Promenade à Honfleur - Tendre vieillesse
sian
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Il lisait le journal. Elle lui proposa de sortir, faire une balade du côté d’Honfleur, et peut-être même pousser jusqu’à la mer. Il accepte avec plaisir, cela lui fera du bien de respirer le grand air. Tandis qu’il s’extirpe lentement du fauteuil, elle s’avance, comme toujours, et avec une douceur infinie lui effleure le bras. Elle fait toujours cela, une légère pression sur son coude, pas assez pour l’empêcher de tomber – pitié-plus-jamais – mais juste pour l’assurer de sa présence, comme un soutien moral à ce corps qui le lâche peu à peu. Reconnaissant mais toujours un peu gêné, il accepte cette marque de tendresse bien volontiers. Son regard à lui est tourné vers la cicatrice qu’elle masque tant bien que mal avec un foulard autour du cou, son épreuve à elle. Il attrape sa canne, met son chapeau. Elle s’assure que tout est fermé et le rejoint devant la maison. Elle a revêtu son long manteau marron, celui qu’il lui a offert à Noël dernier.
L’air normand est frais, et bien souvent humide, mais pourtant depuis qu’ils vivent ici, ils ne se sont jamais plaints. Le mauvais temps ne les atteint pas, ou plutôt il n’atteint pas leur esprit, car leur corps, lui, réagit à chaque variation d’humidité. Bras dessus-dessous, ils marchent ainsi à petits pas, saluant au passage les commerçants, les amis, les passants. D’un petit mouvement de tête, il lui propose de pousser jusque dans les hauteurs, selon la 4e variante de leur promenade, qui en compte une dizaine. Cet itinéraire qui monte sur les hauteurs de la ville a une saveur particulière, c’est là qu’il lui a demandé sa main il y a 50 ans. Cette même main qui se crispe sur son coude à l’amorce de la légère montée du sentier. Elle ne porte plus sa bague. C’est qu’elle a beaucoup maigri, et lorsque son doigt délicat a cessé de retenir la fine promesse métallique, elle a alors décidé de la porter sur une chaîne autour du cou. Elle en rit, racontant à ses amies qu’elle aime ainsi à penser qu’au marché, les nouveaux vieux venus la pensent célibataire, ou plutôt veuve, il y a un âge où cette nuance l’emporte.
Arrivés en haut de la petite colline, tandis que la mer s’étend au loin, le vent se durcit. Serrés l’un contre l’autre, il se dit que finalement, ils ressemblent un peu à ces deux arbres qui depuis des années grandissent à côté du sentier. Le tronc pâle et nu, dépouillés de leurs feuilles et de leurs forces, l’un attaqué par un parasite agressif, l’autre se tenant bien droit luttant contre le vent, ils forment un drôle de couple. Ils ont été verts et vigoureux puis ont vieilli, mais toujours à deux. En fait, ils ont vieilli tous les quatre ensemble.
Il lui raconte sa pensée, elle sourit, se tourne vers leurs alter egos végétaux et chuchote sur le ton du secret : « Je suis sûre que leurs racines ne font plus qu’un ».