Quel beau dimanche

laurent-pieroni

Des adolescentes décident d'administrer une leçon de vie à une jeune adulte.

Imaginez le concept de la série télé "Mission Impossible" retranscrit dans le monde des adolescentes, avec un clin d'oeil et hommage à Feydeau et sa mécanique infernale, où un léger mensonge en entraine un autre un peu plus gros, puis d'autres de plus en plus énormes jusqu'à l'absurde...

Cette pièce évoque, sous le rire, la fascination des adolescentes pour le monde des adultes, et leur regard très critique sur celui-ci. Ce sentiment ambivalent les conduit à un sentiment de supériorité, qui disssimule leurs angoisses, et des actions extrèmes.

La pièce traite aussi des difficultés pour une jeune adulte de s'assumer en tant qu'adulte à part entière ainsi que les difficiles rapports mère/fille.  

Précisions sur l’âge des personnages :

Aurore : 15 ans

Pimprenelle : ( dite « Pimp » ) : 12 ans

Summer : 12 ans

Léa : 23 ans 

Marie : 21 ans

Bernard : 45 ans

Martin : 21 ans

Josiane : 46 ans

Flora : 11 ans

Noémie : 12 ans

Armelle : 12 ans

Clémentine : 8 ans           

                                                               ***

( dans la cage d’escalier d’un immeuble )

Aurore : Bon, vous venez, oui ou non ?

Pimprenelle et Summer : Non !!!

A: Comment ça « non ?!

P et S : Non !!!

A : C’est pas une réponse, ça, « non » !!!

P : Bien sûr que « non », c’est une réponse !

S : « Non » est autant une réponse que « oui » !

P : Exact !!! « Non » et « oui », c’est pareil !

S : Enfin pas exactement. « Non » et « oui », ce n’est pas pareil ; ça n’a pas le même sens.

P : Oui, mais dans ce cas-là, c’est pareil !

S : Non ! Si on dit « non », on accepte d’entrer dans cet appartement, si on dit « oui », on refuse d’entrer dans cet appartement.

P : Oui, mais non… enfin on est d’accord, non ?!!!

S : Tu vois bien que non !

P : Oui, mais sur le « non », oui !

S : Oui, sur le « non » !

P : Non au « oui », oui au « non » !

S : Oui au « non », non au « oui » !

P et S : C’est clair, non ?!!!

A : Putain, les filles ! Ça y est ! Vous me fichez une de ces migraines !

P : Aurore ! Surveille un peu ton langage ! Je t’ai donné une liste des jurons autorisés ! ( sortant une liste ) Saperlipopette, saperlotte, sapristi, palsambleu, morbleu, flûte, zut, mazette…

A : Eh ! Oh !!! On est au XXI ème siècle ! Je vais pas causer comme au Moyen-Âge rien que pour te faire plaisir !

S : Ne fais pas attention. Fais comme moi, ignore-la ! Ou alors, tu lui dis simplement « oui ! oui ! »

P : Hein ?!!! Quoi ?!!!

S : Oui ! Oui !

P : Non mais je vous signale que je vous ai entendues !

A : Oui ! Oui !

P : Bon ! Puisque c’est comme ça, je n’ai rien plus à dire, je me tais !

A : Dis donc ! T’avais raison, ça marche super bien, ton truc !

S : CQFD !

P : Bien ! Moi, je vous laisse. Je m’en vais méditer.

A : Tu vas où ?

P : Eh bien, il est reconnu que le meilleur endroit pour méditer est le désert mais faute de désert, je vais à la mer.

A : Ah parce que tu trouves que la mer, c’est ce qui ressemble le plus au désert ?

P : Ben oui ! Y a du sable !

S : CQFD ! Bon, je vais avec elle. Je compte bien me baigner.

A : Eh bien moi je vais dans l’appartement. Je compte bien sauver une âme.

S : « Sauver une âme » ?!!! Tu ne crois pas que tu en fais un peu trop ?

A : Ecoutez-moi ! En tant que Jeannette, nous avons le devoir de nous mobiliser et d’aider notre prochain. Vous êtes d’accord ?

P et S : Oui !

A : Et jusqu’à présent vous avez refusé le projet d’aller aider à encadrer des enfants dans un centre aéré d’un quartier défavorisé.

P : On veut bien aider notre prochain mais des prochains un peu plus proches…

S : Dans notre quartier par exemple.

A : Vous avez refusé le projet de porter leurs courses aux personnes âgées du quartier.

S : Ne sois pas de mauvaise foi ! On l’avait accepté avant de le refuser !

P : Et on avait refusé pour de bonnes raisons !

S : Ah oui !!! Et après avoir essayé !

P : La personne âgée que j’avais adoptée m’avait envoyé chez le marchand de primeurs. Et j’ai confondu poivrons rouge et piments rouge. Bon, ça peut arriver. Mais comme elle, elle a la vue très basse, elle ne s’en est rendue compte qu’au moment du repas

A : Bon, mais pour toi, ça s’était bien passé, non ?

S : Façon de parler. La mienne avait une très bonne vue mais elle était sourde comme un pot.

A : Eh bien, tu vois ! C’est avec les sourds qu’on s’entend le mieux, c’est bien connu.

S : Oh mais elle s’entendait bien avec moi, c’est moi qui ne m’entendait pas avec elle.

A : Et pourquoi ?!

S : Justement parce qu’elle s’entendait trop bien avec moi. Elle se croyait obligée de se jeter sur moi pour m’embrasser ou plutôt me ventouser les joues ! Je ralais mais elle ne voulait rien entendre. Bon, ou elle ne pouvait pas ! Une fois elle en a même perdu son dentier, j’ai dû le nettoyer et batailler une demi-heure pour le lui remettre.

P : Tu vois ? L’humanitaire, c’est moins facile qu’on ne le croit. 

A : Mais là, c’est de l’humanitaire tout facile. J’ai déjà tout prévu, tout préparé, C’est du tout cuit… ou plutôt, c’est… comme du surgelé, y a plus qu’à réchauffer.

S : Voilà qu’elle nous invente l’humanitaire surgelé !

A : Ecoutez… la nouvelle locataire au dernier étage, Léa, a 21 ans, elle est célibataire et comme elle est arrivée que depuis 3 mois dans la région, elle n’a pas d’amis. Et on est devenues copines toutes les deux, mais elle a besoin de fréquenter des gens de son âge, Et du coup les samedis soirs, elle invite n’importe qui, rencontré n’importe où et fait une bringue pas possible. Et ce n’est pas sain. Et tout ça, parce qu’elle se sent seule, alors qu’au fond, c’est une fille bien, clean, sans histoire. Mais… une idée… oui, une idée a vu le jour dans ma petite cervelle.

P : ( pensive ) Comme c’est triste d’être seule !

S : Tu parles de son idée ou de la nana ? 

A : Ne plaisante pas ! J’ai lu une histoire dans le journal qui m’a ouvert les yeux sur les dangers que courait ma voisine, c’est-à-dire mon prochain. Une jeune femme, solitaire comme elle, a été arrêtée pour détention de drogue. Et elle a eu beau jurer qu’elle ignorait la présence de cette drogue chez elle, qu’elle avait l’habitude de faire des fêtes chez elle en invitant des inconnus et que c’était sûrement l’un d’entre eux qui l’avait caché là pour la stocker sans prendre de risque, la police ne l’a pas crue, la justice ne l’a pas crue et ses voisins ne l’ont pas crue.

S : Et toi, tu la croies ?

A : Non, mais la question n’est pas là ! Ça pourrait vraiment arriver. Et j’ai de suite pensé à Léa. Un jour elle va se faire vider l’appartement ou se faire piquer sa carte bleue…

P : Et puis il pourrait lui arriver pire encore. Elle pourrait… ( avec horreur ) se faire violer !!!

A : Ah ça, ça m’étonnerait parce que « violer » c’est quand on veut pas, et elle, si j’ai bien compris ce qu’elle m’a dit en confidence, elle veut ! Elle veut même beaucoup !

S : Oui, mais peut-être pas avec le premier venu !

A : Mais avec le dernier arrivé, peut-être bien !

P : Avant le mariage ?!!!

A : Ma pauvre Pimprenelle, je crains bien qu’elle ne veuille consommer sans dire le bénédicité.

S : Eh oui, c’est ça la société de consommation. De nos jours tout le monde teste avant d’acheter. Mais pour en revenir à ton idée, comment comptes-tu ramener la brebis égarée ?

A : La peur !!! Regarde ces petits sachets remplis de poudre blanche. Ça te fait penser à quoi ?

P : À des sachets remplis de sucre en poudre… mais c’est pas ça ?

A : Euh… oui, en fait c’est exactement ça. Mais quelqu’un comme elle va sûrement penser à des sachets de drogue cachés là par quelqu’un et elle pensera que c’est sûrement quelqu’un qu’elle a fait monter chez elle sans se méfier et ça va lui flanquer la frousse et lui servir de leçon.

S : Mais quand elle va trouver les sachets, elle va goûter le contenu pour savoir ce que c’est.

A : J’y ai pensé. Au sucre, j’ai ajouté du sel, du bicarbonate et du talc pour masquer le goût.

P : Et comment vas-tu faire pour les cacher chez elle ? Et surtout pour les cacher en cachette ?

A : Facile !

P : Tu t’es entraîné pour crocheter une serrure !!! J’ai lu un truc comme ça dans un roman du club des 5 !

S : Y a un badge à gagner en scoutisme pour ceux qui arrivent à forcer une serrure ?

A : Non mais où vous allez chercher des idées pareilles ?

P : Non mais je rêve ! C’est elle qui va nous faire la leçon sur le risque d’avoir des idées saugrenues !

A : Mais mon idée à moi n’est pas du tout… comment tu as dit déjà ?

P : Dit quoi ?

A : Ce mot venu de la préhistoire… « saugrenue ». Eh ben, pas du tout ! C’est du réfléchi tout ça, les filles. Du réflexionné ! Et au final, c’est tout simple. Léa a laissé un double de ses clés à ma mère. Ma mère les a rangées dans un tiroir. Moi je les ai prises dans le tiroir. Là, il est 7 h 30 du matin, un dimanche… vous pouvez être sûres qu’en ce moment elle dort dans le coma. On entre, on cache, on sort ! Ni vu ni connu, j’t’embrouille dans ton intérêt !

P : Et tu es certaine que ça va la faire réfléchir et changer de vie ?

A : Attends, les jeunes d’aujourd’hui, ils comprennent que ça, les coups de pieds au cul ! Moi, tout ce que je propose, c’est qu’on aille… gentiment… et pour son bien… lui botter le cul.

P : C’est une image bien sûr ?

A : Ben oui.

S : Bof… pourquoi pas ? Ça nous distraira toujours un peu avant la messe de 11 h.

P : Je t’ai déjà dit que je trouve ton assiduité aux offices religieux formidable pour la fille de parents hippies et anticléricaux.

S : Ben moi, du moment que ça les fait chier…    

A : Assez discuté ! On y va ?

P et S : Oui !

( elles arrivent dans l’appartement : décor un lit rudimentaire où dort quelqu’un et un petite canapé ou fauteuil renversé d’où émerge un pied )

A : Putain… le bordel !

P : Comme tu dis !

S : Chuuut ! Vous voulez la réveiller ou quoi ?

A : A mon avis, on pourrait tirer au canon, ça changerait rien.  ( s’approchant du lit ) Elle pionce mon vieux, je te dis pas.

S : ( en montrant le canapé renversé d’où dépasse un pied ) Là aussi ça roupille dur.

P : ( regardant dans un placard ) Dans le placard aussi, ça dort à poings fermés.

A : Dans le placard ? Fais voir !... Putain !

S : ( en riant ) C’est une histoire à dormir debout.

A : C’est pas le moment de dire des conneries.

S : ( vexée ) Ben non, puisque c’est le moment d’en faire.

A : Bon, soyons efficaces. Où on planque les sachets ?

P : Je croyais que tu avais réfléchi à tout !

A : Non mais dîtes… j’allais pas me taper seule tout le boulot. Je vous en ai gardé un peu. Alors… où est-ce qu’on les cache ?

P : Mais ne me regarde pas comme ça, j’en sais rien, moi ! Je ne suis pas une intégriste de la bonne action, moi. J’ai jamais fait de chose comme ça.

S : Pas la peine de me demander. Moi, c’est pas mon problème.

A : Ah vous, c’est vraiment un plaisir de vous demander un service… Bon…euh… Je crois que j’ai le commencement d’une idée.

P : Super ! Et tu en aurais la fin aussi ?

A : Eh ! Oh ! J’ai déjà dit que je pouvais pas tout faire toute seule ! A toi de trouver la fin !

P : D’accord. C’est quoi ton début ?

A : Ben, peut-être que…

P : Que quoi ?

A : Ah ben à toi de finir !

P : Ah d’accord ! C’est vraiment le début du commencement du point de départ.

S : Réfléchissez un peu. Il faut pas qu’elle mette 6 mois pour les trouver. Il faut les mettre dans un endroit où elle les trouvera de suite. Style le mec ou la meuf qui les a laissé était trop défoncé pour bien les planquer. Alors quand on se lève avec la gueule de bois on va d’abord aux toilette gerber un bon coup, mais si on les planque là, elle sera trop comateuse pour les trouver. Après, elle va aller se réveiller sous la douche… on n’a qu’à les mettre dans le porte-savon de la douche… Efficacité garantie.

A : Là tu m’impressionnes.

P : Moi, tu m’inquiètes.

( Léa se lève semblant ne pas voir les filles tétanisées. Elle va se moucher et retourne se coucher sans rien dire )

P : Tu… tu crois qu’elle nous a vues ?

S : Comment veux-tu que je sache ?

A : Si elle nous avait vues, elle aurait dit quelque chose.

S : Pas sûr. Quand tu vois les gens, t’es pas obligée de leur parler.

A : Quand tu vois au réveil des étrangers dans ta chambre, tu parles !

P : Ou tu hurles.

S : Elle réfléchit peut-être à ce qu’elle va dire.

A : Faut en avoir le cœur net. ( elles vont voir à la tête du lit )

P, S et A : Elle dort.

A : Vite ! Go ! Go ! Go ! ( Pimprenelle et Summer filent vers la sortie et Aurore dans la salle de bain )

P et S : ( sur le point de sortir ) Aurore ! ( elles se retournent et foncent chercher leur copine qu’elles ramènent en courant )

A, P et S : Go ! Go ! Go !

P : ( sur le point de sortir ) Ma chaussure !

S : Quoi ta chaussure ?

P : J’ai perdu ma ballerine en courant.   

A : Pimprenelle, tu fais chier !!! (elles se retournent et foncent chercher la chaussure dans la salle de bain )

A, P et S : Go ! Go ! Go !

S : ( sur le point de sortir ) Mes clés. J’ai perdu mes clés.

A : Hein ? Tu déconnes ?

S : ( riant ) Ouais !

A : Summer, tu fais chier !!!

P : C’est pas le moment ! Go ! Go ! Go ! ( elles sortent et dévalent les escaliers en courant )  

( Léa se redresse brusquement. Elle se demande si elle n’a pas entendu du bruit. Elle se lève, va à la porte, passe la tête dans l’escalier, ne voit personne, baille, retourne se coucher, passe devant le pied sans réagir sur le coup, fait encore 2 pas, puis s’arrête, rétropédalage, et examine le pied, puis se penche sur la personne cachée par le meuble renversé )

Léa : Bonjour ! Excusez-moi mais je crois qu’on se connaît pas. ( une jeune femme émerge, à moitié endormie )

Marie : ( voix très pâteuse ) Hein ?

L : Est-ce que ça va ?

M : ( regardant autour d’elle ) Non.

L : Je suppose que vous voulez un peu de café ?

M : Oui.

L : Je m’en occupe. ( partant vers la cuisine ) Vous voulez autre chose ?

M : Oui.

L : ( revenant sur ses pas ) Quoi ? Si vous voulez j’ai des céréales nature pour le petit déjeuner mais j’suis navrée, y en a plus au chocolat. Je les ai finies hier. Sinon j’ai des biscottes, de la confiture, du miel, je peux vous faire des œufs aussi si vous voulez, brouillés ou à au plat, ou à la coque aussi, mais moi j’aime moins. Enfin, après c’est vous qui voyez…   Alors, qu’est-ce qui vous ferait plaisir ?

M : Savoir…

L : Savoir quoi ?

M : Vous êtes qui et ici, c’est où ?  

L : Je m’appelle Léa Barbieri ( lui tendant la main ) et ici… c’est mon p’tit chez moi. Et vous ?

M : ( lui serrant mollement la main ) Moi ?

L : Oui, vous.

M : Moi, je m’appelle Marie et ici c’est pas chez moi.

L : ( riant légèrement ) Ah ben, non, puisque c’est chez moi.

M : Mais comment je suis arrivée ici ?

L : Mais qu’est-ce qu’on s’en fiche. Vous êtes là, et c’est le principal.  

M : C’est gentil, mais tout de même… j’aimerais bien savoir…

L : C’est pas grave, je vous dis. Faîtes comme chez vous, et moi, je m’occupe du petit déjeuner. ( elle va dans la cuisine. Marie essaye de reprendre ses, commence un mouvement pour se lever mais pousse un cri )

M : Aaaaaaaaaaaahhhhhhh !!!!!!!!!!!!

L : Quoi ?!!! Qu’est-ce qu’il y a ?!!!!!

M : J’ai… j’ai une culotte…

L : Oui ?... Et où est le problème ? 

M : Non, mais vous ne comprenez pas. J’ai perdu mon pantalon ! Je n’ai qu’une culotte !  ?!!!

L : Ben oui, je vois !

M : C’est vous qui m’avez enlevé mon pantalon ?

L : Non !!!... Enfin je crois pas…

M : Qui vit ici à part vous ?

L : Personne. ( regardant autour d’elle ) Enfin, je crois… Ecoutez, c’est peut-être tout simplement vous qui avez enlevé votre pantalon toute seule !

M : Ah ça m’étonnerait ! Je n’enlève jamais mon pantalon chez quelqu’un à qui je n’aie pas été présentée.

L : Vous êtes sûre ?

M : C’est une question de principe !

L : Ah ben si c’est une question de principe…

M : Mais parfaitement ! Et maintenant j’exige qu’on me rendre mon pantalon !!!

L : Mais je l’ai pas moi, votre pantalon !!!

M : Et moi non plus je ne l’ai pas mon pantalon…

L : Oui, non mais j’ai compris. Et ça vous gêne ?

M : Mais ouuuiiii enfin !!!!!!!

L : Bon, tenez prenez ce drap en attendant qu’on retrouve le falzar perdu. ( Marie prend le drap et se le met autour de la taille )

M : Faîtes quelque chose je vous en prie, je vous préviens que je suis sur le point de piquer une crise !!!

L : Ben oui, je le vois bien ! Mais vous savez, faut pas le prendre comme ça. Votre culotte est très pudique, je vous assure. Ça n’a rien d’un string. On en met deux comme à l’intérieur.

M : Ah je vous en prie ! Un peu de retenue dans les commentaires !

L : Oh moi, je disais ça, c’était pour vous.

M : Oui, eh bien je ne le tolère pas ! Et toute cette histoire est intolérable !!! ( trépignant et lâchant le drap )

L : Ah je vous en prie, gardez votre sang froid et surtout gardez votre drap autour de la taille !!! Parce que si ça peut vous rassurer, vous n’êtes pas franchement mon genre.

M : Mais j’espère bien !!!

L : On va le chercher et on va le trouver votre pantalon. Cet appart est minuscule, en cherchant 2 secondes on trouve toujours tout.

M : Y a intérêt parce que tout ça, c’est votre faute !!!

L : Ah écoutez, je ne vous ai pas invitée chez moi ! Et je n’ai rien à voir avec la disparition de votre pantalon !...

M : C’est vous qui le dîtes !

L : Pour la dernière fois, je vous assure que vous n’êtes vraiment pas mon type d’homme !

M : Pardon ?!!!

L : Enfin, je voulais dire mon type de femme !

M : Ah bon ?!!! Parce que les femmes aussi ?! Eh bien….

L : Mais non, j’ai jamais dit ça !

M : Ah mais si !!!

L : Bon !!! Arrêtez de m’énerver, ça me déconcentre pour chercher !... Ah !!! Et voilà !!! Je l’ai trouvé votre pantalon ! Qu’est-ce que je disais qu’on trouvait tout en 2 minutes ici ! Il était juste là dans mon lit, dans mes draps ! Vous voyez bien que je n’y étais pour rien !    

M : Ben tiens… Et comment vous expliquez qu’il se soit retrouvé entre vos draps, dans votre lit ?

L : Mais ne le prenez pas comme ça ! Non mais oh… je peux l’expliquer parfaitement. C’est tout simple, c’est que... que… et puis tout d’abord, je n’ai rien à vous expliquer du tout ! Après tout c’est mon lit, c’est mes draps, ici c’est chez moi et tout ce qui s’y passe ne regarde que moi et donc je n’ai aucune explication à vous fournir ! Voilà !!!

 M : Ah ben celle, elle est forte !

L : Mais parfaitement ! Et vous ?!!! Vous pouvez expliquer ce que vous faîtes chez moi, en sous-vêtement à 8 h du matin un dimanche ?

M : Eh bien non…

L : Eh bien voilà. Et je ne vous demande aucune explication !

M : Mais moi, je vous en demande !

L : Et moi, je ne vous demande qu’une chose, c’est de foutre le camp !

M : Non mais quelle grossièreté !!! Mais je n’insisterai pas plus. Le temps d’enfiler mon pantalon, et je disparais.

 L : Attention le drap !

M : Oh oui ça va !... Hypocrite, vas !

L : Comment ?

 M : Je suis sûre que vous vous êtes bien rincée l’œil cette nuit ! ( elle récupère son pantalon )

L : Moi, avec vous ?!!! Non mais faut arrêter la drogue.

M : Dîtes donc… comment ça se fait que mon pantalon soit tout humide ?

L : Mais j’en sais rien moi !

M : Dîtes, c’est vous ou c’est moi qui aie passé la nuit avec ? Alors, expliquez-moi !

L : Mais j’en sais rien, merde ! Puisque je me tue à vous dire que c’est la première fois que je vois ce pantalon de ma vie.

M : C’est peut-être la première fois mais ça ne vous a pas empêché de coucher avec dès le premier soir. Vous êtes vraiment une fille facile !

L : Alors ça, je ne vous permets pas !!!

M : En fait… c’est bizarre, mais on dirait qu’il a été tout mâchouillé.

L : Mâchouillé ?

M : Oui !!! Mâchouillé ! On distingue même des traces de dents. Comme des petites dents de rat.

L : Non mais je vous en prie !

M : Quoi encore ? J’ai le droit de rien dire, c’est ça ?!

L : Bon écoutez… je ne sais toujours pas comment votre pantalon est arrivé… là où il est arrivé. Mais pour les traces de dents j’ai peut-être une explication.

M : Ah tout de même !

L : Mais… je compte sur votre discrétion.

M : Rassurez-vous, je n’ai pas plus que vous envie d’ébruiter cette histoire. 

L : Eh bien voilà… depuis que je suis toute petite, la nuit quand je suis nerveuse… j’ai l’habitude de dormir avec un doudou…

M : Et alors ?!

L : Un doudou que… je mâchouille…

M : Vous avez pris mon pantalon comme doudou ?!!!

L : Mais non… enfin oui mais… je ne sais pas comment…

M : Mais c’est dégueulasse.

L : Non mais oh !!! Hein ?!!!... Après tout qui a mâchouillé votre fond de pantalon en croyant que c’était le doudou de son enfance ? C’est vous ou c’est moi ? C’est moi ?!!! Donc si quelqu’un a bien le droit de se plaindre, c’est moi.

M : Quoi ?!!!

L : Parce que maintenant que je sais ce que j’ai tété toute la nuit, je vous le dis il faut avoir le cœur bien accroché. Et pourtant, je n’en fais pas toute une histoire !

M : Non mais c’est extraordinaire ça ! Bientôt ça va être ma faute si vous avez passé la nuit à faire des cochonneries avec mon pantalon.

L : Eh bien au moins ça lui aura fait une expérience. Parce qu’avec le caractère que vous vous trimbalez, il doit pas y avoir beaucoup de mecs qui se battent pour s’occuper de votre pantalon !!!

M : J’espère bien que le jour où un homme s’intéressera à moi, ce ne sera pas pour mon pantalon !

L : C’est beau l’espoir !!!

M : Quoi ?!!! Espèce de…de,de…

L : C’est quoi ça « dede » ? C’est une insulte ça ?... Oh !!! Tu me traites pas de « dede », moi, ou je t’en colle une !!!!

M : Je…je… ( se mettant à pleurer )j’en ai marre… je veux rentrer chez moi… j’ai le mal du pays…

L : Ah non… ne pleurez pas… ( touchée par la détresse de Marie )… je ne supporte pas les gens qui pleurent… ( émotionnée ) parce que ça me fait pleurer aussi…

M : Oh ça va, hein !!! Vous m’avez déjà pris mon pantalon, vous n’allez pas me prendre mes larmes aussi…

L : J’suis désolée. Je ne pensais pas ce que j’ai dit, c’est la fatigue… mais s’il vous plaît arrêtez de pleurer sur mon canapé, ça attaque le tissus.

M : Oh désolée.

L : C’est pas grave. Et puis au fond j’m’en fous, il est à ma mère. ( elles remettent le canapé à l’endroit et s’y effondrent dedans )

M : Excusez-moi. Je ne sais pas ce qui m’a pris. D’habitude je ne suis pas comme ça. ( Léa lui donne la boite de mouchoirs ) J’ai horreur de faire étalage de mes émotions en public. Mais je me sens si fatiguée moi aussi… et puis… ( elle reprend un mouchoir )c’est pas évident de se retrouver seule à 10000 km de chez soi.

L : Mais vous arrivez d’où ?

M : Je suis japonaise. ( elle reprend un mouchoir )

L : Ah bon ?... Sans vouloir vous vexer, vous faîtes pas très authentique comme japonaise.

M : Ah c’est qu’au Japon, je suis…

L : …une japonaise importée ?

M : On peut dire ça comme ça. Mes parents s’étaient installés au Japon quand je n’étais encore qu’une petite fille. A leur mort, je suis restée vivre là-bas chez des amis à eux. Je sais que pour beaucoup de japonais je ne suis qu’une gaijin… une étrangère, mais moi je me sens japonaise, vous comprenez ?

.

L : Hein ?... Oh oui… j’adore les sushi.

M : Oh vous savez, la gastronomie japonaise c’est beaucoup plus que ça ! Est-ce que vous avez déjà mangé du fugu ?

L : Euh… si j’en ai mangé on me l’a pas dit.

M : C’est un poisson. Vous ne pouvez pas savoir ce qu’est l’exquise délicatesse de la chair d’un poisson si vous n’avez jamais mangé de fugu.

L : Ah bon ?... Ben, y a un poissonnier dans le bas de la rue. J’en prendrai la prochaine fois que j’inviterai des copains à bouffer.

M : Ah je vous le déconseille ; Le fugu contient un poison violent. Mal préparé, le fugu est l’assurance d’un carnage. Au Japon, les cuisiniers doivent posséder une autorisation officielle pour le proposer à leurs clients.

L : Ah ces japonais. Jusque dans leur cuisine, ils sont kamikazes. Bon, ben j’en resterai aux sushi alors. A moins que ma mère vienne manger ici mais ça m’étonnerait…. Et vous, ça va mieux ?

M : Oui, merci. Parler cuisine, ça me détend toujours.

L : Ah moi, en parler non. Mais manger, ça oui !

M : Est-ce que vous pourriez vous retourner s’il vous plaît ?

L : Pourquoi, y a quelqu’un ?

M : Non mais je voudrais passer mon pantalon.

L : Je vous signale que ça fait 10 minutes que je vous vois en culotte, alors 30 secondes de plus ou de moins…

M : Oui, mais c’est une question de principe.

L : ( se retournant ) Et vous êtes une femme de principe.

M : Exactement. ( elle enfile son pantalon )

L : Vous êtes revenue en France faire du tourisme ?

M : Oui. Je vais me recueillir sur toutes les tombes de mes ancêtres que j’ai pu répertorier depuis le Japon.

L : Ah ben ça, c’est du circuit touristique.

M : Est-ce que je pourrais me passer un peu d’eau sur le visage pour me rafraîchir ?

L : Bien sûr. La salle de bain est là. ( Marie va dans la salle de bain et Léa range un peu ) Je suis en train de réfléchir… vous qui avez l’air d’un fille sérieuse… vous ne vous rappelez vraiment rien de cette nuit ?

M : (off ) Le trou noir complet. Dîtes… je ne trouve pas de savonnette.

L : Dans le porte-savon de la douche… En fait, ça me fait plaisir d’avoir fait votre connaissance. J’avais jamais connu de japonaise avant vous.

M ( revenant avec les sachets, outrée ) : Qu’est-ce c’est que ça ?

L : Ben… euh… Pourquoi ? A votre avis ça a l’air de quoi ?

M : Dîtes donc… vous n’allez pas me dire que c’est du sucre en poudre ?... Présenté en sachet comme ça, j’ai jamais vu.

L : Oui, mais vous… vous vivez au Japon…

M : Pourquoi ça se présente comme ça le sucre en poudre en France ?

L : Vous savez, j’ai jamais fait très attention.

M : Je ne vois qu’une explication. Ceci est de la drogue ! Vous êtes tombée dedans par dépression et moi je suis tombée dessus par hasard.

L : Moi ?... Moi, droguée ?... Moi qui réfléchis une heure avant de prendre un cachet quand j’ai le rhume ?

M : Bon, alors si c’est pas de la drogue, qu’est-ce que c’est ?

L : Mais je sais pas moi. Je les ai jamais vu ces sachets !

M : J’ai du mal à vous croire. Il y a des objets chez vous et vous ne savez pas ce que c’est ?!

L : Ecoutez, il y a des gens chez moi, je sais même pas qui sait ! Alors, c’est pour vous dire !   

M : Je veux bien admettre la possibilité que ce soit quelqu’un d’autre que vous qui ai amené ça ici. Mais le fit est là, j’ai souvent vu à la télé des reportage sur le trafic de drogue… et on dirait bien des sachets de drogue.

L : Oui mai son peut pas être sûres que ça en est non plus.

M : Goûtez !

L : Quoi ?!

M : Il n’y a pas 36 solutions ! Goûtez pour savoir si c’est de la drogue ou pas !

L : Et qu’est-ce qui vous fait croire que je sais quel goût ça a ? Goûtez vous, puisque vous avez vu à la télé comment c’était.

M : J’ai vu de quoi ça avait l’air mais pas le goût. J’ai pas l’habitude de lécher l’écran de télévision. Ecoutez, il faut bien qu’une de nous deux se décide. Vous ou moi !

L : D’accord !... Allez-y !

M : C’est chez vous non ici ?

L : Oh ça va ! ça va !... ( elle hésite, ouvre un sachet, le sens, le goûte, fais une grimace ) C’est dégueu… ( elle regoûte ) Oui, c’est bien ça, c’est dégueu.

M : Dégueu ça veut dire quoi ?

L : Dégueulasse, dégoûtant.

M : Dégoûtant comment ?

L : Dégoûtant bizarre…

M : Vous vous sentez comment ? Vous avez des sensations bizarres ? Des visions ? Des illuminations ? Des lumières qui clignotent ? Des boules de couleurs ?

L : Ben c’est pas Noël non plus ! …

M : Mais c’est comment ?

L : Ben goûtez si vous y tenez tant !

M : Jamais de la vie !!!

L : C’est… sucré salé…

M : Sucré salé ? Si ça vient d’Orient, c’est pas étonnant.

L : Mais ça vient pas plutôt d’Amérique du Sud ?

M : Oh vous savez… avec la mondialisation et tous ces OGM…Remarquez que c’est vrai que c’est interdit en Europe les OGM !

L : Et vous croyez que c’est ça qui va arrêter les trafiquants ? Vous croyez que c’est José Bové qui va faire peur aux trafiquants de drogue ?

M : Qui ?

L : On s’en fout !

M : Vous croyez que vous aggravez votre cas si la police vous arrête avec de l’héroïne OGM ?

L : Croyez bien que je vais pas garder ça ici ! Je jetterais bien tout ça immédiatement dans les toilettes, mais elles sont bouchées depuis hier soir.

M : Ah bon ?

L : Oui, hier soir, l’ambiance était un peu fofolle et…j’ai un copain qui a un peu pété les plombs, il a jeté deux énormes saucissons dans les toilettes. Et maintenant faut attendre demain que j’appelle le plombier. 

M : On n‘a qu’à jeter ça dans l’évier de la cuisine ou dans le lavabo ou dans la douche.

L : Non !

M : Pourquoi ?

L : Bouchés aussi. Mais avec du jambon ce coup-ci.

M : Mais il est cinglé vot’copain !

L : Mais non. Il supporte pas la charcuterie, le porc, tous ces trucs-là. C’est son côté un peu intégriste…

M : Religieux ?!

L : Non ! Macrobiotique ! Oui, il est végétalien alors…. Mais le vin par contre ça… ça le rebute pas. Enfin, en attendant le plombier… 

M : Mais il ne faut pas attendre. Si jamais la police…

L : Oh mais ça suffit avec la police !!! Pourquoi voulez-vous que la police débarque chez moi ce matin ?!!! ( on tape à la porte )

Bernard ( off ) : Police !!!

L : (commençant à paniquer ) : Non mais c’est une blague ou quoi ?

B : ( off ) : Police ! Ouvrez !

M : Qu’est-ce qu’on fait ? Qu’est-ce qu’on fait ? Qu’est-ce qu’on fait ? Qu’est-ce qu’on fait ?

L : Dans la penderie, vite !!!

M : Mais je vais pas garder ça à la main !!!

L : Ben planquez-le… remettez-le où vous l’avez trouvé !!! ( Marie fonce ) J’arrive ! Un instant, je suis toute nue.

B : ( off ) Ouvrez !

L : Mais je suis toute nue !

B : ( off ) Police, ouvrez !!!

L : Quelle bande d’obsédés ces flics.

M : Mon dieu ! Mon dieu ! Mon dieu ! Mon dieu ! Mon dieu ! Mon dieu !

L : Voilà, j’arrive. ( elle va ouvrir. Bernard entre. Il est en peignoir )

B : Ah ! Bonjour mademoiselle.

L : Dîtes donc… c’est une blague ?

B : Comment ?

L : C’est une blague ? « police, ouvrez »… le peignoir là… c’est une putain de blague !

B : Quoi le peignoir, c’est une blague ?... Il vous plaît pas ?

L : Non… mais de toute façon, ce n’est pas la question. Le peignoir, c’est peut-être le nouvel uniforme du GIGN ?

B : Non, mais je suis pas du GIGN !

L : Ah ! Alors vous m’avez fait une blague, c’est bien ce que je disais.

B : Non, mais je suis vraiment policier. Mais pas du GIGN. Ceci dit, j’aurais bien aimé. Mais que voulez-vous, tous les flics de France ne peuvent pas passer leur temps à s’amuser. Mais je vous assure que je suis réellement dans la police. D’ailleurs voici ma carte.

L : Vous avez votre carte de police dans la poche de votre peignoir ?

B : Ah ben oui mais que voulez-vous ? On ne sait jamais. La preuve maintenant…

L : Ah évidemment, si vous passez votre journée à vous baladez en peignoir !

B : D’habitude je ne mets mon peignoir que pour aller prendre ma douche…

L : Et vous arrêtez souvent des gens sous votre douche ?!

B : Jusqu’à présent, non ! Mais je vais vous expliquez, vous allez rire…

L : Alors là, franchement, vu comment est partie la matinée, ça m’étonnerait.

B : Mais oui, vous allez voir, vous allez rire. Figurez que ce matin, après m’être éveillé d’un sommeil sans nuage, m’étirant, baillant, émergeant de mes draps tel qu Dieu m’avait conçu, nu comme au jardin d’Eden…

L : Vous savez, je ne suis pas obligée d’avoir tous les détails.

B : Non mais c’est pour mieux vous faire entrer dans l’action.

L : Non mais j’y suis dans l’action, c’est bon !

B : Je me revêtis de cet humble peignoir pour mettre mon corps frêle à l’abri de cette mordante fraîcheur matinale et cheminai vers ma salle de bain, quand soudain… tout à coup…

L : Ah, parce qu’en plus, y a du suspense ?!

B : Mais oui ! Quand soudain… tout à coup… un doute effroyable me saisit…. ( grimace )  Je ne sais pas si vous visualisez le doute me saisissant ?... Bon, peu importe… Vous saisissez où je veux en venir ?

L : Pas du tout.

B : Moi qui avais emménagé à peine hier après-midi, me revint à l’esprit, remontant à la surface telle la baleine crevant les flots pour expulser un souffle d’écume, le fait que j’avais noté dans un recoin de mon esprit que je n’avait plus de savonnette et que je devais en racheter.     

L : Non, c’est vrai ?

B : Eh bien oui !... Ou plutôt eh bien, non. Je n’en avais pas racheté, or point de savonnette, point de toilette ! Il fallait trouver une solution. Or à 8h du matin, un dimanche, point de commerce ouvert. Et me voilà, à moitié nu, crasseux d’une journée et une nuit entières et ma foi fort dépourvu. Vous me suivez ?

L : Maintenant je visualise mieux.

B : C’est à ce moment qu’une petite lumière s’alluma dans mon esprit. Pourquoi ne pas aller quémander la charité d’un bout de savon à ma nouvelle voisine que j’avais entraperçue la veille et par la même occasion faire connaissance ? Hein ?... Pourquoi pas ?

L : Peut-être pour ne pas déranger ma voisine à 8h du matin, un dimanche.

B : Certes… mais comme j’avais entendu du bruit à travers la cloison fort peu épaisse, il faut bien le dire…

L : ( inquiète ) Vous avez entendu quoi ?!!!

B : Des voix.

L :Et elles disaient quoi, ces voix ?!!!

B : Difficile à dire. Vous savez dans l’Histoire, il n’y a guère eu que Jeanne d’Arc pour entendre des voix et les comprendre très distinctement. Et encore, pas de témoin, pas de preuve scientifique, on ne peut rien prouver. Enfin, excusez-moi, je dis ça, c’est un peu de la déformation professionnelle. Mais si ça se trouve, ces voix… elles lui ont simplement dit de se bouger pour trouver un mari mais si possible pas un anglais et elle… elle a extrapolé. Et hop, elle est partie se couper quelques tranches de rosbifs… Hein ?... Qu’est-ce que vous en pensez ?

L : J’avoue que je ne m’étais jamais posée la question.

B : Il faut toujours aller au-delà des apparences. Il y a toujours quelque chose à soupçonner. Prenez votre cas, par exemple…

L : Mon cas ?!!! Parce que je suis un cas ?!!!

B : Un exemple si vous préférez. Je vous prends en exemple parce que vous êtes là ! Déjà ça suffit pour vous rendre suspecte.

L : Mais j’ai rien fait, moi ! J’ai… j’ai… j’ai rien à me reprocher…

B : Mais probablement ! Mais ceci dit… si je me mettais à fouiller chez vous…

L : Fouiller chez moi ?!!! Mais pourquoi ?!!! J’ai… j’ai pas une tête honnête ?

B : Oh mais oui ! Et justement ! Justement ! Si les criminels, c’était écrit sur leur figure, ce serait trop facile.

L : Ah merde ! Alors moi, comme j’ai une tête honnête…

B : A mes yeux, vous êtes d’autant plus suspecte !

L : Et donc vous voudriez fouiller mon appartement ?

B : Ah… oui…

L : ( voix étranglée )Ah bon ?

B : Mais rassurez-vous, je plaisante.

L : Ah… ( se forçant à rire )

B : Vous me voyez, à peine arrivé dans l’immeuble, fouiller l’appartement de ma nouvelle et charmante voisine ?

L : Ah ben… non, bien sûr…

B : Mais bien sûr !... Il faut un mandat pour ça !... Hélas… Et donc, pour finir mon récit, j’ai franchi les quelques pas qui séparent nos deux entrées et j’ai tapé à votre porte. Alors j’aurais pu m’annoncer en tant que voisin bien sûr, mais j’ai préféré vous mettre à l’aise tout de suite…

L : Oh ben alors là, je vous assure que vous me mettez tout à fait à l’aise…

B : Et m’annoncer en tant qu’officier de police.

L : Mais de toute façon, là, vous n’êtes pas en service ?

B : Techniquement, non. Mais vous savez, nous autres, on est toujours plus ou moins en permanence de service.

L : Ah… comme c’est rassurant.

B : Ah ben oui, évidemment. Non mais, vous imaginez une petite vieille qui se fait agresser dans la rue, qui hurle qu’on l’assassine, et moi, sous prétexte que je ne suis pas en service, qui continuerais mon chemin comme si de rien n’était.

L : Ah, évidemment…

B : Remarquez vous pourriez me dire… une vieille… avec tous les problèmes qu’on a pour payer les retraites… ça serait toujours ça d’économiser… mais il n’est jamais bon pour un policier de faire trop de politique.

L : C’est sûr !

B :Voilà. Donc je me suis dit que c’est tellement plus rassurant quand c’est la police qui le dimanche matin tape à votre porte….Qui a peur de la police de nos jours ?

L : Ben… plus ou moins à peu près tout le monde.

B : Mouais… mais ça, c’est la faute de la religion catholique.

L : La religion catholique ?

B : Parfaitement ! Son empreinte reste encore très forte sur ce pays, or le sentiment de culpabilité est au cœur de la théologie catholique. Regardez le péché originel : c’est tout de même fort ça, comme concept, le péché originel. A peine vous arrivez au monde, vous n’avez encore rien fait que crac !!! Vous êtes déjà chargé de péché ! Je ne sais pas si vous voyez le tableau… Vous êtes là, les jambes écartées…

L : Moi ?

B : Oui, vous… la femme… je vous prends comme une femme…

L : Hein ?!!!

B : Je vous prends vous comme symbole de toutes les femmes…

L : C’est trop d’honneur…

B : Et donc y a la tête du bébé qui émerge, misérable créature sans défense, recouvertes de substances visqueuses et écarlate, arraché à son cocon douillet et protecteur et hop !!! le premier cri !!! Et paf le péché originel !!! qui lui dégringole sur la tronche !!!

L : Vu comme ça, c’est vrai que c’est assez terrible…

B : C’est le mot !!! Et le symbole de la croix ? Ce symbole de souffrance, de torture et de mort que se trimbalent tous les catholiques bien élevés… C’est bien pour leur rappeler qu’ils ont quelque chose à se faire pardonner, et quelque chose de terrrrible… Si les catholiques étaient un peu moins coincés, moins conservateurs dirons-nous, et qu’ils suivent un peu la mode ils se baladeraient aujourd’hui avec autour du coup la représentation d’une gégène ou d’une chaise électrique… ou d’un disque de rap… c’est selon les goûts… Et l’Islam ou le Judaïsme, c’est pas vraiment beaucoup mieux… Alors évidemment, les pauvres gens qui sont conditionnés, quand au petit matin la police tape à leur porte, ils se savent immédiatement coupables de quelque chose… 

L : Et ils ont tort bien sûr !

B : Ah j’ai pas dit ça ! Le fait d’avoir un regard critique sur la religion ne m’empêche pas d’en reconnaître ses réussites et notamment sa lucidité. La religion a raison. Les gens sont tous coupables. Parfois même sans le savoir. Mais ce n’est qu’une circonstance à peine atténuante. Bon, revenons à votre cas …Qu’est-ce qu’une charmante jeune femme comme vous fait seule un dimanche à 8 h du matin chez elle ? Répondez à ça !

L : Mais… d’abord qui vous dit que je suis seule ?

B : Ah ! Vous avouez ! Vous n’êtes pas seule ?

L : Bon… oui, à la vérité je suis seule. Je suis une jeune femme de mon époque, esseulée, un peu paumée, et je me retrouve seule le dimanche matin chez moi. Voilà…

B : J’ai beaucoup de mal à vous croire.

L : Mais je vous assure que je suis toute seule. C’est tout mon problème d’ailleurs.

B : Non, c’est pas crédible.

L : Je vous affirme que je suis seule !

B : Non.

M : (off ) Mais puisqu’elle vous dit qu’elle est seule !!!

B : Hein ?

L : C’est la télé !

B : Quelle télé ?

L : La télé des voisins. C’est terrible. J’arrête pas de leur dire qu’ils la mettent trop fort…

B : La télé des voisins qu’on entend aussi fort d’ici ?

L : Ah mais vous l’avez dit : ici les murs sont épais comme une ficelle de string.

B : Vous voulez que j’y aille ?

L : Ben écoutez, je vais pas vous retenir. Alors allez-y, ne vous gênez surtout pas pour moi. Vous devez avoir plein de choses à faire…

B : Non, je voulais dire : vos voisins, vous voulez que j’aille leur parler ?

L : Pour leur dire quoi ?

B : Ben d’arrêter !

L : D’être mes voisins ?

B : Non ! De mettre la télé aussi fort un dimanche matin.

L : Ah non ! Ah surtout pas !

B : Et pourquoi ?

L : Ben… euh… ben… parce qu’ils ne le savent pas…

B : Quoi ? Que leur télé marche ?

L : Eh non… enfin, je veux dire qu’elle marche aussi fort. C’est que… ils sont un peu âgés vous comprenez, et ils sont… un peu sourds… alors, ils se rendent pas compte…

B : Ah… et si je le leur écris… Oui, un mot sur la porte.

L : Non mais euh… ils sont vraiment très vieux et la vue aussi… c’est pas vraiment ça… et puis elle a dû la rebaisser sa télé, parce que là on ne l’entend plus… vous voyez, fallait pas vous en faire…

B : Mouais… Décidément les vieux… c’est vraiment un problème… et pas que chez nous… Là où c’est le pire, il parait, c’est au Japon. Mais ils sont fous ces japonais et leurs vieux…

M ( off ) Ils t’emmerdent les vieux et les japonais !!!   

B : C’était pas la télé ça !

L : Euh… non, ça, c’était… la voisine… Ce qu’elle est emmerdant et surtout si elle pouvait se taire un peu ! Mais elle a dû vous entendre, et… elle est un peu susceptible.

B : Mais je la croyais sourde.

L : Oui… oui, oui… elle est sourde mais…

B : Mais quoi ?

L : Mais… elle a un sonotone. Et avec son sonotone, elle entend mieux que vous et moi réunis.

B : Oui mais alors dans ce cas, elle n’a pas besoin d’écouter la télé aussi fort.

L : Oui, bien sûr… mais… vous ne comprenez rien.

B : Ah là, j’avoue…

L : Elle est vieille… bon… elle est sourde… bon… mais elle a un sonotone…bon… mais elle est vielle… bon… et parfois…

B : Parfois ?

L : Parfois… vous me suivez bien…

B : Oui, oui…

L : Bon… parfois elle oublie de le brancher… parce qu’elle est vieille… et là, elle monte de le son de la télé… et parfois elle rebranche son sonotone, et là elle rebaisse le son de la télé et elle entend tout dans l’immeuble. Et son mari pareil.

B : Dîtes-moi, vous les connaissez bien ces voisins.

L : Oh… je suis quelqu’un de très sociable, tout le monde sait bien que je suis une fille sans histoire, honnête, travailleuse, alors j’ai confiance et puis je suis très ouverte au voisinage.

B : Eh bien en tant que voisin je suis ravi de l’apprendre. Ceci dit… Comme je dois sortir, et que je dois d’abord prendre une douche…

L : ( le poussant vers la porte ) Mais je vous en prie. On parlera une autre fois.

B : Eh oui… mais j’avais besoin d’une savonnette, rappelez-vous.

L : Ah oui, c’est vrai. Mais pas de problème, je vous prête ce qu’il faut. C’est facile, c’est là, c’est tout droit, dans la salle de bain, sur le porte savon.

B : Merci ! ( il se dirige vers la salle de bain alors Marie passe la tête et fait des signes à Léa )

L : Non !!! Stop !!!

B : Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?

L : Je… je vous ai dit une grosse bêtise…

B : Quoi ?

L : Le savon, il n’est pas là où je vous ai dit.

B : Vous êtes sûre que le savon, n’est pas dans le porte-savon ? Parce qu’en général, si j’en crois mon expérience…

L : Non mais justement ce matin, je me suis aperçu qu’il n’y était pas. Il est là dans la cuisine, je vais vous le trouver… là non… voilà, le gel douche… parfumé au citron, c’est super.

B : Eh bien… merci… ( il va pour partir puis se retourne ) euh…excusez-moi…

L : Quoi encore ?

B : C’est du liquide vaisselle.

L : Oui…oui… c’est du liquide vaisselle, mais vous voyez y a écrit « spécial protection des mains » Et en effet, c’est excellent pour la peau et pas que pour les mains, et moi depuis des mois j’utilise ce produit pour me doucher et j’en suis très heureuse.

B : Ah ? Bon… ben je vais essayer alors… mais ça ne fait pas trop de bulles ?

L : Si… mais c’est très amusant. Et je trouve ça très… très… relaxant de s’amuser sous la douche.    

B : Bon, ben je prends vite une douche et je vous le rapporte de suite.

L : Mais non, prenez tout votre temps. Rien ne presse.

B : Non mais ça me redonnera le plaisir de rediscuter avec vous.   ( il sort, elle ferme la porte )

M : ( sortant de sa cachette ) Mon dieu, j’ai cru mourir.

L : ( s’effondrant dans le canapé ) Vous m’enlevez les mots de la bouche.

M : Il faut vite se débarrasser de ces fichus sachets. On va aller les jeter dans une bouche d’égout. ( elle va à la salle de bain et revient avec les sachets à la main  )

B : ( off ) Mademoiselle ?

M : Aaaaahhhhhhhh !!!!!!!!!!! ( elle fait tomber les sachets et se précipite pour les ramasser avec Léa )

L : Qu’est-ce qu’il y a ?

B : ( off ) J’ai réfléchi. La douche avec le produit de vaisselle, je la sens pas trop. En sortant je trouverai bien un épicier ouvert dans le centre. Je vous rapporte votre produit.

M : A mon avis, il veut surtout discuter avec vous.

L : Ah ben alors là… je vais l’expédier vite fait !

M : Surtout pas. Il va trouver ça suspect. Il faut lui faire au moins un peu la conversation.

L : Mais de quoi je lui parle ?

M : Je sais pas moi de la pluie et du beau temps ! De n’importe quoi qui ne lui fasse pas penser à la drogue.

L : La pluie et le beau temps… la pluie et le beau temps… le soleil et les nuages… nuage… nuage de poudre… la poudre, c’est de la drogue. Non, la météo, c’est une mauvaise idée, ça va lui faire penser à la drogue.

M : Eh bien… parlez-lui… de sport… Tous les hommes s’intéressent au sport.

L : Sport… sport… compétition… tricherie… dopage… drogue… Non, ça marche pas non plus.

M : Alors des petits oiseaux… c’est bien les petits oiseaux, c’est innocent !

L : Alors oiseaux… chants…printemps… ça marche, ça marche…

M : Ah vous voyez !

L : Printemps… fleurs… fleurs de pavot… pavot, drogue … oh non, ça marche pas non plus !!!

M : Ben alors je sais pas moi… Parlez-lui de lui ! Au fond le premier centre d’intérêt des hommes c’est toujours leur nombril.

L : Mais je le connais pas. Qu’est-ce que je pourrais lui raconter sur lui ? J’aurais rien à lui dire !

M : Mais c’est très bien ! Comme la nature a horreur du vide, il parlera pour deux. Et comme ça, c’est parfait, moins vous parlerez, moins vous direz de bêtises. ( elle va dans le placard )

B : ( off ) Mademoiselle ?

L : ( Allant lui ouvrir ) Excusez-moi je… je me refaisais une beauté…

B : Effort superflu.

L : Merci. Alors comme ça, vous êtes policier…

B : Eh oui…

L : Et… c’est bien ?

B : C’est pas mal.

L : En fait… je sais pas trop quoi dire… j’ai jamais rencontré de policier

B : Oh vous savez, je ne suis pas que policier… On a tous plusieurs facettes dans la vie. Par exemple je suis philatéliste aussi.

L : Ah ? Mais j’ai jamais rencontré de philatélistes non plus. Et c’est bien ?

B : C’est pas mal. Je suis aussi bénévole dans une association sportive.

L : Ah ? Et c’est bien ?

B : C’est pas mal… Je suis veuf aussi…

L : Ah ? Et c’est bien ?... Oh pardon !!!!... Oh je vous assure, je voulais pas…

B : Je vous en prie, y a pas de mal… C’est pas grave…

L : Non mais je suis…

B : Je vous assure, il n’y a rien de dramatique là-dedans…

L : Ah ben si quand même !

B : Non mais je voulais parler de votre bévue.

L : Ah ? Euh… oui, c’est gentil… Mais vous êtes sportif, c’est très bien ça… 

B : Ah quand on peut choisir, c’est mieux que d’être veuf, c’est sûr…

L : Moi j’aime beaucoup le sport. Tous les sports !

B : Ah oui ?

L : Oui ! Le sport c’est la santé, c’est se sculpter un corps d’acier. Et puis c’est vachement viril… surtout pour les hommes…

B : Euh… oui, oui…

L : Et vous faîtes quoi exactement comme sport ?

B : Du curling.

L : Ah ?... Et c’est bien ?

B : C’est pas mal… Vous connaissez ?

L : Je sais pas.

B : Ah ?

L : En fait je crois savoir mais si vous m’expliquez un peu je vous dirai si c’est ça.

B : Et bien c’est un sport surtout scandinave…

L : Oui, c’est ça !

B : … qui consiste à envoyer un gros palet et dans l’équipe il y a celui qui lance et ceux qui cire le parquet avec des balais pour faire aller le palet le plus près possible de la cible.

L : Voilà, c’est bien ça !!!

B : C’est un sport qu’on ne voit dans les media en France que lors des jeux olympiques d’hiver. Enfin pour toute la durée d’une partie.

L : Ah bon ? Parce que les JO en général, je regarde mais j’ai jamais vu une partie…

B : Ah mais ça passe qu’entre 3 h et 4 h du matin. Faut vraiment être motivé pour…

L : …Ou insomniaque !

B : Voilà ! Ceci dit c’est vraiment un sport passionnant ! Notamment parce qu’au fond c’est vraiment un sport d’équipe où chacun se complète dans son rôle, celui qui lance, ceux qui jouent avec le balai, c’est vraiment utile dans une optique d’esprit d’équipe…

L : Oui, et puis alors pour vous entraîner pour faire le ménage, là c’est vraiment top !!!

B : Euh… oui, si on veut…

L : Ah ben… allez faire le ménage avec un ballon de foot ! Tandis qu’avec un balai…

B : Oui, c’est sûr. Mais depuis tout à l’heure on ne fait que parler de moi. Parlez-moi de vous, un peu.

L : Moi ?... Mais il n’y a rien à dire sur moi. Je… je travaille, je dors, je mange… c’est tout.

B : Vous faîtes quoi comme travail ?

L : Je tiens la caisse dans un magasin.

B : Quel magasin ?

L : Un magasin de… d’objets… d’objets pieux…

B : Pour de bon ? Vous êtes croyante ? J’espère que ce que j’ai dit sur la religion tout à l’heure…

L : Non… je crois… je crois… un peu comme tout le monde, par habitude… mais…

B : Vous êtes romantique ?

L : Romantique ?… ( le regardant de travers ) Ben… c’est comme la religion… j’y crois un peu comme tout le monde…

B : Il faut être romantique dans la vie. La vie ne vaut pas la peine d’être vécue si on n’est pas romantique. C’et ce que disait tout le temps ma femme et elle avait bien raison.

L : Si je comprends bien vous, vous êtes un romantique ?

B : Oui, et fier de l’être.

L : Et c’est quoi pour vous le romantisme ?

B : C’est quand deux personnes tombent amoureuses l’une de l’autre alors qu’elles ne sont pas faites l’une pour l’autre au départ.

L : Je vois… style Roméo et Juliette.

B : Mouais… mais en fait non. J’ai toujours pensé qu’en fait Roméo et Juliette étaient faits pour tomber amoureux l’un de l’autre. C’est leurs familles respectives qui n’étaient pas faites l’une pour l’autre. Mais ça, c’est pas du romantisme, ça c’est du réalisme. Non. Une vraie histoire romantique, c’est Esméralda et Quasimodo.

L : Euh… ( il se lève, et se met à déambuler, passionné par sa théorie )

B : Alors vous allez probablement m’objecter qu’ils sont tous deux réunis pas le fait d’être des parias. L’une est rejetée parce que gitane, l’autre parce qu’il est un monstre difforme. Mais en même temps au départ, elle, elle est amoureuse comme n’importe quelle midinette du capitaine beau gosse et lui des gargouilles. Vous reconnaîtrez qu’Esméralda n’a rien d’une gargouille et Quasimodo n’a rien d’un beau gosse.

L : C’est vrai.

B : Ah « Notre Dame de Paris ». Quelle histoire romantique. Quasimodo, Esméralda, Frolo, Phébus et la chèvre.

L : La chèvre ?!!!

B : Ben oui la chèvre. Elle symbolise la copine un peu moche de la jolie héroïne. Un archétype classique. Elle joue un rôle plus important qu’on ne le croit. Si Quasimodo et Esméralda s’étaient mariés, c’est la chèvre qui aurait été témoin au mariage.

L : Vous êtes sûr que…

B : Mais oui. Et imaginez un peu la demande en mariage. Quasimodo demande en mariage Esméralda. C’est lui qui fait la demande, c’est normal, c’est lui l’homme ou ce qui s’en rapproche le plus. Esméralda hésite. Elle imagine le capitaine Phébus courant en short rouge au ralenti sur la plage. Mais en même temps elle sent que son cœur la porte au-delà de ses sens vers Quasimodo. Elle a besoin d’un dernier conseil. Et là entre en scène la meilleure copine un peu moche, la chèvre !

L : Sans vouloir vous froisser, j’ai du mal à imaginer…

B : C’est pourtant évident. Imaginez… non mieux… jouons la scène…

L : Quoi ?!!!

B : Tenez au hasard… vous, vous faîtes Esméralda !

L : Au hasard ?

B : Oui. Mettez-vous là. Moi je fais Quasimodo et la chèvre. Tenez prenez ça pour faire le voile.

L : Non mais vous savez, moi, le théâtre c’est pas mon truc ! ( pendant que Bernard cherche de quoi se déguiser, Léa fait signe à Marie qu’elle veut arrêter mais Marie insiste )

B : Commençons. La chèvre représente le spectateur qui assiste à la scène.

L : Ah bon ?

B : Oui, tous les spectateurs sont un peu des chèvres. La chèvre est émue. Cela se voit à son œil humide et sa corne frémissante. Elle sent qu’il va se passer quelque chose de fort. Elle en bêle d’émotion. « Bêêêêê !!!! Bêêêêêê !!!! »

L : Vous êtes sûr que la chèvre c’est indispensable au romantisme ?

B : Oui. En plus le petit animal avec son pelage d’un blanc immaculé symbolise la pureté, la virginité qu’Esméralda va perdre. Et d’ailleurs Esméralda est prise à son tour d’une vive émotion et vient dans un dernier adieu caresser le bouc de la chèvre.

L : La chèvre… le bouc à présent… oh… c’est quoi cette ménagerie !

B : Non, je parlais de la petite barbiche de la chèvre. Faîtes Esméralda caressant la barbiche de la chèvre. ( avec regret Léa caresse la barbiche de Bernard sous l’œil horrifié de Marie )

« Bêêêêê !!!! Bêêêêêê !!!! » Mais Quasimodo ne veut pas que l’attention d’Esméralda soit détournée par la chèvre. (Voix déformée et faisant le bossu avec un regard fou qu’il gardera chaque fois qu’il fait Quasimodo ) « Esméralda ! Esméralda ! Esméralda ! » Et cette fois Esméralda est émue par le triste bossu. Faîtes l’œil ému… non, mieux que ça…

L : Eh ! Oh ! Je fais ce que je peux !

B : ( excité et tournant autour de Léa ) « Esméralda ! Esméralda ! Esméralda ! »

L : C’est pas très varié comme dialogue.

B : Ah oui mais Quasimodo, c’est une force de la nature à l’état brut. Il va pas lui réciter des vers non plus.  « Esméralda ! Esméralda ! Esméralda ! »

L : Et c’est tout ce qu’il lui dit ?

B : « Esméralda ! Je t’aime ! Je t’aime d’amour ». A vous !

L : ( avec une sorte d’accent espagnol ) « Ma, moi aussi yé t’aime ma qué notre amour qu’il est pas possiblé. Qué Phébous, y m’aime, qué tous les ombrès y m’aiment. Qué même ma chèvre, y m’aime. Yé né peux pas les quitter tous. »

B : « Mais oui, c’est possible, Esméralda. Tout est possible quand on s’aime d’un aussi grand amour ! » ( il se jette à ses pieds et s’accroche à ses jambes. Léa vacille ) « Aaaahhhh !!!! Esméralda !!! Je sais que toi aussi tu es tombée amoureuse »

L : Oh ! Doucement ! Ou je vais tomber pour de bon !

B : ( la soulevant de terre et la mettant sur son épaule ) « Epouse-moi, Esméralda !!! »

L : Non mais oh… ça va pas !!! Par terre !!! Posez-moi par terre ! ( Bernard la repose )  « Non, c’est pas possiblé ! »

B : « Si c’est possible !!! »

L :  « Ma yé né souis pas celle qué tou crois. Yé né sousi pas poure ! Yé… yé beaucoup roulé ma bosse. »  

B : « Mais moi aussi ! Moi aussi !!! »

L : « Ma qué les autres, y séront pas d’accord !!! »

B : « Nous fuirons Paris !!! »

L : « Ma qué… où ça ?! »

B : « Tu verras ! On ira ! Où tu voudras, quand tu voudras ! Et on s’aimera encore, même quand l’amour sera mort ! »

L : « Ma qué les méchants y veulent me touiller ! »

B : « Non !!! Moi, je les en empêcherai ou je ne m’appelle plus Quasimodo ! Reste avec Biquette ! Elle te protègera en attendant mon retour ! » Et là Quasimodo part pour régler son compte à Frolo alors que les gardes cernent la pauvre Esméralda. Mais la courageuse petite chèvre, se battit tout la nuit. « Bêêêêêê !!!! Bêêêêêêê ». Mais au matin, le loup la dévora ! « Aaaaaaaaahhhhh »

L : Oh ! Oh ! Stop ! Là, on est en plein dans la chèvre de M. Seguin.  

B : Hein ?... Ah oui ! Excusez-moi, je m’emballe, je m’emballe, mais c’est que moi… quand je me lance dans le romantisme…

L : C’est pas grave mais vous savez, pour vous suivre… le dimanche matin, à jeun…

B : Ah c’est vrai que moi, je suis une tornade !

L : Vous permettez que j’aille dans la salle de bain 30 secondes me passer un peu d’eau sur le visage ? C’est que toutes ces émotions, ça m’a un peu… émotionnée…

B : Mais je vous en prie ! Faîtes comme chez vous. ( Léa va dans la salle de bain et claque la porte )

Martin : ( off et tapant à la porte ) Léa ?

B : ( refaisant encore Quasimodo ) Qu’est-ce que c’est ?

Martin : ( off et surpris ) Qui est là ?

B : ( ouvrant la porte et reprenant sa voix normale ) Monsieur ?...

Martin : ( emmitouflé dans une grosse robe de chambre, faisant 20-25 ans, avec de grosses lunettes de vue ) Monsieur ?... 

B : Vous désirez ?

Martin : Je voulais voir Léa.

B : A cette heure-là, un dimanche ?

Martin : C’est que… je voulais lui emprunter quelque chose.

B : Ah ! Et en plus, c’est pour la taper. Vous n’êtes pas gêné, vous.

Martin : Ben c’est que… on se connaît bien elle et moi…

B : Depuis longtemps ?

Martin : A la vérité non… On s’est connu à la boutique où elle travaille.

B : Ah oui ! Ce magasin qui vend… comment ça s’appelle déjà…

Martin : Des dessous coquins.

B : Pardon ?

Martin : Je disais des dessous coquins !

B : Mais d’où vous sortez, vous ?!

Martin : Ben… en fait de pas loin, j’habite juste à côté.

B : A côté ?

Martin : Juste de l’autre côté de la cloison.

B : Ah bon ?... Vous êtes le petit-fils des voisins d’à côté ?

Martin : Euh… non, je suis le voisin d’à côté tout court.

B : Quoi ?!!! C’est vous le vieux ?!!!

Martin : Pardon ?

L : ( revenant et embarrassée de trouver Martin ) : Martin ?!!! Mais qu’est-ce que tu fais là ?

B : Dîtes-moi… à vos yeux à quel âge devient-on vieux ?

L : Vous…vous parlez de Martin ? Non mais je comprends…

Martin : Moi j’y comprends rien.

L : Ah… ce bon vieux Martin…

B : Excusez-moi mais quel âge avez-vous ?

Martin : ( montrant Léa ) Moi j’ai le même âge que…

L : Que Mathusalem !!!

Martin : Quoi ?

L : Mais monsieur est très coquet. Il se teint les cheveux pour faire plus jeune.

Martin : Quoi ?!!!

L : Oups !!! Vous voyez, il a encore dû oublier de brancher son sonotone. Alors il lit un peu sur les lèvres, mais c’est pas toujours ça ! ( à Martin et faisant des grands gestes ) Chut !!! Plus un mot. Lis sur mes lèvres : retourne chez toi et branche ton sonotone. Tout à l’heure je viendrais te voir et j’aurai des choses à t’expliquer. ( elle l’accompagne à la porte, et le met dehors ) Voilà. Je parie qu’il a dû vous dire des choses sans queue ni tête. Parce qu’on croit qu’il comprend ce qu’on dit mais en fait il comprend tout de travers.  

B : Ah… ça explique tout.

L : Vous comprenez, n’est-ce pas ?

B : ( avec aplomb ) Tout !

L : C’est bien. Vous avez du mérite. Mais je parle, je parle et je vous retiens ici avec tout ce que vous avez à faire ce matin.

B : Mais non, pensez-vous.

L : Mais je pense bien que oui ! J’abuse du plaisir de vous parler alors que vous ne demandez qu’à partir.

B : Ah mais pas du tout.

L : Mais oui, vous êtes trop poli pour le dire mais je vois bien que je vous retiens à l’insu de votre plein gré. ( elle le pousse vers la porte ) Allez, allez, ne vous gênez pas, je sais que vous avez plein de courses à faire, je ne vous retiens plus, je vous souhaite encore un bon dimanche.

B : C’est gentil.

L : Mais je vous en prie. Et le bonjour à madame….

B : ( revenant )  Ben c'est-à-dire que…

L : Oh pardon !!!

B : Non mais c’est pas grave… Bon… je me sauve et au plaisir !

L : Voilà : c’est le mot, « au plaisir »… ( il sort )

M : ( sortant du placard ) Il est parti ?

L : Ce coup-ci je crois bien que oui… oh quelle matinée…

M : Vous m’enlevez les mots de la bouche.

L : Moi qui déjà ne suis pas du matin… alors là… je vais vous dire, il manquerait plus que ma mère débarque et là le cauchemar serait complet. ( on tape à la porte )

M : Vous croyez que… ?

L : J’ai comme un horrible pressentiment… Vous voulez pas aller ouvrir pour moi ?

M : Et si c’est encore ce policier. Ce type, c’est pire qu’un boomerang. Non, vaut mieux que je retourne dans mon placard. ( elle y retourne en effet )

L : Son placard ?! Non, mais, ça y est, elle est chez elle ! ( à la porte et peu rassurée) C’est qui ?

Martin : C’est Martin ! Ouvre vite !

L : ( en direction du placard ). Ça va, c’est Martin, mon voisin.

Martin : Qui c’était ce type ?

M : La police !

Martin : Aaaahhh !!! D’où vous sortez, vous ?

M : Ben du placard ! D’où vous voulez que je sorte ?!

Martin : Tu sous-loues ton placard maintenant ?

L : Les temps sont durs !

Martin : Mais sinon qu’est-ce que la police faisait chez toi ? Tu as des ennuis ?

L : Oui… enfin non… je sais plus…

Martin : Quand on sait plus si on a des ennuis, c’est qu’on a des ennuis. Mais ça, ça te pendait au nez. A force d’accepter n’importe qui chez toi…

M : Dîtes donc, c’est pour moi que vous dîtes ça ?!

Martin : Non mais rien qu’hier soir, j’ai croisé sur le palier deux de tes invités… je ne voudrait pas dire mais…

L : Mais tu es sur le point de le dire. Ecoute, c’est pas le moment ! Il faut garder son calme et son sang froid. On va calmement et avec sang froid descendre dans la rue et jeter la drogue dans la bouche d’égout.

Martin : La drogue ?!!! Quelle drogue ?!!! Tu as de la drogue ?!!!

L : Pas moi mais mademoiselle !

M : Non mais dîtes donc !!!

L : Quoi ?!!! C’est vous qui les avez sur vous les sachets de drogue, non ?!          

M : Oui mais…

L : Mais n’essayez pas de discuter, c’est vous qui êtes en possession de sachets de drogue, c’est pas moi.

M : Mais je les ai trouvés chez vous, ils sont à vous !

L : ( à Martin ) Non mais c’est un monde d’entendre ça ! ( à Marie ) Vous, là… vous êtes chez moi ?

M : Oui.

L : Et pourtant vous êtes pas à moi !

M : Mais…

L : Non mais y a pas de « mais » qui tienne. La logique est la logique.

Martin : Et la police est déjà sur vos traces ?

L : Non. C’est le hasard. Ce policier est notre nouveau voisin et il était juste passé pour m’emprunter une savonnette. Alors évidemment, vu les circonstances, il tombait mal, mais … je pense qu’on a tout fait pour ne pas éveiller ses soupçons. Et si une certaine personne avait pu s’abstenir de mettre son grain de sel dans la conversation… suivez mon regard…

M : Oh ça va… il avait touché une corde sensible et moi qui suis une femme…

L : …de principe, je sais ! Mais si vous pouviez adopter le principe de la fermer quand vous êtes planquée dans mon placard, ça me simplifierait la vie ! ( à Martin ) Enfin, bref…j’ai été obligée d’inventer une histoire de voisin vieux et sourd, et donc je te prierai, si ça ne t’embête pas trop, à l’avenir et chaque fois que tu croiseras notre nouveau voisin, de jouer les voisins vieux et sourds.

Martin : Ah ben ça va être gai !

L : Ah ! Et avant que j’oublie, tu es marié aussi.

Martin : En plus !!! Elle est jeune et jolie au moins ?

L : Ah non ! Elle est vieille et sourde comme toi.

Martin : Bon, peu importe. Je t’ai toujours dit qu’en cas de danger, tu pourrais compter sur moi et que je volerais à ton secours.

L : Parfait ! Je peux donc te demander de descendre en premier faire le guet pour s’assurer que la voix est libre pour aller jeter ce que tu sais.

Martin : Pas de problème. Ça, c’est un job pour Superman ! ( il enlève ses lunettes et entrouvre sa robe de chambre dévoilant un tee-shirt « Superman » )

L ( après quelques secondes d’abattement ) : Je préfèrerais que tu fasses ça discrètement, si ça n’est pas trop de demander.

Martin : Pas de problème. ( remettant ses lunettes et refermant sa robe de chambre ) J’agirai sous mon identité de Clark Kent. 

L : Tu sais… franchement je t’aime bien et tu m’as rendu plein de services depuis que j’ai emménagé ici, mais au cas où ça t’intéresserait, je te le dis : jamais je ne sortirai avec un frapadingue qui se prend pour Superman.

Martin : Je sais. Toi, tu préfères Clark Kent.

L : Non, je préfère Martin.

Martin : Mais…est-ce que tu te rends compte que si tu acceptais de sortir avec moi, tu sortirais avec Superman, Clark Kent et Martin ?

L : Oui, ben ça fait un peu trop de monde pour moi. ( elle commence à le pousser dehors )

Martin : Je comprends. Et je sais que la solitude est l’inévitable compagne des héros.

L : Mais je suis sûre qu’un jour tu rencontreras ta Loïs Lane. Et même qu’un jour Superman épousera Loïs Lane.

Martin : Oh mais il l’a fait. Seulement Superman l’a rencontrée en 1938 et ils se sont mariés en 1996. 58 ans de fiançailles.

L : Oui, mais les filles c’est comme ça. Certaines, il leur faut un peu de temps pour réfléchir. Mais tu sais ce qu’on dit ? Le meilleur dans l’amour, c’est l’attente. ( elle le sort )

M : Dîtes…il se prend vraiment pour Superman ?

L : Nooonnn. Enfin… Oh, et puis du moment qu’il nous aide. Dans 5 minutes cette histoire sera terminée. Le tout c’est d’ici là, de garder notre calme et notre sang froid. ( on tape à la porte ) ( s’énervant brutalement ) Merde !!! Qu’est-ce qu’il y a encore ?!!!

M : Moi je retourne dans le placard à tout hasard ! ( elle y retourne et on retape à la porte )

L : Oh et puis merde !!! ( allant se recoucher ) Y a personne !!! ( on retape ) Y a personne, j’ai dit !!!

M : ( passant la tête ) Non mais évidemment si vous prenez les gens pour des cons. A la limite si vous aviez pris une voix de perroquet, ça aurait peut-être été crédible mais là…

L : ( en direction de la porte ) Je dors !!!

M : Non mais là non plus.  ( on retape )

L : Je m’en fous. C’est dimanche matin, j’ai droit à ma grasse matinée, je vais pas ouvrir ! Allez-y vous !!!

M : Mais j’habite pas ici.

L : Vous avez passé la nuit ici ? Vous avez déjà un placard à vous ?

M : Ben…

L : Ne mentez pas, rien qu’à vous voir faire on voit que vous vous y sentez comme chez vous. ( on retape )

M : Bon ça va, ça va, ça va…. ( ouvrant la porte ) Qui c’est ?... Madame ?.... ( revenant vers Léa ) Vous allez rire… c’est votre mère. ( entre la mère tirant la gueule )

L : ( se levant et courant vers elle ) Maman ?!!! Ma petite maman… maman chérie…. ( elle l’embrasse ) Tu as fait bon voyage ? Mais pourquoi tu ne m’as pas prévenue de ta visite ? Je serais venue te chercher à la gare.

Josiane : C’est ça ! Tu ne t’es même pas levée pour venir m’ouvrir ta porte. Alors je t’imagine mal aller jusqu’à la gare.

L : Mais maman… je ne savais pas que c’était toi. Et puis je t’ai envoyé ma… ma… ma… pour t’ouvrir.

J : Ta domestique ?

M : Pardon ?!

L : Ah ! Ah ! Ah ! C’est le sens de l’humour de ma mère. Qu’est-ce qu’elle est drôle ma mère ! Non, Marie est ma… ma… ma…

M : Oui, je suis sa… sa…

L : Ma colocataire.

J : Tu ne m’avais pas dit que tu avais une colocataire.

L : Ah mais c’est que c’est tout récent.

M : Ah ça pour être récent… Mais vous savez elle me sous-loue juste un placard. Mais ça me suffit, je prends très peu de place.

J : J’espère que vous ne dormez pas dans le placard.

M : Oh non ! ( à Léa ) C’est vrai que votre maman est très drôle.

J : Mais alors vous dormez où ? Parce que je ne vois qu’un lit.

L : Ah ! Ah ! Ah ! Oui, maman est très drôle.

J : ( tirant de plus en plus la gueule ) Oui. Je suis morte de rire. Alors où dormez vous ? 

M : Eh bien… oui… ( regardant Léa ) Je dors…

J : Peut-être dans le même lit que ma fille ?

M : Ah non !!! Mon pantalon, lui oui ! Mais moi, non !!!

J : Votre pantalon ?

 L : Ce que Marie veut dire c’est qu’elle m’a prêté un pantalon de pyjama, le mien étant au sale…

M : Voilà ! Le sien est au sale. Et comme on fait la même taille…( regardant Léa ) enfin… à peu près…

J : A peu près, oui… ( à part ) c’te connerie…

M : Bon, ben, je vais vous laisser, je suis certaine que vous avez plein de choses à vous dire…

J : En effet ton amie peut nous laisser.

L : Non, elle peut rester.

M : Je vais vous laisser.

L : Non, vous pouvez rester.

M : Oui, mais je peux vous laisser.

L : ( insistant ) Non ! Vous restez !!!

J : J’ai des choses à te dire.

L : Marie est une amie proche, intime même et si tu as des choses à me dire qu’une amie intime ne peut pas entendre alors je préfère ne pas les entendre moi non plus.

J : Une amie tellement proche que tu la vouvoies ?!... C’te connerie !

L : Non ! Enfin oui mais…

J : Tu sais que j’ai horreur que tu me racontes des histoires ! Depuis quand est-ce que tu vouvoies tes amies ?!!!

L : Mais maman… ( cherchant une réponse )

M : Excusez-moi, j’ai des choses à ranger dans le placard…

L : Restez ici !... Enfin, reste ici ! Figure-toi maman que Marie, qui est quelqu’un de très bien et qui a de grands principes…  a aussi un gros défaut, elle s’étale et elle prend une place incroyable, non c’est vrai, faut le dire… alors je lui dis « vous » comme si elle était deux. Pour lui faire comprendre qu’elle prend de la place comme deux.

J : Trop de place ? Dans son placard ?!

M : ( vexée ) Alors là… vous m’enlevez les mots de la bouche !

J : Enfin… mais puisque tu insistes tant, je parlerai devant ton amie si proche. Voilà… je sais que… la dernière fois que tu es venue à la maison… nous avons eu des mots…

L : Tu as eu des mots !

J : C’t’affaire !!! J’ai dit des mots, tu as dit des mots, on dit tous des mots…

M : Ah ça, c’est vrai…

L : Ah non !!!...Tu restes mais en silence.

J : Enfin, tout ça pour te dire que le passé est le passé, l’avenir est l’avenir, et surtout le présent est le présent.

L : Oui…Disons que jusque là, je veux bien être d’accord avec toi.

J : J’étais persuadée qu’une fois tes études terminées, tu reviendrais au village pour y vivre, y travailler, te marier et fonder une famille. Alors oui, je sais, l’agriculture, ce n’est pas ton truc. Mais je me disais qu’au jour d’aujourd’hui, avec tout leur Internet et leur bazar, tu pourrais faire ton métier de chez toi, mais en vivant loin de la ville et de sa pollution que tu détestes et surtout près de ta famille.

L : Bon alors d’abord, je déteste pas la ville. Au contraire, j’aime beaucoup la vie bouillonnante qu’on trouve en ville. Bon, la pollution… c’est vrai que j’aime pas vraiment ça, comme tout le monde d’ailleurs, mais les villes font des gros progrès et puis excuse-moi le lisier de porc qui infectionne le village, si ça c’est pas de la pollution… et je te parle pas du projet de déchèterie qu’ils ont prévue de construire, à 3 km de chez toi. Parce dans les villes, ils sont pas cons, ils ont compris : les usines, les déchèteries, les centrales et compagnie, ils les construisent plus dans les villes. La pollution ils l’exportent à la campagne. Et puis Internet ça fait pas tout. Dans le travail, rien ne vaut le contact humain. Alors, moi j’ai pris une vie et ma décision en main… ou plutôt le contraire…

M : Oui, je crois.

L : ( à Marie ) Non, j’ai dit « pas de commentaire ».

J : Mais ma petite fille, tout ça est bien joli…

L : Mais maman… je ne suis plus ta petite fille…

J : Tu seras toujours ma petite fille !

L : Mais non !!!

M : Ben techniquement…

L : ( à Marie )  Oh mais c’est pas vrai ! Dans l’expression « pas de commentaire » c’est quoi qui passe pas ?!!!

J : Tu sais, tu peux me renier, renier jusqu’à ton nom…

L : Mais maman, j’ai pas renié mon nom…

J : Ton nom de famille, c’est « Toulemonde ». Et sur ta boite aux lettres tu as mis « Barbieri ».

L : Oui, ben c’est ton nom de jeune fille. Tu devrais te sentir flattée.

J : C’te connerie !!! Comme si ton père t’avait pas reconnue. Comme si j’avais été une fille mère !!! Ton pauvre père doit se retourner dans sa tombe, le malheureux !

L : Oh ben justement ! Là où il est, il doit être bien au dessus de tout ça !

J : Eh bien, c’est ce qui te trompe ! Moi, qui vais le visiter toutes les semaines, je peux te dire qu’on parle beaucoup de toi. Et il se fait du mauvais sang.

L : Ah si les morts se mettent à se faire du mauvais sang…

J : Et je t’interdis de plaisanter sur ce sujet !!!

L : Crois moi, j’ai pas le cœur à plaisanter.

J : Ta famille te fait si honte que ça qu’en plus de la fuir, tu renies son nom.

L : Mais maman…

J : Et tu sais dire que ça « mais maman… » ?!

L : Mais maman… puisque j’ai pris ton nom de jeune fille ! Et puis « Toulemonde » tu avoueras que c’est un nom difficile à porter. C’est long… et puis c’est vrai que c’est souvent prétexte à plaisanterie… et puis on va pas passer la journée là-dessus non plus.

J : Tu as raison.

L : Quoi ?

J : J’ai dit tu as raison…. J’ai eu tort de… t’embêter sur cette question de nom.

M : Ah tu vois, ta mère…

L : ( à Marie ) Qu’est-ce que j’ai dit ?

J : Ma petite fille. Si tu as décidé de vivre loin de tes racines, loin de ton père et de ta mère, je l’accepterai. Oh bien sûr, accepter ton départ, c’est très dur, surtout pour moi… parce que vois-tu… on a raison de dire que partir c’est mourir un peu, mais tu sais, je suis vieille, je vais bientôt mourir, et tu sais si partir, c’est mourir un peu, mourir c’est partir beaucoup. Et je ne voudrais pas partir en étant fâchée avec toi.

M : Tu sais, c’est beau ce que dit ta petite maman.

L : Oh mais elle va la boucler, l’amie intime ?!!!!

M : Oh « intime », c’est beaucoup dire…

L : Ta gueule !!!!!!!!!!

M : Ah oui… Là, comme ça, on est devenues sacrément plus intimes ! ( on tape à la porte )

L : Bon sang !!! Qu’est-ce que c’est encore ?!!! ( elle va ouvrir, entrent 5 adolescentes portant Martin le visage ensanglanté et une boite de gâteaux ) Mais c’est Martin !!! Qu’est-ce qui lui est arrivé ?!!! ( elles le posent sur le canapé )

Flora : On sait pas !

Noémie : Si ! Je suis désolée ! On sait ! Il s’est fait attaqué par un type ! Et avant de s’évanouir il nous a supplié de ne pas appeler la police et de le monter ici.

Léa : Mais pourquoi ?!

Flora : Ah ça, on sait pas ! C’est sûr !

N : Là, je suis d’accord.

Pimprenelle : Oh, c’est horrible !!! Il va mourir !!!

Summer : Mais non, du calme !

P : Ah ? Tu penses qu’il ne peut pas mourir !

S : Ben… en même temps, c’est vrai que tout est toujours possible. 

P : Il va mourrrrriiiiirrrrrrrrr !!!!!!!!!!!!!!!!!!!

N : Armelle, fais quelque chose !!!

Armelle : Pour lui ?

N : Non, pour elle. Essaye de la calmer, j’ai besoin de réfléchir.

A : ( à Pimprenelle ) Tu veux de la tarte aux pommes ?

S : Non mais qu’est-ce qu’on s’embête à réfléchir ?

F : Summer a raison. On n’a pas besoin de réfléchir. On a des adultes autour de nous.

S : Oui, si tu veux, en plus y a ça.

J : Ah ! La violence des grandes villes. Mais pourquoi il n’a pas voulu appeler la police. C’est ce qu’il faut faire.

L : Non ! Gardons notre calme. Si Martin ne voulait pas qu’on prévienne la police, il doit avoir ses raisons. Il faut les respecter.

M : Tu crois que ça  a un rapport avec ce que tu sais que je sais ?

L : C’est la seule explication. Ça a sûrement un rapport avec les objets que tu sais que je sais que nous sachons : les sachets.

A : Ouh !!! Ça a l’air compliqué leur truc.

F : Normal ! C’est des trucs d’adultes.  

N : Appelons au moins une ambulance.

L : Non ! L’hôpital préviendrait sûrement la police.  

J : Est-ce que l’agresseur était encore en bas quand vous avez trouvé ce pauvre garçon ?

P : Quelle horreur !!! Il nous a peut-être vues !

S : En tout cas, nous, on l’a pas vu.

J : Je descends voir !

L : Mais maman… tu es folle ou quoi ?!

J : ( sortant une arme de son sac ) Ne t’inquiète pas ma chérie, j’ai de quoi me défendre ! ( elle sort )

M : Mais elle est folle !!!

L : ( à Marie ) Eh ! Oh ! C’est de ma mère que vous parlez ! ( à sa mère ) Maman, attends !!! ( à Marie ) Je la suis avant qu’elle fasse une grosse bêtise, elle est folle ! ( elle sort )  

A : ( à Marie ) Bon… alors, qu’est-ce qu’on fait ?

M : Comment ça, qu’est-ce qu’on fait ?

A : Ben oui, qu’est-ce qu’on fait ? C’est vous la dernière adulte restante.

M : Ben… ben…

N : Réfléchissez ! En cas de problème, en général, qu’est-ce que vous faîtes ?

M : Qu’est-ce que je fais ?... Le placard !!!! ( elle fonce dans le placard )

N : Non mais je rêve !

A : Eh ben, on n‘est pas sorties du début !

F : Mais qu’est-ce qui lui prend ?

P : C’est parce qu’elle sait qu’il va mourir et qu’elle ne veut pas voir ça !!!!

S : Oh mais arrête !!! Elle a paniqué, tout bêtement ! Tu sais, comme le disait une copine, les adultes, c’est très surfait.

N : Ecoutez, et restons calmes. Je sais que ça nous fait à toutes quelque chose de voir ce pauvre jeune homme blessé…

S : Non, non, moi ça va…

P : Il va mourrrriiiiiirrrrr !!!!!

S : Oh la la !!!! Pimp !!! Ne te mets pas dans cet état-là !

F : Il faut faire quelque chose !

N : Les filles…

A : Oui, mais quoi ?

N : Les filles…

F : Ben je te le demande !

N : Les filles…

A : Mais moi aussi je te le demande !

N : Merde !!!!

P : Mais comment tu parles ? Qu’est-ce que c’est que ce langage ?

N : Oui… ben, je suis désolée mais… prêtez-moi un peu d’attention aussi…

S : Oui, mais toi, faut toujours te prêter quelque chose. Y en a marre.

A : Quand on est gentille, on prête !

N : Bon, vous avez fini avec vos blagues pourries  ?!!! On doit prendre une initiative.

S : ( qui a son foulard mâchouillé par Pimprenelle super nerveuse ) Moi, je veux bien mais est-ce qu’en attendant Pimprenelle pourrait arrêter de manger mon foulard ?

P : Décholée, ch’est les nerfs…

A : Tiens. Prends plutôt une part de ma tarte aux pommes.

N : Summer, c’est toi qui as fait du secourisme ?

S : Ah non, moi j’ai fait du scoutisme.

N : Armelle ?

A : Pareil. Scoutisme aussi. Mais j’ai arrêté, je supportais pas le grand air.

N : Flora ?

F : Moi ? Mais moi, j’ai jamais rien fait ! Je te jure, j’ai jamais rien fait !

N : Non mais ça va ! Je t’accuse de rien !

F : Mais c’était quoi ton idée ?

N : Je pensais qu’il fallait que l’une d’entre nous le ranime.

A : C’est marrant, moi je pensais qu’il fallait que chacune d’entre nous essaye de le ranimer.

S : Moi c’est encore plus marrant, j’allais proposer que personne n’essaye de le ranimer.

P : Ce que tu peux être méchante !

S : Mais pas du tout ! Je lui sauve la vie à ce pauvre type ! Quand on ne sait pas ce qu’on fait, on évite de se mêler de la santé des gens.

N : Plus j’y pense, et plus je suis certaine que tu as suivi un stage de secourisme.

F : Bon, d’accord ! D’accord !!! J’avoue, c’est vrai. J’avoue.

N : Mais c’est bon ! Encore une fois, on ne t’accuse de rien !

F : Mais c’était juste un petit stage d’initiation. Deux heures le matin, deux heures l’après-midi. Et c’était l’année dernière, j’ai dû tout oublier.

N : Mais non. Ces choses-là, c’est comme le vélo, ça revient dès qu’on s’y remet.

F : Mais j’ai jamais fait de vélo ! Et ça, c’est vrai ! Je le jure !

N : Mais non, c’était une image, pour expliquer.

A : C’est classe de s’exprimer avec des images comme ça.

P : Flora, tu dois au moins être capable de lui faire du bouche à bouche.

A : Mais le bouche à bouche, c’est pas pour quand les gens ils sont morts ?

S : S’ils sont déjà morts, tu peux leur faire du bouche à bouche le restant de tes jours, ça les ramènera pas à la vie !

A : Et c’est quoi alors qu’on appelle un mort-vivant ?

S : Ton cerveau !

N : Les filles…

A : Alors toi, tu pourras te gratter velu pour avoir de ma tarte aux pommes !

S : Mais c’est quoi ces expressions que tu nous sors tout le temps ?

N : Non mais les filles là… faîtes un effort ou on va jamais s’en sortir !

F : En tout cas, moi je vous préviens gentiment qu’il est pas question que je lui fasse du bouche à bouche !

N : Mais ce sera comme au stage.

F : Mais au stage je m’étais entraîné avec un mannequin !

N : Et alors ? Il est pas assez beau pour toi, c’est ça ?! Ecoute, dans la vraie vie, on peut pas sauver que des mannequins beaux gosses.

F : C’était un mannequin en plastique, andouille !!!

A : Et t’as réussi à ranimer un mannequin en plastique ? Putain ! T’es forte !

P : Tu pourrais faire un effort tout de même pour sauver ce pauvre garçon, même s’il n’est pas beau, même s’il n’est pas en plastique.

F : Mais je sais que je vais pas y arriver. Je suis trop nerveuse. Et en plus quand je suis trop nerveuse, ça me file des nausées. Si je lui vomis dans la bouche, c’est pas ça qui va arranger ses affaires !

P, A et S : Bêêêêêêêêê !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

N : Les filles, vous me fatiguez, mais vous me fatiguez… Bon, on va au moins s’écarter de lui, pour le laisser mieux respirer. Il a besoin d’air. ( toutes les filles s’éloignent très loin ) Non mais n’exagérez pas non plus ! Là, il a assez d’air pour se transformer en ballon. ( elles reviennent ) Je sais que je prends un risque en disant ça mais est-ce que l’une d’entre vous aurait une idée ?

A : Une quoi ?

P : Oui alors évidemment, si tu ne sais même pas ce que c’est….

A : Mais quoi ?!!! J’écoutais pas, c’est pas ma faute.

N : Mais sois un peu à ce qu’on fait !

A : Mais j’y suis, j’y suis ! Je mangeais juste un petit bout de tarte pour prendre des forces.

N : Bon, les filles, vous avez une idée ?

S : Non mais faut pas commencer comme ça !

N : Comme quoi ?

S : Si tu veux jouer les chefs, faut jamais demander leur avis aux autres. Tu décides et puis ils font ce que tu décides… ou pas. Parce que personne t’a élu chef non plus.

N : N’importe quoi. C’est une décision grave à prendre et tout le monde a son mot à dire. Flora, une idée ?

F : Il faut appeler les urgences.

N : Pimp ?

P : Si au lieu d’appeler les urgences, on appelait l’hôpital ?

S : Mais c’est la même chose.

N : Ben non. En fait, si je dis pas de bêtise, on a le choix entre le Samu, les urgences et les pompiers.

A : Les pompiers, en général, c’est les plus musclés, et les plus mignons. Je vote pour eux.

F : On n’a qu’à tous les appeler, ce serait le plus prudent.

S : On va pas tous les déranger pour une simple bosse.

N : Comment ça une simple bosse ? Il saigne comme un porc et il est évanoui.

S : Peut-être qu’il s’est simplement endormi.

A : Evidemment qu’il dort puisqu’il est évanoui.

N : Mais c’est pas pareil.

A : Ben moi, à part le sang, je vois pas la différence.

F : Bien sûr ! Toi, t’as pas suivi de stage de secourisme.

A : Oui, ben quand on est juste capable de ramener à la vie des mannequins même pas vivants, on la ramène pas !

S : Non mais sinon Armelle n’a pas tort. Les pompiers, c’est bien.

F : Si ça fait plaisir aux filles, d’accord pour les pompiers.

N : Non mais attendez, on appelle pas les pompiers pour se faire plaisir à nous. C’est pour lui qu’on les appelle !

F : Et tu crois qu’il est gay ?

N : Mais c’est pas ce que je veux dire. Vous me fatiguez les filles, mais vous me fatiguez…

S : Ah ça je te l’avais dit. Quand on commence à demander leur avis aux autres…

N : Bon en tout cas, si personne n’a une autre idée, on va appeler les secours.

A : Et moi ?

N : Quoi toi ?

A : Tu ne m’a pas demandée si j’avais une idée !

N : Euh… si…

A : Non !

N : Tu es sûre ?

A : Ouais !

N : Pourtant j’aurais juré t’avoir demandé.

A : Tu me prends vraiment pour une nulle, c’est ça ?   

N : Mais non.

A : Ben tiens !

N : Bon, ça va, excuse-moi ! C’est quoi ton idée ?!

A : Ben j’en ai pas !

N : Bon dieu !!! Et c’est pour ça…

A : Mais j’aurais pu en avoir une !

N : Bon… alors… si tout le monde est d’accord, je vais…

A : Ah !!!

N : Quoi encore ?!

A : Non, rien… j’ai cru que j’avais une idée.

N : Bon. Pas de bruit, je téléphone…

A : Attends !!!

N : Mais quoi ?!

A : Eh non. Encore loupé. Non mais j’ai senti que j’étais sur le point d’avoir une idée, je l’avais sur le bout de la cervelle… et puis au dernier moment, c’est pas sorti.

N : Je peux, oui ?

A : Excuse-moi… Ah !!! Ça y est !!!

Toutes sauf Armelle : Mais c’est pas vrai !!!

A : Ben quoi ? Vous me demandez une idée. J’en trouve une et vous êtes pas contentes ?!

N : Bon allez, crache le morceau !

A : Et si on essayait de le réveiller et puis de lui donner un peu de tarte aux pommes pour qu’il reprenne des forces ?

S : Tu veux qu’on se fatigue à la ranimer pour juste après l’empoisonner avec ta tarte ?

A : Non mais oh !!!!

P : Non mais faut avouer aussi qu’elle a une drôle de tête ta tarte aux pommes.

A : Non mais si elle a une drôle de tête, c’est parce qu’elle vient pas du pâtissier. C’est parce que c’est ma mère qui l’a faîte.

S : Ah d’accord, c’est comme toi !

A : Quoi ?!!! Qu’est-ce que tu veux dire là ? Tu me cherches toi ?!!!

N : Les filles…

A : Et puis même si elle a une drôle de tête ma tarte, y a que des bonnes chose à l’intérieur.

F : Comme toi.

A : Merci Flora ! Et puis lui aussi il a une drôle de tête, je te ferais remarquer. Et tu ferais mieux de t’occuper de la sienne. Et… j’y pense, si on le soignait en se servant de la tarte comme d’un cataplasme ?

F : Tu veux soigner une plaie avec une tarte aux pommes ?!!!

A : Et pourquoi pas ?! Avant, on soignait souvent les gens avec des cataplasmes à base de plantes et de fruits.

S : On va quand même pas le soigner en lui filant une tarte dans la gueule ?!!!

N : Non mais vous avez fini vos conneries ?!!!

P : Noémie, surveille ton langage !!! Ceci dit, parfois pour ranimer les gens, on leur donne des claques.  

F : On pourrait au moins essayer de lui parler pour voir s’il se réveille. Comment il s’appelle déjà ?

P : Saperlipopette, j’ai oublié aussi.

A : Au fond, on s’en fiche. On peut l’appeler comme on veut.

N : Mais dans ce cas-là, y a peu de chance qu’il réponde.

S : Moi en général, les garçons pour les appeler, je les siffle. En principe ça marche et ça m’évite d’avoir à mémoriser plein de noms.

F : Noémie, vas-y, siffle.

N : Mais je siffle quoi ? Sur quel air ?

F : Bon allez ça va, j’ai compris. Je téléphone aux pompiers…. Allo ?... Les pompiers ?... Allo ?... Allo ?... Je comprends rien à ce qu’ils me disent…

N : C’est sûrement un problème de réseau. Sors sur le palier pour voir… ( Noémie et Flora sortent )

A : Bon, ben pendant ce temps, vous faîtes comme vous voulez, mais moi j’attaque la tarte.

S : T’as vraiment peur de rien !

P : Ceci dit, c’est vrai que je meure de faim. 

A : Vous vous moquez et vous ne le méritez pas, mais je suis bonne et je vous donne un morceau à chacune.

S : ( prenant un air dégoûté )Vraiment tu es trop bonne !

A : ( mangeant de bon cœur ) Ben moi, je vous dis que cette tarte est trop bonne et que ça aurait sûrement fait du bien à sa santé à ce pauv’gars d’en manger un morceau.

S : Quand on voit ce que ta famille a fait à ces pauvres pommes, ça donne pas envie de te confier la santé de quelqu’un.

P : Ce qui est marrant c’est que d’habitude, les tartes aux fruits, je laisse les fruits et je mange le reste.

S : Et là, tu fais l’inverse ?

P : Non ! Non ! Là, je laisse tout.

F : Bon, sur le palier, ça marche pas non plus. J’ai pas de réseau.

N : Moi non plus. Y a pas un téléphone fixe ?

F : J’en vois pas.

A : Moi non plus.

P : Zut ! Et rezut !

S : Pimp !!! Ton langage !

P : Oh pardon !

N : Bon, je vais descendre dans la rue pour avoir du réseau.

P : On perd du temps là. Si on le descendait en bas ? Comme ça les pompiers le récupèreront plus vite.

N : Bonne idée !

S : Allez hop ! Chacune un morceau. Armelle, ça te ferait mal de nous donner un coup de main ?

A : Oui ben je prenais des forces ! ( elles l’empoignent toutes sauf Flora et commencent à l’amener à la porte )

F : Je vais vous tenir la porte. Faîtes attention… ( hurlant ) Stop !!! Lâchez-le !!! ( elles le lâchent, il tombe par terre )

P : Tu m’as filé une de ces peurs !!!

A : Mais qu’est-ce qu’il y a ?

N : Le pauvre garçon. J’espère qu’il ne s’est pas fait mal. Aidez-moi à le ramasser. ( elles le ramassent )

F : Mais vous ne réalisez pas. Je viens de me rappeler à l’instant d’un truc très important qu’ils nous avaient dit au stage de secourisme. Il ne faut jamais, jamais, c’est très dangereux,  bouger un blessé sauf en cas d’incendie ou de danger immédiat. ( elles le relâchent et il retombe ) Mais bon sang, vous pourriez le lâcher mais en douceur !

N : Attends ! Tu râles alors qu’on fait tout ce que tu dis !

S : Eh ben, c’est compliqué de s’occuper d’un blessé !

A : Oui. Pour être compliqué, c’est compliqué.

N : Vous savez quel est le problème au fond ?... C’est que nous vivons une révolution de la condition humaine dans un monde postmoderne.

F : Et qu’est-ce que ça veut dire ?

N : J’en sais rien !

F : Et quel rapport avec notre blessé ?

N : J’en sais rien non plus, mais je sais que mon père dit tout le temps ça !

S : Merci, ça nous aide beaucoup !

N : Oh mais de rien.      

S : Je sais.

A : En tout cas, c’est classe ! ( entrent Léa et Josiane )

L : ( montrant Martin ) Il est encore là, lui ?!!!

N : Ben dans son état où voulez-vous qu’il aille ?

L : Oui, bien sûr…

F : Surtout qu’elles arrêtent pas de le laisser tomber ! Il était pas bien jojo tout à l’heure en arrivant, mais c’est sûr que maintenant…

A : Eh !!! Si t’es pas contente t’avais qu’à lui faire du bouche à bouche ! Mais mademoiselle fais sa difficile : il faut que les mecs soient des mannequins, que les tartes aux pommes viennent du pâtissier…

F : Tu sais ce qu’elle te dit la difficile ?!!!

L : Oh les mômes !!! Vous allez pas commencer à me casser les arpions !!! J’ai déjà ce qui faut comme ça. Y a le flic d’à côté qui se ramène encore.

J : On l’a croisé dans l’escalier, il va nous amener des gâteaux. C’est plutôt gentil.

L : Comme si on lui avait demandé quelque chose. Qu’est-ce que j’en ai à foutre qu’il soit gentil ?! Bientôt il n’aura plus qu’à mettre son nom sur ma sonnette. Si quelqu’un vient le visiter, il aura plus de chance de le trouver ici !

J : Il s’invite peut-être mais avec des gâteaux.

A : Oh ben s’ils viennent du pâtissier, faut pas s’inquiéter, mademoiselle Flora les trouvera sûrement à son goût.

L : Stop !!! C’est pas le moment de se disputer. Faut avant tout le faire disparaître çui-là !

J : Je ne comprends pas que tu ne veuilles pas prévenir la police… Pfff !!! C’te connerie !

L : C’est ce pauvre Martin lui-même qui l’a demandé !!! Je l’ai pas inventé.

N : Ah ben non ! Il a été bien clair.

P : Nous on sait pas pourquoi, mais…

S : N’empêche qu’il a été clair.

J : Et depuis quand tu fais ce qu’on te demande toi ?

L : Mais maman… il… il… est à moitié mort le pauvre… et on respecte toujours les volontés d’un défunt, voilà !!! Ou celles d’un moitié défunt !

J : Dans ce cas-là, on pourrait les respecter qu’à moitié. Et en parler à la police au moins à moitié…

L : Non !!!

J : Mais tu as le béguin pour ce garçon ou quoi ?!

L : Mais maman….

J : Non mais moi ça me dérange pas. Je commençais à croire que tu avais le béguin pour l’aut’morue là… Tiens d’ailleurs où elle passée celle-là ? ( les gamines désignent le placard )

M : ( passant la tête et avec un sourire crispé ) On parle de moi ?... ( à Léa ) En tout cas votre maman est tout à fait charmante. On se sent de suite estimée.

J : A sa juste valeur, ouais !

L : Bon, vous avez fini votre numéro comique toutes les deux ? ( on tape à la porte ) Merde !!! C’est lui ! Faîtes-moi disparaître ça, vite !

S : Ben où ?!

L : Dans la salle de bain !

F : Ah non !!! Il ne faut pas transporter un blessé !

L : Non mais oh !!! Vous l’avez bien transporté jusqu’à chez moi, vous pouvez bien le transporter encore un peu pour m’en débarrasser ?!!!

F : Non, faut pas transporter un blessé. Ils ont été très clairs au stage de secourisme.

L : Mais faut pas transporter les blessés qui… qui souffrent du mal des transports, or lui, je le connais, il en souffre pas. Allez hop !!! Je vais vous aider.

M : Bon… eh bien moi, ( regardant Josiane ) comme on m’a bien fait sentir que j’étais de trop, je me retire chez moi. ( elle retourne dans le placard. On retape à la porte )

L : Maman. Tu t’en occupes 5 minutes et surtout pas de gaffe. ( elle aide à transporter Martin avec les filles dans la salle de bain )

J : Mais qu’est-ce que je lui raconte à ce type ? ( allant à la porte )

L : Parle-lui… de sport !

J : Quoi ?

L : Parle-lui du curling ! ( elles disparaissent dans la salle de bain )

J : De quoi ?! ( on retape elle va ouvrir, Bernard entre )

B : Rebonjour.

J : Re !

B : Vous vous rappelez de moi ? Bernard, le nouveau voisin de votre fille. ( donnant la boite à gâteaux ) Pour vous, au cas où vous n’auriez pas eu le temps de déjeuner. Remarquez, il n’ y a pas besoin d’avoir faim pour être gourmand, n’est-ce pas… ( elle ne répond pas ) Remarquez vous pourriez me répondre qu’il n’y a pas besoin d’être gourmand pour avoir faim aussi. ( elle le regarde bizarrement ) Enfin voilà…

J : Merci monsieur.

B : Mais de rien chère madame… madame…

J : Monsieur ?

B : Madame… ?

J : Hein ?

B : Madame… ?

J : Ben quoi, « madame ? ». Vous bégayez ou quoi ?!!!

B : Pas du tout. Je disais « madame ? » pour… savoir votre nom.

J : Qu’est-ce qu’il peut vous foutre mon nom ?

B : Eh bien… c’est pour savoir comment vous appeler.

J : Josiane Toulemonde, qu’on m’appelle !

B : Ah !... Je déduis à votre parler que vous venez de la campagne.

J : On peut rien vous cacher.

B : Ah le pittoresque de la campagne… Eh bien, je vais faire pareil et vous appelez Josiane.

J : Dîtes… on n’a pas gardé les cochons ensemble. Je préfère que vous m’appeliez par mon nom de famille.

B : Euh… bien sûr, bien sûr… et c’est quoi votre nom de famille ?

J : C’te connerie !!! Je suis Josiane Toulemonde ( lui parlant comme à un débile ) A compris ?!

B : Oui mais vous n’êtes pas que « Josiane » !

J : Et qu’est-ce qu’il veut que je sois d’autre ?!

B : Mais votre nom de famille ? Vous avez bien un nom de famille comme tout le monde ?!

J : Ben oui !

B : Comme…

J : Toulemonde.

B : Eh bien oui, on est bien d’accord. ( soufflant, la trouvant lourde )

J : On est d’accord !

B : Mais alors c’est quoi votre nom de famille ?

J : Oh, mais c’est pas vrai !!!

B : Bon, bon, peu importe… Nous n’allons pas nous disputer par une si belle matinée ?

J : Belle matinée ? Il pleut !

B : Mais quand on rencontre quelqu’un d’aussi charmant que votre fille… et vous, aussi bien sûr… ( elle hausse les épaules ) et où est-elle justement votre charmante fille ?

J : Dans la salle de bain.

B : Ah ! Encore à se refaire une beauté.

J : M’étonnerait !

B : Ah ? Et que fait-elle alors ?

J : J’ai pas le droit de vous le dire !

B : Quelque secret de femme sans doute…

J : C’est ça !

B : Bien… eh bien nous allons l’attendre… voilà, voilà… ( lui proposant un gâteau )… Vous n’avez pas faim ?

J : Non !

B : Bien…hum…hum…

J : Mais euh… ( se forçant à chercher un sujet de conversation ce qui la gonfle ) vous aimez le curry, j’ai cru comprendre.

B : Le curry ?

J : Oui, c’est ce que ma fille m’a dit.

B : Euh… non, pas spécialement… au contraire ça me donne des aigreurs et ça… me provoque des renvois…

J : ( dans un grand soupir ) Intéressant !

B : Ah excusez-moi… mais comme c’est vous qui me demandez…

J : Non mais oh ! C’est p’têt moi qui vous demande si vous rotez bien après les repas ?!

B : Non mais c’est vous qui avez mis le sujet sur la table…

J : J’ai rien mis du tout sur la table moi.

B : Non mais… c’est une image…

J : Non mais j’avais compris ! Vous me prenez pour qui ?!

B : Hum… Et… et le papa de votre fille…

J : Mon mari, vous voulez dire ?

B : Oui…

B : Eh ben dîtes-le alors !

B : Mais je le dis, je le dis… et donc que fait-il dans la vie votre mari ?

J : Il bouffe les pissenlits par la racine ! C’est une activité qui lui prend tout son temps !

B : Hum… Et à part ça… euh… il fait beau par chez vous ?

J : Vous savez, vous n’êtes pas obligé de faire la conversation. ( Léa revient )

L : Ah ! Ah ! Je vous surprends en pleine conversation ! Et… ( lançant un regard inquiet vers sa mère ) vous parliez de quoi ?

B : De la météo.

L : La météo ?

B : Oui ? Oh vous savez… tout le monde en parle…

J : Mais j’ai rien dit moi !!!

B : Non mais en disant « tout le monde », je ne pensais pas à vous.

J : Ben moi si !

B : Ah ! ( ruminant plus fort qu’il ne l’aurait voulu ) C’est fou comme certains sont égocentriques !

J : Vous parlez de moi là ?!!!

B : Hein ?...Mais… mais non… En disant ça, je parlais de tout le monde

J : C’est bien c’que j’dis !!!

B : Excusez-moi mais ( en faisant le geste des guillemets )« tout le monde », ce n’est pas vous.

J : Mais bien sûr que si ! Pardi !!! ( à sa fille ) Mais qui c’est ce type qui entrave que dalle et me fait ( faisant le geste des guillemets ) des gestes bizarres ?!!!

L : Allons ! Allons ! On ne va pas se disputer par une belle matinée comme celle-là !

J : Ah ? Toi aussi tu trouves qu’il fait beau maintenant ? Toi qui arrêtais pas de te plaindre du temps au village.

L : Eh bien oui, mais je change, tu vois. Je mûris.  Et si on prenait un petit thé, hein ? J’ai déjà fait chauffer de l’eau. Et avec le thé des croissants ? Marie ?

M : ( passant la tête du placard ) On m’appelle ?

J ( voyant la tête étonnée de Bernard ) Oui, cherchez pas ! Vaut mieux pas essayer de comprendre.

L : Je vais préparer du thé pour tout le monde. Tu veux bien descendre acheter des croissants et en profiter pour jeter les poubelles ?

M : Ah d’accord ?!!! Je suis la bonniche maintenant ?!

B : Non mais pas besoin de croissants, j’ai pris des gâteaux.

L : Ah oui, c’est vrai. Mais tu pourrais tout de même descendre les poubelles. En plus tu avais des choses à jeter dans tes poches, comme ça tu les jettes aussi. ( elle lui tend le sac poubelle )

M : Hein ?!

L : Mais oui enfin !!!

M : Ah oui !!! ( elle sort les sachets suspects )

J : Qu’est-ce que c’est que ça ?

L : Des sachets de vieux sucre qu’on avait mis de côté pour… partir en pique-nique, et qu’il vaut mieux jeter. C’est plus bon maintenant.

J : Tu plaisantes ? Le sucre, ça se conserve hyper longtemps. Tu vas pas gaspiller ? C’est pas comme ça que je t’ai élevée !

L : Mais maman…

M : Mais madame…

J : ( prenant le sucrier ) Allez hop ! Dans le sucrier !

B : Vous avez entièrement raison. Notre société de consommation encourage beaucoup trop le gaspillage.

M : Qu’est-ce que je fais ?

L : Ben vas-y… qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Mets le sucre dans le sucrier…

M : Et pour le thé on prendra du sucre en morceaux, c’est ça ?

L : S’il m’en reste… ( se mettant à chercher )

J : ( à Marie ) Bon ! Vous le servez ce thé ?

M : Oui ! Oui ! Je suis vraiment la bonniche. ( elle apporte le thé sur la table )

B : Merci. Je me présente : Bernard, voisin de palier. Vous habitez ici ?

M : Ah non !

L : Ah ben oui !

M : Mais non ! J’habite au Japon.

L : Ah ! Ah ! Ah ! Le sens de l’humour de Marie.

J : Si c’est ça son humour, j’espère qu’elle gagne pas sa vie en écrivant des sketchs.

L : Marie est ma colocataire. Et elle n’arrête pas de me faire rire.

J : Dis… entre deux éclats de rire, on pourrait avoir du sucre ?

M : Du sucre ?

J : Oui, du sucre ! S’il n’y en plus ne morceaux on prendra du sucre en poudre.

L : Ah mais non. Je ne peux pas vous laisser faire ça.

J : Et pourquoi ça, je te prie ?

L : Non mais vous n’écoutez jamais les informations. Les problèmes de nutrition sont en train de devenir un problème de santé publique. On mange trop gras et surtout trop sucré. La mal bouffe d’aujourd’hui c’est… un suicide collectif…

J : Non mais ça va, oui ? Je suis en parfaite santé.

L : Que tu crois. Le sucre est un poison qui nous tue à petit feu, lentement.

J : Ben ça tombe bien, je suis pas pressée. Je veux du sucre dans mon thé.

B : Vous savez. On va manger les gâteaux, alors c’est pas un peu de sucre en plus dans le thé qui va…

L : Oui mais justement, ça s’accumule et ça fait trop.

J : Bon ben je mangerai pas de gâteau mais je prendrai un peu de sucre dans mon thé !

L : Mais maman… tu vas pas faire ça à M. Bernard ! Des gâteaux qu’il a faits lui-même !

B : Ah non. C’est le pâtissier.

L : Non mais il dit ça par modestie !

B : Ah mais pas du tout.

L : Mais si ! Mais si ! Vous êtes trop modeste, Bernard.

J : Non mais c’est quoi le numéro que tu me fais là ? Tu tiens tant que ça à entrer en conflit avec moi ?

L : Mais je ne cherche absolument pas le conflit. C’est toi qui fais des histoires !

J : C’est moi qui fais des histoires ?!!! ( montrant son avant-bras ) Dis, tu l’a vu celui-là ?!!! Parce que je te préviens que tu es sur le point de le voir de près ! Si t’as pas reçu assez de tannées quand t’étais gosse, je peux rallonger la dose sans problème !!! Si c’est ça que tu cherches, je peux satisfaire la clientèle sans problème !!!         

B : Voyons ma chère Josiane…

J : Et je rappelle à çui-là qu’on pas gardé les poules ensemble alors qu’il s’occupe de ses moutons, et comme ça les vaches seront bien gardées.

L : Poules, moutons, vaches, non mais tu te crois encore dans ta ferme ?!!! Ici, c’est chez moi et c’est pas toi qui commandes ! Mais si tu tiens que ça à te le sucrer ton thé, tiens voilà !!! ( elle prends une tartelette et l’écrase dans les tasses ) Tiens et tiens !!! Et voilà, c’est sucré !!!

J : Non mais ça va pas bien ?!!!

M : Non mais faut l’excuser, elle n’a pas beaucoup dormi cette nuit, je crois.

J : Non mais j’ai bien compris que j’étais de trop ici. Mais pas de souci, je reprendrai le train pour chez moi dès cet après-midi. Est-ce qu’en attendant je peux m’asseoir dans un coin et bouquiner pour patienter ou je dois me rendre immédiatement à la gare ?

L : Fais comme tu veux. ( Josiane s’assoit, prend un livre et commence à le lire )

B : ( venant s’asseoir à ses côtés après un petit temps de malaise général ) Ma chère Josiane…

J : Je lis !!!

B : Oui, mais si je puis…

J : Je lis et ce que je lis me passionne !

B : Ah ?

J : J’ai le droit d’être passionnée par ce que je lis ?

B : Bien sûr. ( lisant le titre de l’ouvrage ) « Bescherelle, l’art de conjuguer »… ça vous passionne ?

J : Euh… oui !!!

B : Ah bon ?

J : Oui ! Surtout l’imparfait du subjonctif.

B : Ah oui ?

J : Ah ça m’éclate à fond !

B : Eh bien… c’est bien…

J : Prenons un verbe au hasard : péter la gueule, par exemple.

B : Oui ?

J : ( en martelant et postillonnant vers Bernard ) Que je lui pétasse la gueule, que tu lui pétasses la gueule, qu’il lui pétasse la gueule, que nous lui pétassions la gueule, que vous lui pétassiez la gueule, qu’ils leur pétassent la gueule !... Alors, c’est pas l’éclate la conjugaison ?!

B : Euh… Votre enthousiasme pour la langue française vous honore mais…

J : Trop aimable mais j’aurais souhaité que vous vous occupassiez de vos affaires !!!       

B : Vous savez…

J : Non, je sais pas et je veux pas savoir !

B : Je suis persuadé que vous êtes une mère qui aime profondément son enfant et qui s’inquiète pour elle. Vous l’imaginez seule, perdue dans la grande ville, en proie aux tentations de toute sorte, l’alcool, la drogue… soumise aux mauvaises influences des mauvais sujets, des délinquants séducteurs et suborneurs… mais je vais vous dire, vous devriez faire d’avantage confiance à votre fille. Je la connais depuis peu mais j’ai parlé avec elle. Je vais même vous avouer que pour m’amuser je l’ai un peu mise sur le grill, je l’ai un peu titillée…

J : Vous avez titillé ma fille ?! Vous ?!!!

B : Euh… oui mais, pardonnez-moi, j’aurais dû me douter qu’il était important que vous sussiez que ce fut en tout bien, tout honneur, que vous sussiez que ce fut en toute innocence.

J : Quoi ?

B : Vous ne pouviez savoir que depuis ma plus tendre enfance j’adorasse taquiner.

J : Finalement l’imparfait du subjonctif, ça me lasse un peu.

B : Peu importe, l’important est que vous soyez rassurée. Je l’ai faîte un peu mariner…

J : Mariner quoi ?

B : Votre fille.

J : Vous avez marinée ma fille ?!

B : Euh… oui, c’est un terme de métier. Eh bien, je suis persuadé que votre fille a bien la tête sur les épaules. Elle n’est pas du genre à se mettre dans les ennuis et puis inventer n’importe quoi pour s’en sortir. Vous savez, moi, quand on me ment, je le vois toujours. C’est mon métier. Eh bien, je peux vous assurer que votre fille n’est pas une menteuse et qu’elle n’est pas du genre à passer de folles nuits d’orgie en compagnie de n’importe qui. Non. S’il y avait eu quelque chose de louche, de pas clair ici, je l’aurais senti de suite. Pour ça, j’ai le flair !

M : Et monsieur est un professionnel !

B : Et je suis un professionnel ! 

 L : Il a raison maman. Je peux comprendre que tu t’inquiètes pour moi, et même je dois avouer que le contraire me ferait de la peine. Mais maintenant je dois me prendre en main seule. Et même j’ai besoin de faire mes propres erreurs. C’est comme ça, c’est la vie. Mais je te promets d‘être plus prudente à l’avenir. Je te promets que je n’ai aucune envie de me réveiller un matin avec quelqu’un que je ne connais pas, en trouvant… je ne sais quoi laissé par je ne sais qui… et me retrouver dans le stress et les emmerdes.   

B : Voyez comme elle est raisonnable ?

J : Vous avez raison. Il faut que j’apprenne à lui faire plus confiance. De toute manière, j’ai pas le choix ?

L : Non.

J : Mais je tiens à te dire que j’ai plus confiance en toi que tu ne le crois.

B : Ceci dit, si pour vous rassurer un peu plus, il vous faut passer quelques jours dans le coin, ça peut facilement s’envisager.

L : Non mais puisqu’elle vous dit qu’elle me fait confiance !

B : Non mais en séjournant juste quelques jours ici, elle aura encore plus confiance. A 100 m d’ici, il y a un petit hôtel très correct, je connais le patron, il vous fera un prix. Il me doit un petit service par rapport à… une certaine clientèle professionnelle qui lui loue des chambres tout au long de la journée.

J : Oui, c’est vrai, je pourrais faire ça.

L : Mais maman…

J : Ne t’inquiète pas ma chérie. Ce ne sera que pour quelques jours.

B : Je vais vous accompagner. Est-ce que je vous ai dit que je suis veuf ?

J : Bœuf ?

B : Non pas bœuf. Vous aussi vous avez un peu de déformation professionnelle. Je suis veuf pas bœuf. Ne confondez pas, surtout que comme l’a dit quelqu’un, probablement un agriculteur, un veuf il peut toujours recommencer, tandis qu’un bœuf… Et donc à ce propos, si j’ose dire, ça nous fait un point commun. ( il ouvre la porte et entrent Aurore et Clémentine sa jeune soeur )

A : Bonjour. Je viens voir Léa.

B : Bien sûr. Mais dis-moi que tu es mignonne toi. Quel âge as-tu ?

Clémentine : Je suis assez grande pour savoir que je dois pas parler aux étrangers.

B : Mais je ne suis pas un étranger.

C : Oui ! Tu as une sale tête de méchant et si tu continues de me parler, j’appelle la police !

B : Elle est adorable !

C : Et je suis pas adorable !!!

B : Ah ? Et qu’est-ce que tu es alors ?

C : Je suis intelligente et c’est le plus important !

B : Tu as raison.

C : Mais c’est vrai que je suis jolie aussi.

B : Si tu le dis.

C : Je suis gentille aussi.

B : C’est bien.

C : Je suis travailleuse aussi.

B : Formidable !

C : Ah j’allais oublier : je suis modeste aussi !

B : C’est évident !

C : Et je suis honnête aussi !

B : C’est essentiel ! Et l’honnêteté paye toujours !

C : ( à Aurore ) A propos de payer, tu me dois encore 5 € parce que j’ai pas dit à papa que tu étais resté 1heure au téléphone avec ton petit copain.

A : J’ai pas de petit copain et j’ai pas de monnaie. Regarde, j’ai que 10 €.

C : ( prenant le billet ) Mon silence vaut bien 10 € !

B : Et en plus elle a le sens des affaires !

J : Bon ! On y va, oui ?!!!

B : Oui ! Oui !( ils sortent )

A : ( à Léa ) Est-ce que ça va ?

L : Je sais pas. Je suis fatiguée.

C : Elle a une sale tête.

A : Clémentine, je t’ai déjà dit qu’on ne parle pas comme ça des gens. En tout cas, pas quand ils peuvent t’entendre. ( à Léa et Marie ) Excusez-la, c’est ma petite sœur. Elle ne sait pas tenir sa langue.

C : Papa, il a dit que je pouvais dire tout ce que je voulais parce qu’on est en république.

M : Tu peux dire tout ce que tu veux ?

C : Oui, sauf sur papa et maman.

A : Je venais te dire que mon père passera vers 4h cet après-midi pour les problèmes de plomberie.

L : Tu remercieras bien ton père de ma part. Bon… je me recoucherais bien…

M : C’est dimanche, profitez-en.

C : Moi, j’aime bien le dimanche parce que je peux suivre ma sœur partout.

A : C’est pas toi qui me suis, c’est moi qui te surveille.

C : La vérité, c’est que papa m’a demandé de la surveiller parce qu’il a peur qu’Aurore commence à s’intéresser aux garçons.

A : N’importe quoi ! Je suis encore trop jeune pour m’intéresser aux garçons.

C : Ça, c’est ce que tu voudrais que je raconte à papa !

A : Elle m’énerve quand elle fait ça. Le bon dieu a inventé les petites sœurs pour qu’on gagne son paradis, moi je vous le dis. ( à Léa ) Excuse-nous Léa, nous, on parle alors que toi, tu veux te coucher.

L : En fait… je sais pas ce que je veux… j’aimerais bien savoir ce que je veux d’ailleurs.

A : Bof ! A quoi ça sert ? De toute façon, dans la vie, on n’a pas ce qu’on veut en général.

M : Moi, je sais ce que je voudrais. Me coucher mais chez moi, dans mon lit, à Kyoto.

A : Remarquez, en général, on veut ce qu’on n’a pas.

L : Dis donc, t’en as beaucoup des phrases comme ça ?

A : En général ? Oui !

Armelle : ( sortant de la salle de bain ) Dîtes on pourrait revenir là ?

L : Euh oui, bien sûr.

N : Ouf ! Parce que là, à 6 dans cette salle de bain…

L : Comment va Martin ?

M : Au fait, il faudrait finir par faire quelque chose pour ce pauvre garçon.

S : Vous voulez dire filer dans le placard.

M : Je dois reconnaître que… je n’ai pas beaucoup assumé mes responsabilités d’adulte, c’est vrai. Mais je vais me rattraper. Je vais me sacrifier et le ranimer moi ! ( elle se jette sur lui pour lui faire du bouche à bouche )

A : Oh la !!! On fait pas du bouche à bouche à un blessé comme ça…euh… si ça se trouve, il est contagieux ! ( elle se penche pour lui faire le bouche à bouche )

M : Ah mais c’est dégoûtant !!!

Martin : Oh ben ça va ! Je vous retourne le compliment.

M : On dirait une espèce de sauce à la tomate… avec je sais pas quoi…

Martin : Du basilic. Et un peu d’ail aussi.

L : Que… que… quoi…

Martin : C’est une sauce excellente, c’est moi qui l’ai faite personnellement.

L : Attends, tu pourrais m’expliquer là… ?

Martin : Alors… surtout il faut que tu gardes à l’esprit que tout ça été fait dans ton intérêt.

L : Attends, toute cette histoire, c’est un bateau que tu m’as monté ?

M : Léa, du calme et du sang froid.

L : Oh mais je suis très calme. J’ai jamais été aussi calme de ma vie ! Mon marteau ! Où j’ai mis mon marteau ?! ( elle se met à lui courir après un marteau à la main )

M : Mais enfin, pas devant les enfants.

L : M’en fous !!! Je veux ses burnes sur un plateau ! ( Martin va se cacher derrière les filles )

S : Eh ! Pas derrière moi !

P : Mais pas moi non plus !

L : Te cacher derrière des petites filles. Tu es encore plus minable que je ne le pensais !

A : Eh !!! Dégage, minable !

F : Non, pas derrière moi !!

N : Mais c’est fini oui ?!!! Franchement, ça donne pas envie d’être adulte !

A : Léa ! Stop !!! C’est pas lui qui a monté ce plan ! C’est moi !

L : Quoi ?!!!

A : Le cerveau, ce n’est pas lui.

Martin : Tu me connais, tu le sais bien que j’ai rien d’un cerveau.

A : Non, le cerveau c’est moi.

L : Toi ?!!!

A : L’idée initiale, c’est moi. Le plan dans ses moindres détails, c’est moi. La complicité de Martin, c’est moi. Le recrutement des autres filles à mon cours de théâtre, c’est moi. Le médicament pour faire oublier sa nuit à Marie, c’est moi.

M : Quoi ?!!!

A : C’et un médicament expérimental contre la maladie d’Elzeimmer qui a été essayé sur ma grand-mère. Ils avaient arrêté au bout d’un moment, car les tests ont prouvé que ça provoquait des pertes de mémoire. Enfin, pour faire bref, tout est de moi. Alors je sais, je suis une garce, je l’admets, je ne peux pas le nier, mais une garce de génie. Oui, il y a du génie en moi, je ne peux pas le nier non plus, même si ma modestie doit en souffrir.  

C : Tu as volé les médicaments de mamie… Alors là… ça va être trop bon quand je vais raconter ça à papa.

A : Clémentine, on négociera ça tout à l’heure.

C : Ah non. Rien ne vaudra la tête de papa quand je vais lui raconter tout ça.

A : Clémentine n’oublie pas qu’un jour tu auras 16 ans et que tu auras besoin d’une grande sœur majeure pour te servir d’alibi.

C : Non, 16 ans, c’est trop loin. Je veux voir la tête de papa quand je vais lui raconter ça.

A : Sale garce !

M : Léa ? Est-ce que ça va ? ( elle est pétrifiée )

A : Mais Léa tout ça, c’était pour ton bien. Pour te faire prendre conscience des erreurs commises dans ta vie et… te servir de leçon en quelque sorte.

L : D’accord… d’accord…

A : D’accord quoi ?

L : J’accepte d’avoir reçu une leçon et j’accepte d’admettre que cela m’a rendu service et ne plus faire d’histoire.

A : Ah !!! Je le savais, les filles. J’aime quand un plan se déroule sans accroc.

L : Mais à une condition. Aurore, toi et ton équipe, vous allez vous débrouiller comme vous voulez mais vous me débarrasser de ma mère et de l’autre cinglé. Est-ce qu’on est bien d’accord ?

C : Quoi ? Tu vas rien dire à notre père ?

L : Non !

C : Même pas drôle !

A : Euh… tout à l’heure j’ai un peu écouté à la porte, ça va pas être évident avec deux bestiaux de ce calibre mais… mais… je crois que j’ai le début d’un plan. Les filles, Martin, réunion générale chez moi.

C : Ben c’est pas grave, moi je dirai tout à papa.

A : Reviens ici !!! Clémentine, ma chérie, je suis sûre qu’on peut négocier…( elle la suit et hurle : ) Clémentine !!!  ( tout le monde sort sauf Marie et Léa )

M : Vous le pensez vraiment que ça vous a rendu service ?

L : Attends ! C’est pas une morveuse qui va m’apprendre la vie. Mais si elle n’a qu’une chance sur cent de me débarrasser des deux autres, je cours ma chance.

M : Je me disais aussi. ( elles sortent. D’un placard sort un type l’air louche et mal réveillé. Il voit qu’il n’y a personne. Il sort un sachet de poudre blanche, le planque, et sort rapidement )

                                              NOIR ET GENERIQUE

                                                            ***

NOTE D INTENTION DE L AUTEUR

Le thème sous-jacent principal de ma pièce est la peinture des rapports existant entre des personnages de tranches d’âge différentes entre eux, et plus précisément le regard qu’ils  portent les uns sur les autres.  Je suis depuis plus de 10 ans professeur de théâtre pour enfants, adolescents et adultes. Et dans ma pratique je jongle d’une tranche d’âge à une autre et c’est un des grands intérêts de ma pratique d’analyser les différences de comportement et notamment l’attrait, voire la fascination teintée de défiance que chaque âge porte sur l’autre. Sans compter que nous sommes tous enclins à juger les autres, beaucoup plus que nous ne voulons l’admettre, quel que soit l’âge de cet autre. Et ces jugements sont le moteur de ma pièce, les circonstances dues au hasard n’étant que des catalyseurs.

Quand j’ai monté cette pièce, j’ai pu avoir des acteurs correspondant parfaitement à l’âge des personnages, et ma préoccupation première dans ma direction d’acteur a été le naturel. Cela est toujours important chez des comédiens mais ici d’autant plus que les ressorts de la pièce reposent sur les relations généralement « naturelles » entre ados eux-mêmes, entre enfant et ados, entre ados et adultes, entre une mère et sa fille, jeune adulte.  Il était important d’avoir ce réalisme plongé dans des circonstances et des péripéties, elles, sortant de l’ordinaire, voire rocambolesques afin d’emporter l’adhésion du spectateur.

A propos de ces péripéties, j’ai voulu dans l’écriture de cette pièce rendre un modeste hommage aux qualités « d’horloger » de George Feydeau, et sa science de l’enchaînement de hasards et de mensonges, démarrant doucement, mais qui entraîne par étapes logiques une escalade de rebondissements qui aboutie parfois à des situation quasi surréalistes. Cette « progressive progression » est passionnante à travailler car il faut que le spectateur trouve au fond compréhensif et logique le premier mensonge, crédible la première coïncidence, et tout avance étape par étape de façon à ce que le spectateur accepte à la fin sans réfléchir comme réalistes ou crédibles les situations les plus folles.

Les scènes de dispute entre personnages, même parfois déconnectées de l’action principale, sont importantes car elles permettent de mieux caractériser les personnages, de leur donner du relief, ce qui permet au spectateur de s’intéresser à ces personnages, d’avoir bien plus envie de suivre leurs mésaventures.

Pour le personnage de Bernard, j’ai voulu en faire un policier atypique mais pas improbable, un personnage ayant une certaine culture mal digérée, et qui l’emploie avec maladresse pour se mettre en valeur, occultant ainsi ce qui devrait lui crever les yeux. Un personnage atypique aussi dans le sens où sa fonction de policier joue un rôle important dans l’histoire alors qu’à aucun moment celui n’enquête, d’ailleurs il n’est pas en service, et ne fait que « draguer » de manière assez pathétique.

J’ai fais aussi attention à alterner les séquences de rythme trépidant et plus calme. Cette alternance est aussi importante pour les spectateurs que pour les comédiens, pour éviter un essoufflement  des uns ou des autres. J’ai voulu aussi que cette pièce soit d’un seul tenant, sans entracte, quasiment en temps réel, en temps « réaliste », de façon à encore mieux entraîner le spectateur et éviter qu’il sorte de l’histoire.

Autre chose que j’ai voulu mettre en place pour cette pièce, c’est d’écrire une fin qui conduise à une suite tout en fermant un chapitre important. Le but de cette démarche n’est pas de copier un des pires travers d’Hollywood et son obsession  d’épuiser à l’extrême un filon rémunérateur, mais plus « éthiquement » de copier la réalité de la vie. Dans la vie réelle, les histoires n’ont jamais une fin absolue. La vie continue toujours, des chapitres se ferment, mais le livre de la vie continue, plus ou moins modifié par les chapitres précédents. Même la mort n’est pas une fin absolue, puisque ceux qui restent continuent de vivre, plus ou moins marqués par le décès advenu. Tout comme un changement, une évolution d’une personne, due à une prise de conscience ou un traumatisme, eux-mêmes dus à certains évènements et circonstances, n’est jamais définitive ou irrévocable. Il me parait donc naturel, et réaliste, qu’il en soit de même pour les personnes de la fiction que sont les personnages.    

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