Dérives
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Dérives
« Ceci est un message de l’Organisation Mondiale de la Santé. Les voyageurs de cette gare sont priés de porter un masque de protection respiratoire, de se laver les mains avec un gel hydro-alcoolique antibactérien et virucide toutes les heures et de ne pas tenter de toucher un autre individu. Merci. » La voix robotique s’arrêta. Dans quelques minutes, elle raisonnera encore dans l’édifice. Depuis près de 60 ans, inlassablement, à intervalles réguliers, elle répétait ce message.
Régina patientait sur l’un des quais de la gare Saint-Lazare. Son train n’allait pas tarder. Plus elle entendait les recommandations de la voix de synthèse, plus elle se sentait exaspérée. Il y a quelques décennies, le robot préconisait même de jeter les mouchoirs usagés. C’était un acte tellement évident ! Elle se demandait comment les gens avaient pu avoir besoin de recevoir ce genre de recommandations. C’était une autre époque. Aujourd’hui, l’hygiène était devenue une priorité pour tout le monde. Régina s’installa près de la fenêtre pour mieux laisser aller ses rêveries. Des rêveries de fuite. « Ce train est à destination de Versailles Rive Droite. Attention à la fermeture des portes ». Comme chaque soir après les cours, elle rentrait dans sa banlieue tranquille, où elle vivait avec ses parents. Des parents qu’elle n’avait jamais embrassés.
« - Passez-moi votre supérieur ! Non je n’attends pas ! Ne me remettez pas en attente ! Je veux parler à mon père ! »
Pour la quinzième fois de la journée, Andrew tentait désespérément d’obtenir des nouvelles de son père. Il était sans nouvelles de James depuis 38 jours. Soit cinq jours après sa mise en quarantaine.
« Il ne répondent toujours pas à tes questions ?
- Non, je tombe toujours sur un nouvel interlocuteur du service de santé de l’OMS, à qui je dois tout réexpliquer, qui part se renseigner et me dis ensuite que mon père est mort. Ils auraient brûlé sa dépouille, fin de l’histoire.
- Ils peuvent faire ça sans ton consentement ?
- Bien sûr ! Raison de santé publique ! Mais j’ai vu mon père avant sa quarantaine, Anthony, il n’avait qu’un rhume…
- A son âge, les choses peuvent vite dégénérer…
-Je n’y crois pas ! Mon père m’a fait promettre de tout tenter pour le retrouver s’il disparaissait après sa quarantaine. Il savait que quelque chose de louche allait arriver. Plusieurs de ses amis ont disparu de cette façon. Il trouvait ça étrange et soupçonnait un mauvais coup des autorités…
- Ne me dis pas qu’il adhérait aux théories des révoltés ! Et ne me dis pas que tu y crois ? Ce sont des anarchistes !
- Je me pose juste des questions et je cherche des réponses.
- Un conseil, ne cherche pas trop loin. Ton père est mort, c’est triste, mais au moins il ne t’a pas contaminé. »
C’était toujours la même rengaine. La mort des gens atteint d’un virus, quel qu’il soit, n’émouvait plus personne. Chacun pensait plutôt à la contamination évitée. La notion de nation n’existait plus depuis l’avènement de l’OMS comme gouvernement mondial souverain. Les questions de santé avaient réussi là où toutes les autres valeurs avaient échouées : les hommes s’étaient unis pour ne plus tomber malade.
L’horloge indiquait 18 heures. Andrew pouvait enfin quitter son bureau. Il avait mieux à faire que de créer des sites internet aux graphismes animés et aux couleurs flashys. La disparition de son père l’obsédait. Et le manque de compassion de ses collègues l’irritait.
Andrew n’avait jamais réellement mis en cause le système. Ses origines anglaises paternelles l’avaient élevé dans le respect de l’ordre établi. Mais de sa mère, française, il avait acquis un certain esprit critique qui lui donnait parfois envie de se révolter. Il essayait de remonter le cours des événements. Son père avait été emmené après une banale prise de sang, effectuée toutes les semaines au centre social de son arrondissement. Cette mesure était obligatoire pour les enfants de moins de 12 ans et les personnes de plus de 50 ans, les femmes enceintes et les personnes jugées fragiles physiquement – une notion restée volontairement vague pour permettre au gouvernement de pouvoir procéder à un maximum de tests -. Le reste de la population se contentait d’une prise de sang mensuelle.
Le médecin avait décelé un rhume chez le père d’Andrew. Conformément à la loi, James avait été placé en quarantaine à l’hôpital. Aucune visite n’était autorisée, les patients donnaient de leurs nouvelles par e-mail ou téléphone. Mais Andrew n’en avait jamais eu. Il s’était donc rendu à l’hôpital. « Votre père a succombé à son rhume » lui avait dit l’hôtesse d’accueil. Il avait exigé de voir le médecin qui l’avait soigné, avait fait le pied de grue devant le bâtiment, avait harcelé au téléphone les autorités, mais il n’obtenait jamais d’explication, de détail... Andrew ne comprenait pas. Comment James a-t-il pu mourir d’un rhume, lui qui allait bien quelques jours auparavant, lui dont la bonne constitution faisait nombre d’envieux dans son club d’échec…
James lui avait parlé de Grégoire, Hélène, Sandra et Julien, des amis « disparus » durant les six derniers mois, après un séjour à l’hôpital pour une toux suspecte ou un mal de tête persistant. Ces septuagénaires paraissaient en bonne santé, et James avait confié à Andrew son scepticisme.
« On ne meurt plus d’une toux suspecte ou d’une gastro-entérite. Plus aujourd’hui Andrew ! Quelque chose d’anormal se passe.
- Papa, les gens meurent, ça fait parti de la vie.
- Mais où sont leurs dépouilles ? Pourquoi on ne peut pas les voir ? Les révoltés disent que…
- Papa ! Tu ne vas pas te mettre à écouter ces fous ? Ils pensent que tout le système repose sur un complot. Ils se jouent des maladies en se touchant sans gants. Ils ne respectent pas nos lois, nos normes d’hygiène !
- Ecoute au moins leur opinion à propos des personnes disparues !
- Papa… Très bien ! Expose-moi leur nouvelle théorie !
- D’après eux, après quelques jours de maladie –peu importe la maladie-, si les autorités soupçonnent le patient d’être atteint d’une forme grave de virus, comme le H1N1 ou la tuberculose, ils l’emmènent dans un endroit tenu secret. Ils procèdent à des analyses, tentent de le soigner. Au bout de 30 jours, guéri ou pas, par précaution, ils l’exilent.
SYNOPSIS
Andrew mène sa vie sans se poser de questions. Son travail de graphiste lui convient, son célibat de jeune trentenaire parisien aussi, et il accepte un quotidien aseptisé. Pour Régina, c’est différent. Elle ne supporte plus le monde dans lequel elle évolue. A l’université, dans sa famille, avec ses amis, elle remet en cause une vie qu’elle n’a pas choisie. Celle d’une société où la crainte de la maladie a pris le dessus sur les rapports humains. Une société qui, pour échapper aux épidémies, a fui le contact, la tendresse, les émotions. La disparition du père d’Andrew va réunir ces deux individus que tout oppose.
Depuis une soixantaine d’année, l’Organisation Mondiale de la Santé régit la vie des gens de manière supranationale. Dans ce futur proche, les gens portent des masques sur la bouche, prennent des fortifiants, nettoient en permanence leurs domiciles et les lieux publics. Plus personne ne s’embrasse, plus personne ne se tient la main, plus personne ne se touche. A la moindre toux, la moindre fièvre, on est conduit dans un hôpital pour de multiples examens. Ce fut le cas de James, le père d’Andrew. Après quelques jours, il a été déclaré mort… d’un simple rhume. Andrew est alors envahi par le doute. Il n’a pas vu le corps de James et il commence à s’interroger sur le monde qui l’entoure. Pourquoi les gens sont-ils si terrifiés par les virus et les bactéries, si hostiles aux rapports physiques, si effrayés à l’idée de mourir ?
Chacun en quête de réponses, Régina et Andrew vont se rencontrer à l’occasion d’une réunion clandestine, organisée par un groupuscule dénommé « Révoltés ». Ces marginaux, luttant pour un rétablissement du « toucher », soupçonnent l’Organisation Mondiale de la Santé d’éloigner tout risque de contamination en exilant les personnes malades. Une idée dérangeante. Andrew et Régina vont partir à la recherche de la vérité sur la disparition de James, aidés par les « Révoltés », dont le charismatique Sitar, et traqués par les autorités.
Leur périple s’avèrera éprouvant. Au cours de leur voyage, ils découvriront un autre modèle de société. Des exilés ayant guéri de leurs maladies ont construit une communauté autogérée et libre, ironiquement appelée la « No man’s land ». Ils acceptent que la mort fasse partie de leurs vies.
Tout au long du voyage, au gré des révélations sur le fonctionnement de cette société dite « moderne » et des interactions humaines entre les personnages, tous vont apprendre. Les personnalités vont se dévoiler, les caractères s’affirmer, et les certitudes, parfois, voler en éclat. Chacun va s’interroger sur le sens de sa vie, sur la société qu’il veut construire, sur l’avenir qui se dessine. Et plus encore, sur ce qui définit l’homme. Est-ce sa capacité à défier la nature ou bien l’expression naturelle, par le contact, de ses sentiments ? Nul ne se sera épargné par un bouleversement intérieur. Mais cette fuite d’un monde sera peut-être la conquête d’un autre.
"les hommes s’étaient unis pour ne plus tomber malade."
· Il y a presque 12 ans ·Ton histoire repose sur une idée sacrément intéressante ... et ma foi pas si incongrue que ça si on constate la montée de l'hygiénisme actuel.
laracinedesmots
je trouve ton idée de départ intéressante ;)
· Il y a presque 12 ans ·Mathieu Cesa