Quand t’y allais, j’y revenais

esteban

La porte du taxi claqua violemment. Louis s’était précipité à l’intérieur comme pour fuir celui ou celle qui ne le suivait pas. Mais il avait en lui ce besoin de vitesse, d’accélération. De fuite physique.

Il siffla au chauffeur de se rendre à l’aéroport puis mentionna de suite de faire un crochet par sa banque. Il avait encore une dernière chose à solder ici. Son compte. Ses quelques économies, même maigres, seraient toujours utiles pour le voyage.

Ainsi débarrassée de cette formalité pécuniaire, la voiture filait à vive allure vers l’aéroport. Mais malgré les risques que prenait déjà le chauffeur suite aux nombreuses relances du jeune homme, ca n’était jamais assez. Louis se partageait entre le client irascible qui invectivait autant que possible le conducteur et le type désespéré allant même jusqu’à offrir plus d’argent s’ils arrivaient plus vite.

Deux facettes qui le torturaient encore un peu plus aujourd’hui mais qui pour une fois aller dans le même sens. Et il ressentait cette dualité pour tout. Il se sentait à la fois respirer à nouveau mais avait le souffle coupé par l’excitation du moment. Il était sûr de lui comme jamais il ne l’avait été et pourtant, il se retenait à chaque instant pour ne pas crier au chauffeur de faire demi-tour. Il était heureux de fuir et triste de partir.

Dans cette course, la mort les frôla de près à plusieurs occasions sur les routes bondées de ce samedi matin, mais Louis n’en avait cure. La mort, elle arriverait tôt au tard. C’était aussi pour remplir plus intensément le moment qui le séparait de ce jour qu’il fuyait.

Un dernier coup de frein violent et le taxi s’immobilisa devant la porte principale de l’aéroport. Louis jeta une poignée de billet qui aurait pu couvrir deux ou trois courses mais il n’avait pas le temps d’attendre la monnaie.

Son unique sac sur le dos, il cavalait désormais de couloirs bondés en halls surpeuplés. Tel un fugitif, il se surprit même un instant à jeter un œil derrière lui. Un sourire se dessina sur son visage puis s’effaça comme emporté par l’air qui glissait sur lui. La vitesse l’enivrait. Ces hommes et ces femmes qu’il croisait ou dépassait, comme la mémoire de ceux et celles qu’il avait connus jadis puis délaissés, oubliés. Comme une allégorie de sa vie. Mais il avait finalement cessé de courir il y a bien longtemps.

A ce moment là, malgré l’excitation, il se demanda s’il fuyait vraiment ou s’il n’avait pas juste eu envie d’un peu d’adrénaline dans ses veines. Celle qui l’animait par le passé et qu’il avait le plus perdu de vue. L’espace d’une seconde il songea à s’arrêter, et il ralentit même sa course. Et puis l’électrochoc qui l’avait poussé à fuir quelques heures plus tôt le piqua à nouveau. A moins que la vue de l’agence de voyage à seulement quelques dizaines de mètre ne lui fit réaliser que le départ était désormais trop proche pour y renoncer.

Il jeta son sac sur le sol et sans même un bonjour demanda un billet pour New-York. Un aller-simple. Il paya à nouveau en liquide. Il avait rendu à la banque sa carte de crédit, une chose parmi d’autres qu’il ne pouvait garder s’il voulait partir définitivement. Alors que la vendeuse finissait de valider son achat et d’imprimer le billet, il tapotait nerveusement sur le comptoir, achevant d’agacer la jeune femme. Quelques secondes plus tard, cette dernière lui jetait négligemment le tout sur le comptoir. Sans même un regard, il attrapa la pochette et son sac et reprit sa course. La vendeuse accompagna son départ du haussement de sourcils de celle qui en avait vu d’autres. Et en le regardant ainsi partir à l’aventure, elle se dit qu’elle aussi un jour, elle prendrait bien un aller-simple pour ailleurs. Un jour.

Louis s’éloignait lui à grandes enjambées, espérant que sa course aurait bientôt une fin. L’enregistrement était sur le point de se terminer. Une chance pour lui, il ne restait pratiquement plus personne et il bénit tous les passagers sages ou dociles qui étaient arrivés deux ou trois heures avant le vol. Il retrouva même un sourire fugace quand il obtint une place dans l’allée. Il détestait être coincé contre le hublot. Il avait vécu cela pendant trop longtemps. Cette sensation de ne pouvoir rien faire d’autre qu’observer les choses d’en haut. Et surtout de dépendre de l’autre.

L’hôtesse le sortit de ses rêveries. Une pause dans sa fuite. Une respiration. Mais pas l’ombre d’un doute.

Il repartit sur le même rythme alors qu’il ne lui restait plus qu’à passer le contrôle sécurité. Une formalité pour celui qui n’avait emporté que l’essentiel. Et aucune des choses qui le constituaient n’apparaissait sur la liste des choses interdites.

Il traversa le portique comme s’il passait la porte d’entrée d’une nouvelle vie. Il n’avait par contre pas prévu de le faire en chaussettes. Alors qu’il rajustait sa ceinture, son regard se posa au delà de la zone de contrôle. Les salles d’attente s’étendaient à perte de vue, comme un havre de paix entre deux mondes. Des dizaines d’hommes et de femmes patientaient plus ou moins paisiblement. Une parenthèse dans le temps.

Et autour de lui, qu’ils semblent stressés ou non, les voyageurs avaient tous le même objectif. Quitter les lieux. Alors en quoi ce qu’il faisait était-il plus condamnable ?

Encore quelques pas et il entrerait en zone neutre. Cet espace flou entre ce qu’il s’apprêtait à quitter et ce qu’il envisageait de rejoindre. Si tout se passait bien.

Une fois son sac en bandoulière, il se mit alors à marcher tranquillement pour la première fois de la journée, tel un réfugié après la frontière passée.

Quand il s’assit finalement un peu à l’écart, face aux pistes de décollage, il prit une lente inspiration. Il avait réalisé aujourd’hui presque sur un coup de tête ce qu’il avait si souvent fantasmé ces derniers mois. Et devant ses yeux, chaque avion qui prenait son envol dans un bruit sourd symbolisait sa course. Et chacun d’entre eux disparaissait à l’horizon lui rappelant que sa fuite s’était surtout s’évanouir dans l’inconnu.

Synopsis :

Louis est un homme d’une trentaine d’année. Il vit tranquillement sous le soleil des tropiques sous une quelconque longitude. C’est là qu’il s’est installé quelques années auparavant, fuyant à l’époque une vie trop rangée, un mariage précipité et une atmosphère pesante.

Ici, loin de tout et loin des siens, il découvre un bonheur simple auprès de sa petite amie, une jeune étudiante qui rêve elle d’aller travailler en Europe. En attendant, c’est justement l’occident qu’il essaye d’oublier. De se construire en se concentrant sur lui-même et en faisant fi de son passé.

Mais ici ou ailleurs, son histoire le rattrape. Et sa fuite à l’autre bout du monde n’a finalement rien changé à sa mélancolie qu’il habille d’oisiveté et de jolis moments passés avec sa bien aimé.

Quand le roman commence, Louis s’enfuit à nouveau. Mais cette fois, il fuit pour rentrer chez lui. Même s’il ne le sait pas encore à ce moment-là.

Après avoir hésité si souvent, cette fois il trouve assez de courage. Sans vraiment réfléchir, il prend un billet pour New-York. La ville de tous les possibles. Il n’a pas vraiment l’intention de s’y attarder, mais dans son esprit il veut s’y arrêter avant de prendre une décision. Y vivre pleinement les excès qu’il n’a jamais vécus et dont il se sent presque incapable avant peut-être d’aller reprendre le court de son ancienne vie à Paris. Ou bien de continuer ailleurs. Il a l’impression que c’est ici où jamais.

Mais une rencontre imprévue va bouleverser ses plans. Une femme. Un peu plus âgée que lui. Une américaine qui rentre après plusieurs années passées en France. Comme lui, elle est de retour d’exil. Elle laisse là-bas un homme et un enfant, qu’elle évoque à peine, comme une parenthèse.

Tous les deux un peu paumés, ils vont vivre une histoire. D’amour. D’amitié. De conflits. Une fuite perpétuelle et quotidienne comme pour ne pas voir qu’ils ne sont pas du tout fait l’un pour l’autre.

Et puis, plus rapidement cette fois, il comprendra qu’à nouveau il s’égare en voulant éviter d’affronter la réalité. Il décidera de reprendre la route. De finir cette fuite qui n’est rien d’autre qu’un retour aux sources.

Quelques temps encore à New-York, il passera par Londres puis le sud de l’Europe avant d’enfin atterrir à Paris. Il brulera ses dernières économies, retrouvera d’anciennes connaissances et explorera quelques facettes insoupçonnées de sa personnalité.

Et finalement, au fil de son voyage et de rencontres improbables et touchantes, il découvrira que l’important n’est pas le lieu mais ce que l’on y fait. Qu’il devra avant toute chose se débarrasser de ses démons pour être bien. Peu importe où.

Signaler ce texte