Princesse Maladresse

Fleuriste Manchot

Egérie d'un monde sans tracas.

Princesse Maladresse, comme toutes les princesses, habitait en haut d'une tour. Bien sûr, cela avait de nombreux avantages, comme le panorama, la fraicheur ou l'isolation. Mais cela avait aussi plusieurs inconvénients liés à la caractéristique principale du logement : sa hauteur. Ou plutôt, dans le cas de Princesse Maladresse, le nombre de marches.

Car voilà, Princesse Maladresse était, comme son nom le laisse deviner (d'ailleurs, il est peut-être un peu tard pour le préciser, mais c'est important pour le récit), maladroite. Mais pas seulement dans ces gestes (elle avait bien sûr son quota journalier de vaisselle cassée et en permanence un nombre respectable d'égratignures et d'hématomes), mais dans chaque aspect de sa petite vie de princesse. Ainsi, un matin, Princesse Maladresse se leva, comme chaque jour, en se cognant contre le rebord du lit. Elle trébucha sur son chemin vers les toilettes (la décence nous retient de vous raconter quelles maladresses elle y commit), puis se dirigea soigneusement vers la cuisine. Elle mit la bouilloire sur le feu, réalisant assez vite qu'elle avait allumé la mauvaise plaque, puis entreprit de couper du pain. Elle s'entailla (légèrement) le pouce et se retourna en entendant la bouilloire faire un bruit étrange. En effet, elle avait oublié l'eau ! Ce problème résolu et sa coupure pansée (au bout du deuxième essai), elle manqua de se bruler en renversant un peu de son thé et profita d'un petit déjeuner bien mérité.

Une fois habillée et prête à sortir (avec quelques bleus de plus), elle entreprit d'aller au marché. Elle dressa avec précaution une liste de courses, prépara son panier et un chapeau. Elle quitta enfin sa tour, trébuchant plusieurs fois sur les antiques marches de pierre. Arrivée au pied de l'édifice, elle réalisa qu'elle avait oublié son panier et remonta le chercher. Une fois redescendue, elle remarqua qu'il lui manquait sa liste, retourna la récupérer et dévala à nouveau les marches pour s'apercevoir qu'elle n'avait pas pris son chapeau. Un autre aller-retour fut nécessaire pour éteindre la gazinière, sur une réalisation soudaine et bienheureuse.

Enfin, Princesse Maladresse se dirigea vers le marché. Du moins, elle commença par se tromper de chemin, avant de s'y diriger vraiment, profitant d'un trottoir pour trébucher et salir sa belle robe jaune. Arrivée sur la place, quelques heures en retard, elle se dirigea vers son marchand de légumes préféré.

« — BONJOUR ! hurla-t-elle accidentellement.
— Bien le bonjour, Princesse ! Comment allez-vous ? lui répondit le commerçant avec entrain. »

Princesse Maladresse hocha la tête gauchement avant de lui passer commande, se mélangeant les pinceaux dans les noms et les quantités des différents fruits et légumes qu'elle voulait. Une fois son choix fait (avec l'aide du maraicher étant donné que la liste s'était révélée plutôt aberrante) et au moment de payer, elle réussit à faire tomber les pièces, qui se faufilèrent au milieu des abricots.

« Ne vous inquiétez pas Princesse, le rassura le marchand alors qu'elle commençait à rougir et à bafouiller des excuses, je les récupèrerai plus tard ! »

Elle attrapa le sac que lui tendit ce dernier et le renversa accidentellement par terre. Un autre client, un habitué, l'aida à ramasser ses achats en rigolant joyeusement. Confuse, Princesse Maladresse le remercia maladroitement, plaça soigneusement les légumes dans son sac et l'oublia sur place. Arrivée au stand suivant, elle réalisa son erreur et revint le chercher, affichant ce petit sourire gêné qui la caractérisait si bien.
Inutile de vous dire que le reste de sa journée se déroula sur le même rythme : Princesse Maladresse rata soigneusement tout ce qu'elle entreprit.

Le soir venu, elle se mit en pyjama (elle dut s'y reprendre à deux fois pour le mettre à l'endroit), se cogna contre le bord du lit et s'allongea, enfin. Dans son lit, recouvert de coussins moelleux, elle se sentait en sécurité, elle ne pouvait pas se cogner, se bruler, renverser quoi que ce soit, oublier quelque chose, trébucher ou s'exprimer de travers. Dans ce petit havre, isolé du monde extérieur, chaque nuit elle rêvait de la même chose ; réussir à accomplir une journée sans la moindre maladresse. Elle repensa à ses exploits du jour et sourit doucement avant de se laisser glisser dans le sommeil. Elle aurait l'occasion de retenter sa chance, pensa-t-elle, car après tout, demain est un autre jour.

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