Prologue d'un roman avorté

luvian

Paris, cimetière du Père-Lachaise.

10 août 1993

Cela faisait trois jours qu’il pleuvait sans interruption, les rues se gorgeaient d’eau, les visages se faisaient tristes, dissimulés derrière des fenêtres closes où seuls se reflète l’isolement qui subsiste encore entre les gens même après des millénaires passés à vivre côte à côte. Un garçon, trempé de la tête aux pieds, n’aurait jamais voulu lui d’un soleil radieux. L’heure n’était pas au sourire, elle était aux pleurs. Les larmes du ciel inondaient la terre tout comme les siennes inondaient son visage. Son cœur semblait saigner sans interruption, volcan de lave prompt et sauvage. C’était horrible. Il est perturbant de voir que la vie continue lorsque l’on fait connaissance avec la mort pour la première fois. Pourquoi était-il toujours en vie ? Comment les gens pouvaient-ils faire la fête et sourire quand il n’y a en nous que douleur ? Peu de gens le comprennent mais le monde ne tourne tout simplement pas autour de notre seule tête. Voilà à quoi le garçon pensait, et faisait face. Mais lorsque notre seule étoile dans les ténèbres, notre soleil, disparaît, qu’importe tout cela, reste la déception d’une vie cruelle.

Sous un ciel noir, une sourde colère s’éveillait, provoquait des frissons sur la peau des rares personnes sorties dehors sous ce temps et déposait un froid glacial sur les nuques, faisant couler comme une perle de sueur qui prenait des allures de cristal de peur chez les gens, quand l’on sentait la tension qui existait dans l’air chargé de fureur à peine voilée.

Une dizaine de personnes étaient rassemblés tout autour d’un cercueil et assistaient, impuissants et prostrés à l’enterrement du père du jeune garçon. Assassiné racontaient les adultes. Ils auraient du incarner une retenue dont la maturité vous pare, mais tous tremblaient comme de fragiles arbustes sous les tempêtes. On l’avait retrouvé un couteau planté en plein cœur, le corps se vidant de son sang. La scène n’avait pas été belle à voir. Il en savait quelque chose. C’était lui qui l’avait trouvé gisant dans une flaque de sang grosse comme un étang. Il avait rendu l’âme, victime d’un crime dont il ne connaissait que trop bien les auteurs. Ils paieraient un jour. Il le jurait. Alors que le prêtre psalmodiait des paroles rituelles funéraires, il pensa à sa vie. Deux ans plus tôt, sa mère avait disparue, perdue dans les méandres d’une société elle-même en train de se perdre. Son père s’était alors occupé de lui. Il savait bien qu’à huit ans, les enfants normaux n’ont pas vécu autant de malheurs dans leur vie, qui fleurit tout juste. Mais la sienne était déjà bien stigmatisée par la cruauté. Aujourd’hui il se retrouvait seul. Sans père, ni mère et il ne savait que trop bien ce qu’il devait faire. Il devait disparaître, se fondre dans la masse pour survivre et plus tard traquer ceux qui lui avaient infligés tant de mal.

Tout se paye un jour. Certains sont récompensés par de la joie, d’autres par de la douleur. Mais derrière cette vérité, se cache un masque bien plus sale, employé par tout ceux qui voilent l’absence de leurs réactions sous prétexte de leur irréductibilité. Paroles d’excuses murmurées par des faibles. Il leur ferait ravaler leur manque d’audace, cette absence d’ardeur qui caractérise les langues de vipères, lâches reflets d’une gloire qu’ils déploient comme bouclier pour se protéger de leur déchéance. Ils étaient les vestiges d’un monde qui refusait de changer par simple couardise. Dramatique symphonie d’un monde qui se meurt. Oui, tout se voilait de ténèbres dans l’âme du petit loup. Seule une flamme brillant de mille feux refusait de tomber. Seule sa volonté ne capitulerait jamais.

Une jeune fille, qui l’observait au travers des pierres tombales espérait de tout son cœur qu’il ne tombe pas dans la spirale de la haine. Entrainé alors vers une nuit sans concessions, il ne saurait plus se contrôler et détruirait toute trace de bonté en son cœur. Elle ne voulait pas qu’il se perde au-delà de ce seuil inconnu. Elle éprouvait beaucoup de sympathie à son égard. Elle savait et comprenait ce qu’il endurait. La vie était dure, mais bien plus semblait celles que sont condamnés à vivre ceux qui gardent la tête haute face à ses coups. Mais il n’était pas question de tomber dans cet enfer, ni dans la folie de la guerre, cela aurait été accorder aux meurtriers de son père une satisfaction trop grande. Il ne leur offrirait pas ce plaisir. Il battrait ses ennemis, mais pas ainsi. Le cycle des saisons allait devoir se fendre et provoquer une éclipse où tout pourrait être à nouveau possible. La paix pouvait-elle s’instaurer dans un système empoisonné dans ses plus profondes racines ? Il se garderait bien de la haine. Elle ne lui ferait que l’éloigner de son but. Et tandis que le cercueil où reposait son père disparaissait de sa vue, s’enfonçant dans la mère terre, il jura de ne jamais abandonner. Il réussirait ou mourrait à la tâche. Tel est le destin que se fixe les bâtisseurs de légendes.

Il n’y avait plus devant la tombe que la peine mêlée au destin et la pluie sur le tout Paris. Le garçon était parti, il avait disparu dans les ombres. Personne ne l’avait vu partir hormis la jeune fille qui pleura pour lui. Quittant sa cachette, elle se joignit discrètement au groupe d’humains et déposa un bouquet de fleurs à l’attention du défunt. Qu’il repose en paix. Elle l’avait au préalable acheté pour un autre mais son père à elle la battait quand elle était jeune, et il ne méritait pas ce témoignage de bonté, malgré ce que disait sa mère. Quand tout le monde fut parti, elle resta seule, plongé en contemplation devant cette nouvelle tombe. Comment était-il mort ? Le méritait-il ? La vie n’était pas toujours juste, elle en avait fait l’expérience très tôt mais cela ne l’empêcha pas de sentir sa poitrine se serrer sous le coup des émotions. Elle écouta le vent et recueilli dans sa paume les dernières gouttes de pluie. Le temps arrêtait-il sa course de mort pour respirer de nouveau la vie ? Quelques éclaircies apparurent à l’horizon et la pluie cessa soudain.

« Vogue, vogue, vers le pays blanc

Un cygne t’y attend pour aller voir l’enfant.

Pose le regard sur l’eau qui t’entoure,

Elle est le miroir de ton âme sans détours. »

Elle jeta un dernier regard sur la tombe puis tourna sa tête et fut surprise de retrouver celle du jeune garçon.

  - Tu es revenu, s’exclama-t-elle, surprise ?

  - Je ne suis jamais parti répondit-il, un sourire au coin des lèvres.

Il s’agenouilla et piqua une plume tout à côté du bouquet de fleurs apporté par la jeune fille. 

  - Ce sont les tiennes lui demanda-t-il ? 

  - Oui...                                                                                        

  - Merci. 

  - J’ai tout vu de loin, j’ai pensé qu’il le méritait.

Il la regarda dans les yeux et déposa un baiser sur sa joue avant d’ajouter :

  - Je dois partir.

Il attendit un instant car il aurait voulu l’entendre parler à nouveau mais trop émue, elle ne répondit pas. Elle sentait encore son baiser sur sa joue, la flamme ardente d’un plaisir qu’elle avait attendu toute sa vie. Il s’en alla alors comme il était venu. Contre toute attente, il se retourna et la vit courir vers lui.

   - On se reverra lui dit-elle, avant de lui rendre son baiser.

Ils sourirent tous les deux et surent qu’ils ne seraient plus jamais seuls à compter de ce jour.

Le garçon regarda l’étonnante fille filer à toute allure et se dit qu’elle était vraiment belle. Elle était charmante. Il l’appréciait beaucoup.

    - Nous nous reverrons, c’est certain, ajouta-t-il pour lui-même à haute voix.

Il jeta un dernier regard à la tombe de son père. Concession à perpétuité. La famille était riche. Il leva la tête vers le ciel et aperçut les nuages qui s’assombrirent. Un orage ne tarderait pas à éclater. Une larme coula sur ses joues. Son père était mort à cause de lui. Pour le protéger. Il avait été le leurre, le faux fils de la prophétie. Il avait su qui était son enfant et avait fait ce que tout père loup qui se respecte aurait fait. Il s’était fait passer pour ce qu’il n’était pas. Ses ennemis étaient tombés dans le piège, pour son plus grand malheur. Au grand damne du jeune garçon, qui était l’enfant promis par l’oracle. Il jeta des regards tout autour de lui, vérifia que personne de son espèce ne rodait dans le coin et se fondit dans la masse humaine, déjà prêt à survivre aux futures heures de sa vie qui seraient bien sombres.

  • j'y penserai Alinoë, rien n'est impossible^^

    · Il y a plus de 11 ans ·
    84057931 o

    luvian

  • peut-être devrais-tu simplement, avec le recule, t'y replonger et remanier ce qui ne te plait pas! L'immaturité n'est pas toujours négatif dans un écrit, il fait partie de toi même si tu as évolué. Et puis, qui dit que TU dois être satisfait de ce premier jet, tant que le lecteur l'est! Après tout, peux-tu vraiment être objectif en relisant ce que tu a écris? ;-) Quoi qu'il en soit, si l'envie te prend de poster la suite, préviens-moi! je me ferai un plaisir de le lire!

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Vhrwx7 t 400x400

    Alinoë

  • En fait il y a une suite. C'est un roman que j'ai travaillé il y a un an. Mais c'était ma première expérience et même si j'apprécie des parties de l'histoire que j'ai écrite, elle témoigne d'une immaturité littéraire qui me gêne. Je ne suis pas satisfait de ce premier "roman". Peut-être y reviendrais-je un jour.

    · Il y a plus de 11 ans ·
    84057931 o

    luvian

  • Très bel écrit, j'espère qu'il y aura une suite..

    · Il y a plus de 11 ans ·
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    aurevoir

  • Très chouette! Dommage qu'il n'y ai pas de suite! En tous cas, voilà un prologue bien ficelé et juste ce qu'il faut pour donner envie d'en savoir plus! Si un jour l'envie te prend d'écrire une suite, n'hésite pas à me la suggérer! D'ailleurs, ça m'a fait pensé à une BD que j'adore: "End".

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Vhrwx7 t 400x400

    Alinoë

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