Prison Island

moss468

Zanzibar, Zanzibar, terre lointaine aux tours

Argentés et dorés, tu m'appelles et me happes

Rivages enchanteurs, fruits délicieux en grappe,

Tout me régale en toi, île dont vient le jour


Archipel merveilleux dont la beauté m'inspire

Ton nom seul étonne, sa sonorité charme

Le dandy hardi sait en user comme d'une arme

Et l'artiste zélé te prononce et t'admire


Zanzibar, jamais tu ne quittes mon esprit

En rêve je vois tous les navires emplis

De richesses, épices et parfums enivrants


Qui longtemps accostaient sur ton sable

Esquivant tes récifs, délices du diable

En quête d’aventures et de récits charmants

Je finis d'écrire mon poème et refermai mon cahier. J'étais assis à la proue du bateau. Je laissais le vent humide et salé fouetter mon visage sans lui opposer la moindre résistance. Au contraire, je me penchais le plus possible, à la limite de la perte d’équilibre, vers les eaux bleues que la petite embarcation à moteur surplombait. Le bois vétuste fendait la mer avec l’expérience d’un vieux marin, et les gouttes qu'il projetait formaient un voile diaphane à bâbord et à tribord. 

Avec moi voyageaient un couple d’Anglais quarantenaires, cinq jeunes Japonais et une famille tanzanienne. Les deux enfants étaient ravis, les Anglais s'embrassaient, les Japonais riaient. Nous étions tous des touristes.

Tous, sauf le capitaine du bateau qui se distinguait de cet étrange mélange des cultures. Il était habillé très simplement : un t-shirt blanc, un short en toile et une paire de sandales en cuir. Sa connaissance des lieux, ses paroles en swahili, son apparence et sa fierté lorsqu’il parlait de « son île » laissaient transparaitre ses origines locales. Sa bonne humeur avait permis de mettre tout le monde à l’aise pour la courte traversée qui s'imposait. 

Pourtant, notre destination ne prêtait pas à sourire. Fendant la mer sous un soleil brûlant, nous nous dirigions vers un îlot chargé d'histoire, à quelques encablures de Zanzibar. Dans les guides touristiques, c'était l'île aux tortues centenaires. Mais cette attraction cachait un passé plus sombre que le capitaine ne tarda pas à nous dévoiler : nous nous rendions à "Prison Island". L'île des prisonniers. La terre des esclaves. Par cette petite île avaient transité des milliers d'esclaves durant la traite des Noirs. Ces hommes et femmes, qui perdaient leur statut de personne en entrant dans la servitude, y étaient regroupés puis vendus. Dans les murs de la prison que nous apercevions, sous les coups de fouets, leur force de travail était évaluée et leur vie confisquée. Les marchands d'esclaves venaient dans cette prison pour s'y fournir en gros, avant de repartir vers les Etats-Unis ou l'Europe. 

Je ne quittais pas le capitaine des yeux. Il parlait de tout cela avec un détachement total, et je le comprenais. Chaque jour, le même soleil, la même île, le même bateau, le même discours. Seuls les touristes changeaient. Mais alors que je l'observais, il s'exclama, nous fit son plus beau sourire et entonna un air local. Il tapait dans ses mains en rythme, et bientôt nous le suivions tous. C'était un air que chaque touriste ayant mis les pieds à Zanzibar connaissait, et qui contrastait étrangement avec la solennité du récit historique qui venait d'être fait. Tout le monde chantait : "Jambo. Jambo bwana ! Habari gani ? Mzuri sana !" Je pensai que si Prison Island ne portait pas de nom en swahili, c'était sans doute parce que l'impérialisme étranger en parcourait encore les murs tel un long frisson mortifère. "Wageni, mwakaribishwa. Zanzibar yetu hakuna matata !" Je traduisais les paroles dans ma tête : "étrangers, vous êtes les bienvenus, dans notre Zanzibar il n'y a pas de problème !"

Signaler ce texte