Profil trompeur

Caroline Hopkins

L'amour au temps de la pandémie

J'avoue que le profil de ce petit bonhomme, je l'ai partagé avec plusieurs copines complices de mes pérégrinations sur Tinder. Exposé et reconnu par mes paires comme le profil gagnant du trio de tête du début, j'avoue avoir accordé à son protagoniste une attention toute particulière en soignant les messages que je lui envoyais. Son visage me faisait penser à celui du Anglais - j'ai toujours été profondément anglophile - et, cerise sur le gâteau -, en bas à droite de son profil, figurait sa chanson préférée : Fake Empire de The National, du beau, du puissant, de l'inespéré sur un profil Tinder, presque de quoi tomber amoureuse là comme ça. Alors je soigne, réponds à ses messages polis, bienveillants. J'apprends qu'il fut formateur dans une banque, désormais en pré-retraite, jeune veuf, deux grands enfants, qui ont très bien réussi dans la vie… J'en viens à la musique, il esquive un peu, pareil pour le cinéma. Genre : on change de sujet. Bizarre, ça ne colle pas avec l'idée que je me fais d'un type qui se dit cinéphile et fan de The National. Mais je vérifierai en tête à tête car ma décision est prise, je vais répondre à son invitation de venir le voir chez lui dans un petit village perdu à une cinquantaine de kilomètres. Qu'est-ce qui me prend ? Je me fais ma propre dérogation. Je suis auto-entrepreneur, je pars en reportage. J'inventerai le sujet en route en cas d'interrogatoire des gendarmes.  


Je ne croise personne sur la route. La nuit de novembre tombe vite et me voilà en territoire inconnu au coeur d'un hameau perdu. Seul un gosse à vélo au regard perçant me dévisage. Je ne sais pas pourquoi je m'attends à une vieille maison en pierre mais c'est une baraque moderne qui m'attend, bien trop grande pour un seul homme. Finalement assez insipide, comme lui. Pas de musique dans son antre, des meubles modernes sans charme. Une grande cuisine sans table. Des plantes, beaucoup de plantes. « Les plantes c'était ma femme, et encore j'en ai jeté, il y en avait beaucoup plus. Elle est morte il y a 4 ans. Le cancer, c'est allé très vite ». Il est un peu pris de court par mon arrivée. Je lui propose de l'aider à préparer le repas. En fait, j'ai désespérément envie de boire un verre et lui se colle à moi comme ça sans prévenir. Je ne suis là que depuis 5 minutes. Je fais un petit mouvement en arrière. Impossible de me coller sur commande… Il comprend et m'offre un verre de blanc, de l'Entre-deux-Mers… Plat du soir : moules marinières et une tarte aux pommes. Me voilà à peler les reinettes dans la cuisine d'un inconnu qui ne me fait pas plus d'effet qu'une tige de bambou au rayon plantes de chez Ikea. Bon, c'est pas grave, je me mets en mode écoute car le type en a des choses à raconter. Tous ses plans Tinder y passent.  J'ai droit à tous les détails : une prof de musique de la grande bourgade voisine qui, à chaque rencontre, le poussait vers un terrain de plus en plus glissant. Quand elle a suggéré la participation d'une troisième personne à leurs jeux érotiques, il a rebroussé chemin. « Dommage, elle me plaisait bien physiquement mais la perspective d'un autre mec, non merci ». Il y a aussi celle - encore une prof - pour qui il n'était qu'un plan Q et qui, une jour, lui balança après l'acte sexuel qu'elle n'avait aucun sentiment pour lui « mais bon, pourquoi pas continuer quand même ? ». Il me raconte s'être rétracté. Quand même, il faut bien un peu de sentiments. Il enchaine avec celle qui fit plus de 150 km pour dégueuler toute la nuit. « Elle a trop bu et il y avait peut-être une moule pas fraiche. En tout cas, je l'ai regardée vomir accrochée à la cuvette des toilettes et la vue était pas mal de derrière… Je plaisante ! ». Je sens que le type est très fin et que les moules, c'est son plat de prédilection quand il reçoit une dame. 


Je reviens sur le sujet de la musique car il vient de mettre le CD d'un chanteur de rock américain bien lourd que je n'arrive pas à identifier. On est à des années lumière de The National. « En fait, faut que je t'avoue, c'est mon fils qui écoute The National. Un jour, j'étais dans sa voiture et il m'a fait écouter. J'ai trouvé ça pas mal alors j'ai acheté tous les CDs ». Ah d'accord. Du coup, je me dis que je ne vais même pas aborder le sujet cinéma. Je m'interdis même de regarder les DVDs si je veux garder un minimum d'intérêt pour la suite… Il refait d'ailleurs une tentative d'embrassade. Mais cette fois, je me laisse faire. « Ouah, qu'est-ce que tu embrasses bien ! Mais tu sais que tu embrasses bien toi ! Tu sais qu'il ya des femmes qui ne savent pas bien embrasser ». Sans blague ? Bon, j'ai deux options : soit je pars de suite avant d'avoir un taux d'alcoolémie trop élevé dans le sang, soit je vais jusqu'au bout de la nuit. Je choisis la deuxième option. J'enchaine moules, verres de vin et tarte aux pommes puis vient le moment inéluctable du passage à l'étage. J'ai une pensée émue devant la cuvette des toilettes, en espérant ne pas être victime du même scénario catastrophe qu'une de mes prédeccesseuses… Je le rejoins dans sa chambre. Il se met à parler de sa femme. Je n'ai rien demandé. « Ce qui était bien avec ma femme, c'est qu'elle n'était pas chiante ». Que veut-il dire ? C'est une constatation bizarre, que je trouve particulièrement déplacée… Mais je ne réponds rien. J'ai juste hâte qu'il arrête de parler et que l'affaire se fasse et se termine. C'est la première fois que j'éprouve aussi peu de désir pour un homme. Pourtant, je me laisse faire. Ce type est lisse, presque « fake », je ne ressens rien et je repense à une autre description qu'il avait faite d'une de ses dates Tinder qui « faisait la planche ». Voilà, c'est un peu ça sauf que je préfère faire la planche sur l'eau. Au moins, j'ai une sensation de légèreté. Là, je ne sens que sa lourdeur. Enfin, il se retire. Il est pris de hoquets. « C'est le vin blanc. Ca me donne des remontées gastriques ! ». Je l'imagine la tête dans la cuvette des chiottes. Un juste retour de bâton ? En tout cas, moi, je ne reluquerais pas son derrière. Il me laisse et dis qu'il va dormir en bas pour ne pas me déranger. C'est la meilleure idée de la soirée. Je m'endors dans son lit, soulagée. Au petit matin, il ronfle dans le canapé. Il se réveille au moment où j'enfile pourtant discrètement mes chaussures. Oui, je vais partir, j'ai du travail ce matin et un petit challenge qui m'attend : ne pas tomber sur les flics sur le chemin du retour. Il s'excuse d'avoir été malade. « J'espère qu'on se reverra », glisse-t-il. Je ne réponds pas, me contente de lui dire au revoir. Pour moi, c'est évident, l'affaire est close. Next !


  • Anthony en ligne de mire ! comme un chagrin d'amour au creux de son mouchoir.
    https://youtu.be/Z6B0pqLcrSA

    · Il y a plus de 3 ans ·
    Chainon manquant

    dechainons-nous

  • *Lets not try to figure out everything at once
    It's hard to keep track of you falling through the sky* ;)

    Ce type là à mon avis, avec son humour à froid risque fort de vous surprendre en vous proposant avec insistance une assiette de pommes frites dans un autre endroit ahah...
    Merci pour ce face à face élucidé et... voire même terrifiant de réalité :)





    · Il y a plus de 3 ans ·
    Ange

    Apolline

    • Il a essayé; je n'ai pas donné suite !

      · Il y a plus de 3 ans ·
      Default user

      Caroline Hopkins

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