Première sortie

marinak

Dans un grand parc, Loïs et sa mère sont à la recherche d’Elise, la fille de Loïs, partie à la poursuite de son ballon rouge.

-          Elle est toujours là ?

-          Oui, elle court après son ballon rouge.

-          Celui que tu lui avais acheté au kiosque à l’entrée du parc ?

-          Je ne la voyais plus à cause de ce grand arbre devant moi. Oui,               c’est bien celui du kiosque.

-          Ça faisait longtemps que je n’étais pas sortie.

-          Merci de m’accompagner, maman.

-          Je t’aurai empêché de venir sans moi.

  Puis un long silence. En face d’elles, une immense pelouse ondulait dans le vent, finissant par ressembler à un lac calmement agité. Loïs aurait voulu crier «  Elise » mais s’aperçut qu’elle n’y arrivait pas. Le son restait enfoui dans sa poitrine. La fillette pourtant se tourna vers elle, un instant. Mais elle ne sembla pas la voir et continua à courir après son ballon.

Ne pas observer l’expression sur le visage de sa mère. Elle fixait obstinément le sol. Elle se mit à penser au père d’Elise, une de leurs étreintes ; elle ne se souvenait plus maintenant du moment où cela s’était produit.

-          Loïs n’essaye pas de te rappeler.

Elle entendit la voix de sa mère. Elle se raccrocha à cet ordre au milieu de la confusion qui régnait dans son esprit. Mais il lui parut finalement inutile. Elle avait oublié un instant le but de sa sortie.

  Elle vit alors sa fille Elise tourner à nouveau la tête vers elle, onde traversant le lac émeraude. Son regard sans expression la transperça.

Elle eut l’impression de sentir le sang refluer dans sa gorge puis le goût métallique inonder sa bouche.

-          Loïs, c’est juste un effet secondaire, à la première sortie.

  Les branches du grand arbre en face d’elle semblaient s’étirer démesurément  dans sa direction. Sa mère lui saisit la main. Elle vit Elise continuer de poursuivre le ballon rouge qui s’envolait devant elle.

-          Loïs !

Elle entendit encore une fois sa mère l’appeler. Elle n’arrivait pas à lui répondre. Elle avait l’impression de lutter contre sa propre volonté.

-          Concentre-toi Loïs.

  Le bruit du vent couvrait tout et ces mots lui parvenaient en sourdine comme s’ils avaient été prononcés à l’entrée d’un tunnel et qu’elle se trouvait à la sortie. Une tempête se leva. Elle vit sa mère heurter violemment Elise qui commençait à s’élever au-dessus du sol. Elle-même fut jetée par terre d’où elle put les apercevoir emportées au loin.

  Elle ferma les yeux puis les rouvrit. Son visage était plongé dans l’ombre. Le calme à nouveau. Cela n’avait donc été que le fruit de son imagination.

Encore effrayée par cette vision, elle scruta les alentours. Tout était paisible. Elle avait dû avoir un moment d’inattention et sa mère avait avancé sans doute un peu plus vite. Soudain elle sentit son bras agrippé par derrière. Elle baissa les yeux et vit qu’il s’agissait d’une main ensanglantée.

-          Loïs, tu vas bien ?

Sa mère avait l’air un peu réprobateur. Elle avait de nouveau laissé vagabonder son imagination.

-        Je croyais t’avoir dit de te concentrer…

Elle prit le bras de sa mère. Une lumière aveuglante planait maintenant dans le parc.

-       Il faut que l’on retrouve Elise.

-       Tu as toujours été si entêtée.

-       Je le suis restée maman.

-      Le seul moyen de la retrouver est de rester concentré. C’est quelque chose que j’ai appris instinctivement lors de mes sorties. Il suffisait que je pense à autre chose pour que ça ne fonctionne pas.

-     C’est comme ça que tu as pu revoir Léon ? Tu n’as toujours pensé qu’à lui.

-     Je t’interdis. Elise te manque. Moi, c’était toi et ton frère avant que vous ne veniez me rejoindre.

  Loïs sentit à ce moment la couleur de la colère de sa mère. Je te bats pour ton bien, elle se rappela alors de cette phrase. Elles continuaient à marcher. Maintenant sur le lac émeraude, en direction de la petite silhouette au loin comme un oiseau filant vers la ligne d’horizon.

-          Je devais t’accompagner.

Elle la sentit presque menaçante.

-          Je ne pouvais pas m’imaginer t’attendre tournant en cage comme une lionne. Je pouvais t’éviter des erreurs en venant avec toi.

-          J’ai toujours su me débrouiller seule. Ça aurait été la même chose.

-          Te débrouiller seule ? Tu sais bien ce qui est arrivé du fait de ton obstination ; tu en es morte.

  Leur marche devenait de plus en plus pénible. Elles étaient courbées par leurs efforts. Elles avaient l’impression que le ciel allait s’abattre sur elles comme un poids et que des fers enserraient leurs chevilles. Elles avançaient en direction du point rouge au loin, le ballon d’Elise. La lumière devenait de plus en plus aveuglante. Leurs points de repère s’effaçaient au fur et à mesure de leur progression. Loïs se disait  j’ai voulu la voir que je sois maudite. La silhouette qu’elle tentait de rejoindre se pliait, se tordait. Elle sentit sa mère lui prendre la main. La serrer presque comme pour la briser.

Je veux la voir, je veux la voir. Je pourrais tout détruire si je n’ai pas ce que je veux.

La moindre de leurs pensées leur rentraient dans la tête comme des poignards sur une cible. Le vide. Plus elles approchaient de la silhouette, plus seul le vide les calmait. Derrière mon visage le néant. Je suis venue te voir. Elise.

Elles étaient près d’elle maintenant. L’enfant sembla n’avoir aucune réaction. Elle s’était penchée pour essayer d’attraper le ballon rouge qui avait roulé sous un arbre. Il était juste sous une grosse branche basse ployant sous le poids de ses feuilles et de ses premiers fruits.

Elise, je peux enfin te prendre dans mes bras.

Elle sentit à nouveau la couleur de la colère de sa mère. Elle sentait qu’elle observait leurs retrouvailles. Elle réussit à prendre la main d’Elise dans la sienne. Toutes les trois pouvaient partir ; Loïs et sa mère pouvaient rebrousser chemin, rentrer d’où elles étaient venues. Loïs et  Elise pouvaient être ensemble. Loïs avait trouvé ce qu’elle était venue chercher.

Le ballon rouge soudain roula, poussé par une brise. Loïs se retourna et vit le corps d’Elise gisant sous une grosse branche détachée de l’arbre. Elle serra alors encore plus fort la main de sa fille et laissa derrière elle ce corps. Elles continuèrent d’avancer regardant scintiller devant elles le lac émeraude.

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