Profession : freelance

Lisa Azorin

Dans la vie, il y a ceux qui ont un travail identifiable et ceux dont la situation professionnelle est un peu plus floue.

Dans la vie, il y a ceux qui ont un travail identifiable -avec un patron, des horaires, des tâches clairement définies et compréhensibles par toute personne lambda- et ceux dont la situation professionnelle est un peu plus floue. J'appartiens à cette seconde catégorie. Pour faire bonne figure, je me suis offert une signature de mail un chouia pompeuse : "Journaliste-correctrice freelance". Ca me rassure, et si ça peut rassurer le chaland au point qu'il me jette une petite mission en offrande… Bref, j'appartiens à la génération Slash, ie celle qui par refus de choisir entre pile ou face se retrouve à jouer les équilibristes. Inconvénient : ces employeurs qui vous accordent un entretien comme d'autres s'accordent une pause Youtube, pour se distraire cinq minutes avec ce canard boîteux au "parcours atypique". Avantage : le bonheur à en sortir (parfois) aussi lessivé que Sonny Liston mais victorieux. Et Cassius Clay s'en retourne d'où il vient attendre sa lettre de mission. Et là…

"Comme convenu, vous trouverez ci-joint le brief pour la mission XXX. Je vous laisse en prendre connaissance. N'hésitez pas à revenir vers moi pour toute question éventuelle. Bien cordialement." Portrait robot du dit-brief. Il fait 8 pages. Il y a un 1. Puis un 1.1. Suivi d'un 1.1.1. Et encore un 1.1.1.1.a. On va jusqu'à 7 et f comme ça. Tout le monde suit ? Viennent ensuite les échantillons de référence, entremêlés de consignes intermédiaires qui s'ajoutent à celles du 1.1.1 mais attention! ne valent pas pour le 2.2.2.2.b et le 3.3.3.3.e. D'accord… Ah ! une note : "Pour les items suivants, ne pas tenir compte des directives précédentes." Mais précédentes jusqu'où ? Jusqu'à 7.7.7.7.f ou jusqu'aux échantillons (qui du coup ne sont plus des références du tout…)?

Là, tu es perdu, mais tu ne peux décemment pas rappeler le missionnaire (ça ne se dit pas, je sais !) pour lui dire qu'il est un peu confus. Alors, comme quand tu étais dans les petites classes et qu'on te faisait souligner les sujets en bleu, les verbes en rouge, les compléments en vert, tu attrapes tes crayons de couleurs (le stabilo c'est has been) et tu barbouilles. Une demi-heure de crayonnage plus tard, tu comprends qu'il s'agit simplement de réécrire les textes de 1 à 4, de réduire ceux de 5 à 7. Une autre demi-heure plus tard, tu as terminé et renvoyé ta mission.

Bilan des courses : une heure et demie à comprendre la mission, une demi-heure à la réaliser et un "Merci pour votre réactivité" auquel tu t'entends répondre : "Y a pas d'quoi !", alors qu'en fait tu es aussi zen qu'une grenade dégoupillée et regretterais presque le temps où, pour un salaire honorable et quelques tickets resto, on te laissait végéter devant ton ordinateur 8h par jour. Alors quoi, y retourner ? Non, pas pour tout l'or du monde. Parce que même si parfois un freelance se sent un peu trop libre, que son compte en banque est régulièrement dans un état proche de l'Ohio et que toutes les missions ne soulèvent pas les passions, faire ce que l'on aime, pas plus mais pas moins non plus, ça vaut bien quelques galères…


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