Il est vraiment déterminé, et je me vois déjà repartir en solitaire sur le dos de ma jument.

-      On peut en trouver un gentil. Tu montes bien Olive.

-      Oui, Olive, je n’ai pas peur…

Je n’aime pas la lueur qui s’allume dans ses yeux. Un lourd silence s’installe. Je lis l’attente dans son regard. Olive !!! Ma jument, mon animal de compagnie, ma fifille à pattes…C’est une rescapée des courses et du couteau. Blessée, elle est éjectée de l’entrainement, et je l’achète «  au prix de la viande » pour en faire une semi retraitée de deux ans et demi.

Céder Olive, ce serait renier 12 ans de vie. Pour elle, j’ai démissionné et pris un travail en province. Pour la sortir quatre fois pas semaine, j’ai habité la campagne. Avec elle, j’ai écumé toutes les routes d’Eure et Loir. Je lui ai appris à galoper, à m’obéir à la voix. Elle m’appelle au secours dès qu’elle a un souci.  Elle se précipite dès qu’elle voit la voiture. Elle m’a enseigné le calme. Quand je suis stressée, elle ne se laisse pas attraper, elle trotte autour de moi sur un rond parfait de six mètres. Je n’ai plus qu’à repartir, me calmer, puis revenir, elle se précipite alors vers sa maîtresse.  Comment pourrais-je l’abandonner ? C’est un trop grand sacrifice…mais renoncer aux randonnées à deux … me semble pire.

-      Bon, laisse-moi une nuit de réflexion.

-      Tu sais, elle reste là. Tu peux la sortir quand tu veux.

Le drame s’était déclenché au retour d’une randonnée, une promenade de 400 kilomètres. L’éleveur du village nous insulte et nous traite de sauvages : nous faisons travailler un cheval de plus de trente ans ! Capitaine, l’alezan d’Alain, a mené tout le mois d’août. Il a tracé  la route, avec, sur son dos notre gamin, car nous avions remarqué la voussure de son dos et ne voulions pas le charger. J’avais prêté mon Olive à Alain, car je mettais aux ordres un poney de deux ans et demi pour une amie handicapée, qui  devait apprendre la circulation, les chemins et à répondre à la voix et au poids. Mon cher compagnon avait grommelé  pendant tout le trajet : à chaque fois que je donnais un ordre vocal au poney, Olive, obéissant à ma voix, obtempérait  quoique fasse son cavalier…

Je dois avouer que mon compagnon n’est pas un centaure. Certes, il a fière allure, certes il a des centaines d’heures de selle mais il n’a jamais fait de manège. Il ne s’est jamais frotté à une monture récalcitrante ou à un jeune cheval apeuré. Il avait acheté une ponette pour ses enfants, qui se sauvait de son pré en permanence. Il s’était laissé persuader d’acheter Capitaine pour tenir compagnie à Fofolette. Et c’est  le cheval qui lui avait servi d’instructeur. Capitaine enseigne la marche  à suivre : il regarde toujours  par deux fois à droite et à gauche avant de traverser un route, tâte le terrain pour déterminer son allure, s’arrête s’il sent que son cavalier glisse. Bref, un vieux monsieur très expérimenté qui avait pourtant, en son temps, été une terreur, et avait éjecté d’innombrables cavaliers CSO sur les parcours. Alain aurait dû  se méfier, non, il n’avait pas  16 ans quand on le lui a vendu, il en avait sans doute 10 de plus.

Nous nous étions rencontrés, avions mis en commun nos vies, nous enfants et nos chevaux. Capitaine et Olive se ressemblaient, même port de tête même hauteur au garrot, même grande foulée au trot, l’alezan et la baie, comme leurs maitres, filaient le parfait amour.

Dûment chapitré, Alain décide d’accorder à Capitaine une retraite méritée, de le monter une dernière fois, tranquillement  sur le chemin du bord de L’Eure avant de le laisser définitivement au pré. Pourtant dès que nous abordons la sente, Capitaine part à grande allure. Olive, émoustillée,  suit, bien sur .

-         Hé que fais–tu ? Tu es trop lourd pour galoper.

-         Si tu crois que …

Pour la première et dernière fois, Capitaine embarque son maître au triple galop. Comme s’il savait la fin des promenades. Comme s’il refusait l’inutilité, la fin du travail. Comme s’il avait compris, mot à mot, notre  conversation.

L’éleveur nous propose une nouvelle monture. Il me semble trop près du sang, trop nerveux, trop puissant, trop jeune. Mais il est beau ! Dieu qu’il est beau.  Alezan brûlé, 1 ,75 au garrot, encolure en col de cygne, allures de prince. Alain est sous le charme, Alain écoute le diable tentateur, Alain se moque de mes inquiétudes..

 Arrive ce qui devait arriver. A la première ballade, au premier faisan, au premier écart mon cher et tendre s’envole et s’écrase sur le chemin pierreux. Hôpital. Fracture. Trois broches au poignet. Plâtre.  Rééducation. Exit l’alezan brûlé.

Et maintenant, Alain a peur. Et moi, je dois choisir.

Je passe une nuit mouvementée, meublée de cavalcades. Des troupeaux entiers galopent dans ma tête. Je me revois changer Olive de pré. Je suis  à bicyclette accrochée à sa crinière et un passant me demande en riant qui tracte l’autre. Je me revois gamine, bottée, bombe à la main avant un parcours d’obstacle. Je me revois enfant, a cru sur le dos de Miami, mon premier amour. J’allais alors dans un ranch tenu par un texan. Avec un abominable accent, il avait annoncé la couleur :

-         Il ne sait pas travailler, tu ne sais pas monter, je dresse les deux ensemble

Le jeune étalon trois quart arabe m’avait tout fait : retour à l’écurie, poursuite d’une jument en chaleur, bottant à tout-và,  combat contre un âne entier… Lorsque je n’allais pas directement à sa stalle, et que je caressais les autres chevaux au passage, il m’accueillait d’un coup de dent ou d’un coup de pied.

Pourtant, j’en avais gardé un souvenir émerveillé. D’abord, la sensation des jambes qui tombent naturellement et sans effort à leur place, et puis les doigts sur les rênes. Il suffit de les lâcher, et une puissante arrière main propulse au galop. La souplesse, la légereté, le confort…

Un arabe, ce n’est pas un cheval comme les autres. Pas faciles, d ’accord : jaloux, vindicatif, exigeant, mais ils intelligents, souples, rapides et fidèles.  

Au réveil, j’’étais décidée, j’allais revenir à mes premières amours.

-         Je te laisse Olive

-          Vraiment, tu ne plaisantes pas ?

A  nous les sacoches, les listes de relais équestres et de magasin de fourrage. A nous les chargements pesés, les cartes IGN, les boussoles et les duvets. Nos vacances sont sauvées.

J’imaginais un mâle, c’est une jument. Je le voulais bai. Elle est grise sur les papiers, blanc salissant dans un pré. Je le voulais fin, elle est ronde, si ronde qu’elle ressemble plus à une camargue qu’à un pur sang. Je le voulais élancé, elle est râblée, mesure 1,49, et si elle n’était arabe, elle serait classée poney. Tant pis ou tant mieux, la marche sera moins haute. C’est  ma dernière monture : lorsque qu’elle aura 25 ans, j’en aurai 72 et je raccrocherai définitivement les harnais. C’est Pepita, c’est un gros bébé juste débourré, elle n’a que trois ans.

Comment Capitaine et Olive vont-ils accepter la nouvelle venue ?

Le van tarde. Nous sommes tous quatre en attente. Il arrive enfin. En descend une pauvre chose en sueur, les jambes flageolantes. Pourtant la révolte gronde. Dès que les postérieurs touchent le sol, elle est debout et danse sur ses postérieurs, oreilles collées à la tête.

Alain me lance un regard dubitatif.

-  Nerveuse, non 

-  Il nous a fallu quatre heures à cinq pour la faire monter, précise le convoyeur.

Elle a du caractère, cette petite

Nous attendons qu’elle se calme, redevienne un quadrupède. Elle surveille le van du coin de l’œil, et lorsqu’il disparaît, se jette voracement sur la première touffe d’herbe, descend dans le fossé. C’est une aubaine : elle a toujours vécu dans une stalle sous un hangar, et les sorties détente se faisaient en carrière. J’en profite pour lui passer un couteau de chaleur, elle frémit et se laisse faire.

Bon, elle est gourmande, et à peu près sèche. Il est temps de la présenter à sa nouvelle famille.

Nous la libérons dans le pré, et Capitaine s’approche, menaçant. Alain serre déjà un stick dans sa main. Il lance une ruade d’intimidation, trop loin pour l’atteindre. Olive s’interpose, renifle la nouvelle venue, frotte sa tête contre son encolure. Elle l’a adoptée et la traite comme le poulain qu’elle n’a jamais mis au monde.

Une ondée arrive et nous allons rentrer. Lorsque la première goutte atteint la petite arabe, elle en arrête de manger et lève la tête. Elle rue des quatre pieds contre les gouttes. Nous éclatons de rire.

Elle s’arrête et nous lance un regard noir. Mademoiselle est susceptible. J’avais oublié.

Evidemment, Olive lui enseigne tout ce qu’elle sait faire : ouvrir tous les loquets, toutes les portes, vider le coffre de la voiture à la recherche d’un quignon de pain ou un trognon de pomme, voler dans les sacoches, faire les poches…Nos chevaux sont parfois des animaux trop domestiques. Ce n’est pas tant que nous soyons propriétaires, ce sont plutôt eux qui ont des lads pour rentrer le foin, réparer les lices abimées par leurs soins, apporter des tonnes à eau lorsque la rivière est trop basse pour en avoir l’accès, apporter les carottes ou les pommes, les brosser, graisser les pieds, les emmener chez le dentiste équin, faire venir le maréchal ferrant…

C’est le bonheur. Bien sur, Pepita a les jambes plus courtes qu’Olive, et nous sommes rarement à la même allure. Elle suit partout sa mère d’adoption, et je ne peux jamais la faire passer devant, mais nous avons le temps de lui apprendre. En fait, elle est peureuse. Tout la fait sauter et sursauter. Un lièvre la fait bondir des quatre pieds et effectuer un demi tour en l’air. L’équilibre est tel, que même surprise, je ne bouge pas de la selle. J’adore.

Elle est si souple qu’en liberté, elle arrive à se gratter l’oreille avec son postérieur, c’est un spectacle dont je ne lasse pas. Elle effectue aussi toutes les figures de haute école que je serais bien en peine de lui demander appuyés, pirouette, piaffer.

Quant aux levades et croupades, elle les pratique en permanence, au pré ou en promenade avec sa cavalière sur le dos.

Je m’amuse vraiment.

Elle apprend très vite. Trois heures de bagarre pour passer le premier gué, et le lendemain, elle se précipite à l’eau prête à se rouler.

Maligne, la demoiselle.

J – 10 .Nous préparons le départ. Pour la première fois, Pepita va être ferrée à chaud. Le maréchal s’inquiète :

-         Je commence par elle ?

-         Non, prenez Olive.

 Je commence à connaître ma monture. Elle est de bonne volonté, mais si elle ne comprend pas ce que je lui demande, elle se bute, et il n’y a plus rien à faire. Ni les carottes, ni les caresses, les fâcheries, ni la cravache ne peuvent la faire obéir. Elle se laisserait tuer sur place, cette ânesse !!!

Pendant qu’oeuvre l’homme de l’art, je la laisse en liberté dans la cour, tant pis pour les tulipes. Elle observe la scène de loin, et curieuse comme une chatte, s’approche de plus en plus. Elle inspecte le four, approche les naseaux à 20 centimétres, recule agressée par la fumée, reviens puisque ce curieux animal rouge ne bouge pas, renifle le dos maréchal, et satisfaite retourne au saccage des plate bandes.

Lorsque vient son tour, elle donne gentiment le pied et se laisse faire. Au bout de 10 minutes, lassée, elle bouge. Le maréchal lui envoie une bourrade dissuasive dans les côtes. C’est gagné, je n’aurais jamais de révolte au ferrage.

J- 7 Un contrat imprévu bouscule l’emploi du temps. Vivement la semaine prochaine, les plaines, et la randonnée de notre association.

J – 2. Dans le rush le plus absolu, nous allons acheter une selle. La mienne est une anglaise mixte saut-dressage, inadaptée à la randonnée, car dépourvue d’anneau et je ne puis rien y accrocher.

Nous prenons le temps d’initier Pepita. Je lui montre les sacoches vides, et je les pose délicatement sur son dos. Je resangle, et nous mettons un caillou de même taille de chaque côté, puis un autre, et encore un autre, pour faire poids. Au cinquième, elle se rebelle, et se lève, les sacoches lui battent les flancs, c’est la panique. Je lui parle doucement, la calme, lui caresse le chanfrein. Un sixième caillou, puis un septième, une carotte, la leçon est terminée. Heureusement ! Nous partons après demain rejoindre les autres « cow boys » et si je veux finir les tâches courantes avant de partir, il ne me restera guère de temps pour dormir.

J – 1. Pépin familial, je dois rentrer à Paris. Il va falloir faire avec.

Jour J . Nous partons avec deux heures de retard. Nous avons rendez-vous à midi à 20 kilomètres. Je n’arrive pas à sangler correctement, le cuir neuf résiste, et elle si ronde, si grasse que la selle tourne. Pas le temps d’aller acheter un collier de chasse, tant pis. Nous verrons cela demain.  En attendant, mes jambes tiendront tout le harnachement : ce ne sera pas la première fois.

A  un carrefour, j’ai une hésitation. Chemin de gauche ou chemin de droite ? Je sors la carte et la déplie. Erreur funeste ! Olive n’a jamais bronché, mais Pépita ignore le bruit du papier, elle se lève et danse.

Arrive  ce qui devait arriver. La selle tourne, la cavalière avec. Je chute, le poignet se brise, et les sabots retombent sur la main inerte. Nous n’aurons même pas quitté la commune.

Hôpital.  Broches. Plâtre. Douleur.  Complications. Douleur. Rééducation Ré-opération. Douleur…

Un an pour redonner un minimum de vie à une main broyée.

La première fois que je reviens au pré avec mon bras en bandoulière, mon arabe, négligeant la carotte, flaire le plâtre, avance les lèvres et du bout des dents entreprend de le détruire. Aurait –elle compris que cet addendum nous empêche de sortir nous promener ?

Quand je suis enfin débarrassée de mes carcans, et que mes doigts m’obéissent assez pour panser et sangler ma vieille selle, Pepita est survoltée, elle se met en osmose et reprend toutes mes tensions. C’est vrai  je suis stressée. Je n’ai pas monté depuis si longtemps…

Sans rien dire, Alain prend les rênes pendant que je mets le pied à l’étrier. Dès qu’il me rend la main, la jument est debout. Je me cale au fond de la selle. Elle danse sur ses postérieurs et je ne trouve pas cela drôle du tout. Je sais que je devrais respirer, me décontracter, et pourtant malgré moi mes muscles se tétanisent. C’est ridicule. Quand je  suis tombée, j’étais épuisée, je n’arrivais pas à rester debout, je ne pouvais me tenir sur une selle flottante. Maintenant, Je suis sanglée, je suis reposée et je maîtrise ma monture. Elle m’a fait des rodéos bien pire. Il suffit que je me détende. Ma raison l’affirme, il ne peut rien m’arriver.

Pourtant au plus profond de mon corps qui se souvient, se cache une boule qui me tord le ventre pour la première fois. Je m’empêche de hurler. Et ce qui  est ancré en moi, c’est  la peur. Une peur  stomacale, incontrôlable que je vis à mon tour.

Alain me regarde avec inquiétude.

-         Ca va ?

-         Ca va !

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