Quelques mots pour ma Muse (Partie 1)

Lézard Des Dunes

Quelques mots pour ma Muse

La scène se passe dans un tout petit appartement au plein centre de Paris. Dans ce petit espace d'à peine 9 mètres carré, un écrivain, jeune, est penché sur son bureau, faisant face à une feuille vierge.

Scène 1

Jeune Ecrivain : (marmonne pour lui-même) «Cher lecteur inconnu, à toi qui lit cette dernière lettre à l'humanité»... Non. Ce n’est pas bon. Attends, attends. Voilà. «Cher être, à toi qui lit cette lettre, écrite de la main tremblante du dernier représentant de l'humanité». Hum, non, trop pathétique, ce n‘est pas le concours du plus tragique. Si je le faisais un peu plus, comment dire, désinvolte. Oui, c'est ça, désinvolte. Alors, allons-y «Cher être, qui que tu sois, prends le temps de lire la lettre du dernier humain sur terre, même si je pense que t'en as franchement rien à foutre»... Aie aie aie, on dirait un camionneur bourré qui s'adresse à l‘un de ses camarades, c'est vraiment très mauvais. Trop désinvolte et vulgaire, justement… Merde. Qu'est-ce que je pourrais faire d'autre ? Je suis totalement à plat. Quelle galère cette lettre à écrire. Il faudrait en plus que ce soit prenant et original. Et puis l'échéance du concours se rapproche, j'ai à peine une semaine pour pondre quelque chose de potable. Si je m'y étais pris avant, peut-être que... Enfin, ça va maintenant faire près de 6 mois que je n'écris que de la bouse en tube. Aucune inspiration, ni aucune volonté, c'est affligeant. Bon, courage, on froisse et on retente le coup...

Le jeune adulte prend une nouvelle feuille et se met une nouvelle fois à griffonner quelques lignes.

Jeune Ecrivain: Non. Non. NON ! Ce n’est pas ça, ce n’est toujours pas ça. Pfiou. Putain, je me sens comme vidé.

L’écrivain en herbe met de côté ses brouillons et se saisit d’une nouvelle feuille sur laquelle il trace quelques nouveaux mots, sans vraiment y faire attention.

Jeune Ecrivain: Bon, certains disent que l’inspiration vient en écrivant, alors tentons le coup. J’aurais peut-être plus de chance de ce côté-là. Mais malheureusement, il faut dire que la passion n’y est pas vraiment. Pourtant, j’aime les challenges littéraires, en principe. Mais cette fois-ci, l’usine à idée s’est tarie, la production est au point mort et les ouvriers sont tous en grève. Je n’en suis pas encore sorti de l’auberge. Sorti de l’auberge… elle est conne cette expression. Comme si il était difficile de sortir d’un bâtiment. Franchement, il suffit de ressortir par là où l’on est entré, non ? A moins qu’il y ait quelque chose qui nous empêche de sortir par cette même porte. Comme un brigand de grands chemins qui vous intime de ne pas sortir, à moins que l’on veuille que celui-ci nous tranche la gorge. Ou encore mieux ! Une jeune fille. Une jolie demoiselle rencontrée au détour d’un couloir. Aux yeux noisettes, à la chevelure de boucles couleur ambre et châtaigne, avec le sourire charmeur d’une déesse… Ah ! C’est quand même agréable de laisser aller notre imagination. Penser à des choses douces, hormis le tranchant d’une dague sous la gorge, évidemment. Mais je divague, je ne suis pas vraiment plus inspiré que ça. Finalement, ce serait bien trop beau si l’on pouvait invoquer l’inspiration par le simple biais de mots ou de formules magiques. Comme une magnifique incantation qui ferait apparaître Ganesh « Wazam-Ganesh ! », ou mieux, l’une des muses antiques ! Ha ha. Je pars en délire, ce n’est pas très sérieux. Il faut que j’arrête mes conneries, et que je reprenne l’écriture de ma lettre. Arbeit, immer Arbeit…

Tandis que le jeune homme froisse une énième fois la feuille qu'il vient à peine de noircir, une jeune fille entre sur scène, l’air perdue, elle cache pudiquement sa nudité. Elle s’empare discrètement de sous-vêtements et d’une chemise dans la commode avant de s’allonger confortablement sur le canapé qui fait aussi office de couchette. Là, elle pioche ensuite des bonbons colorés dans le bol posé sur la table basse face à elle. Pendant ce temps, le jeune homme renouvelle les échecs et jette négligemment un de ces ratés par-dessus son épaule.

Jeune Fille: Ouch ! Hey, espèce de bourrin. Tu ne pourrais pas faire attention non ? Tu ne vois pas que je me détends ? Et puis, c'est quoi cette manie de balourder à tout va tes torchons littéraires ? La poubelle ça existe tu sais. Je te jure. Et après, c'est comme ça que les personnes comme moi se prennent tout et n'importe quoi sur le coin de la figure. Là, c'était juste un bout de papier froissé, mais imagines si ça avait été ta tasse de thé à la menthe, hein ? Ou pire encore, une de tes crottes de nez qui tu aurais projeté tel un trait mortel à l'autre bout de la pièce. Tu imagines ? C’est dégoûtant. Donc la prochaine fois, tâches de te lever pour mettre ça directement à la poubelle, ou de le laisser à tes pieds, comme ça, je ne serais plus dérangée.

Le jeune homme, le visage froncé par la surprise, pivote lentement sur sa chaise pour faire face à l’intruse.

Jeune Ecrivain: … Oui, d‘accord. Alors, faisons les choses dans l'ordre. D'abord, tu vas me dire rapidement qui tu es. Puis ensuite, tu vas me dire comment tu es entrée malgré le verrou sur la porte. Après quoi, tu me diras pourquoi tu t'allonges sur mon pieu comme si tu étais chez toi, pourquoi tu boulottes comme si de rien n'était tous mes bonbons sans sucre et pourquoi tu portes une de mes putains de chemises. Et pour finir, mais ça c'est en bonus, tu vas me dire depuis combien de temps tu squattes ici sans que je le remarque. Voilà, j'attends.

Jeune Fille: Holà ! Cela fait à peine un instant que l’on s’est rencontrés et tu commences déjà à me harceler, en posant tant de questions en même temps. Bon, je pense qu’il est quand même utile pour toi de savoir quelques petites choses. Qui je suis ? Ça je ne te le dis pas maintenant, comme ça, il faudra que tu le devines, mais bon, ce n'est pas franchement difficile, rassure toi. Ensuite, comment suis-je entrée ? La vérité est simple, car c'est surtout grâce à toi, mais tu comprendras mieux lorsque que tu auras compris qui je suis réellement. Pour ce qui est du lit, de faite, je suis aussi en partie chez moi, car ce chez toi c'est aussi chez moi. Pour les bonbons, c'est juste qu'ils étaient posés là, comme ça, tous mignons sur ta table à implorer pour être mangés, donc vu que je suis un être généreux, je me suis sacrifiée pour leur venir en aide. Pour la chemise, c'est parce que je suis pudique, et sans ça, je serais totalement nue, et je t'ai aussi pris un caleçon, même si ce n‘est pas très saillant pour une dame, j'espère que ça ne te dérange pas ? Et puis dans le cas contraire, je pense qu'il serait peu convenu que tu me demandes de te rendre à l'instant tous les vêtements que je t‘ai pris. Ce serait vraiment gênant pour la jeune fille que je suis et ce serait véritablement un comportement de gros pervers. Hors, je ne pense pas que tu aimerais assumer cette étiquette, qui par ailleurs t'irait si mal. N'est-ce pas ?

Jeune Ecrivain: (silence consterné)

Jeune Fille: C’est dingue, je te pensais plus vif que ça. Même si je sais que je suis une jeune fille captivante, ce n’est pas un raison pour rester bouche bée comme cela. Cela manque de tenue et de courtoisie.

Jeune Ecrivain: … Putain. C'est quoi ce délire ? Mince, c’est fini, je crois que je pète un plomb. Peut-être que je ne dors plus assez, à moins que ce ne soit la consommation excessive de pâtes à la sauce tomate qui sur le long terme provoque des hallucinations ? Je pense qu'il faudrait que je fasse un somme, ou une thérapie, histoire de le remettre les idées en place...

Jeune Fille: Tu sais, ce n'est pas sympa de ne pas répondre à son interlocuteur. Surtout quand celui-ci est une jeune fille polie et très charmante.

Jeune Ecrivain: Tu as raison. C'est vrai que ce n'est pas de la plus grande politesse. Mais je dois avouer que je n'ai pas l'habitude de parler avec des hallucinations anthropomorphiques dans mon propre appartement. Surtout quand celles-ci squattent avec nonchalance mon propre lit ou lorsque elles se permettent de bouffer toutes mes friandises. C'est assez inédit.

Jeune Fille: Je ne suis pas une hallucination. Regardes, tu peux me toucher.

Jeune Ecrivain: C'est vrai, j'arrive à te toucher la main. Mais c'est peut-être une simple hallucination sensorielle.

Jeune Fille: Oui, mais non. C'est une bonne excuse ça, comme qui dirait: « Il faut que je touche encore un peu cette peau douce, parfumée et délicate pour être certain que ce n'est pas une création de mon esprit.» Laisses tomber. Je suis vraie, point à la ligne. Et cette justification à intérêt à t’être suffisante.

Jeune Ecrivain: D'accord, si tu le dis, on va affirmer que tu es vraie. Mais en tout cas, je dois dire que tu me sembles particulièrement étrange, et je me doute qu’il y a quelque chose d’anormal chez toi.

Jeune Fille: Quoi ? Ça fait plaisir. J'essaye de t'éclairer un peu et c'est comme ça que tu me remercies, en me disant que je suis «bizarre». Sympathique de ta part, mais je te pardonne, car c‘est l‘ignorance qui brouille ta raison.

Jeune Ecrivain: Si tu voulais vraiment m'éclairer, je pense que tu m'aurais dit d'office qui tu étais, plutôt que de tourner autour du pot.

Jeune Fille: Mais si je te dis tout directement, cash, ce n'est plus amusant. C'est toujours plus intéressant et plus ludique de faire ça sous forme de devinettes.

Jeune Ecrivain: Ok. Bon, on commence maintenant ? Parce que tu vois, pas que ça ne fait pas plaisir de discuter avec toi, mais j'ai un travail urgent qui m'attend et ce n’est pas vraiment une partie de plaisir…

Jeune Fille: Je sais, je suis au courant. Mais ne t'inquiètes pas, espèce de rabat-joie, ce ne sera pas long.

Jeune Ecrivain: Bon, ça vient ?

Jeune Fille: Oui ! Mais attends deux secondes. Je dois choisir avec soin les indices que je te donner. Sinon ce sera trop rapide, tu comprends ? Et puis c’est important de bien parfaire le cheminement intellectuel qui va t’amener à découvrir mon illustre identité.

Jeune Ecrivain: Ok, ok. Mais si ton illustre réflexion pouvait accélérer le processus, ce serait un illustre bienfait pour tout le monde.

Jeune Fille: Crétin. Voilà, je sais comment je vais faire. Commençons par quelque chose de tout simple. Pense au mystère de la chambre jaune. Si je n’ai pas pu entrer ni par la fenêtre, ni par la porte, cela veut dire que…

Jeune Ecrivain: Que tu étais déjà ici auparavant. C’est ça ?

Jeune Fille: Oui ! C’est fou de voir comment ta poignée de neurones fonctionne malgré le fait qu‘il y en a si peu, de neurones.

Jeune Ecrivain: (ironique) Ha ha, que c’est rigolo ! Bon, reste sérieuse s’il te plaît. Je ne suis déjà pas très à l’aise, alors ne rajoute pas par-dessus une inutile couche d’agacement.

Jeune Fille: Ok, ok, espèce de vieux grognon. D’abord, j’étais déjà présente. Ensuite, si je te dis que je suis ici chez moi si toi tu y es chez toi, cela veut dire que…

Jeune Ecrivain: Que tu es très proche de moi.

Jeune Fille: Mais encore ?

Jeune Ecrivain: Et que tu fais en vérité parti de moi.

Jeune Fille: Oui ! Exactement !

Jeune Ecrivain: Putain. Je le savais, je suis timbré. Je disjoncte complètement et je suis en train de développer un dédoublement schizophrénique doublé d‘hallucinations sensorielles aiguës. Je pense que je suis bon pour passer ma vie chez les neuneus à l’asile, à consommer toujours plus de cachets et de drogues pour qu’on me fasse oublier que je suis cinglé…

Jeune Fille: Raaa ! Mais non, concentres-toi. Tu auras le temps d’être fou plus tard, tu as une devinette à terminer.

Jeune Ecrivain: C’est vrai que je ne suis pas vraiment à une devinette près. Alors, c’est quoi la prochaine question ?

Jeune Fille: Pour finir, si je te dis Clio, tu penses à quoi ?

Jeune Ecrivain: Euh… A une voiture Française ?

Jeune Fille: Une voiture ? … Espèce de mâle vulgaire et stupide, pas cette Clio là, mais Clio et Calliope, ou encore Thalie. Ça finis par te dire quelque chose ?

Jeune Ecrivain: Ah oui ! Les muses… Les muses des arts et des lettres. Mais alors, tu es en train de me faire comprendre que toi aussi, tu serais l’une de ces muses ?

Muse: Ce n’est pas tout à fait exact. Oui, je suis bel et bien une muse, mais je ne suis pas un modèle standard. Je suis le haut de gamme de la muse personnelle, propre à la vision d’un artiste, proche de ses fantasmes les plus insaisissables. Je suis l’incarnation littéraire de ton inspiration changeante. En clair, je suis ta seule et unique muse jusqu’à la mort, pour toute ta vie !

Jeune Ecrivain: …

Muse: Eh bien ? Tu n’es pas choqué. Pas subjugué par ma splendeur et par la chance que tu as de pouvoir enfin me dévorer des yeux ?

Jeune Ecrivain: Disons que je suis partagé entre deux sentiments assez contradictoires. Le premier, c’est de me demander comment je me suis débrouillé pour t’incarner en chair et os face à moi. Le second, c’est une incroyable envie de te demander pourquoi tu me laisses en plan depuis maintenant 6 mois et pourquoi tu ne fais absolument rien pour me venir en aide alors que je dois finir une création en urgence, en faisant en sorte si possible, que cette création soit vaguement lisible pour un autre que moi-même. Alors non, je n’ai pas le temps de fantasmer sur ta chevelure de satin, ni sur tes yeux chocolats, ni sur la courbure élégante de ton dos et de ta chute de reins, ni sur la rondeur excitante de ta poitrine, ni sur les lignes douces de tes jambes nues et sensuelles…

La suite bientôt...

Signé Lézard des Dunes © 2012

Quelques mots pour ma Muse  
La scène se passe dans un tout petit appartement au plein centre de Paris. Dans ce petit espace d'à peine 9 mètres carré, un écrivain, jeune, est penché sur son bureau,  faisant face à une feuille vierge.   Scène 1  
Jeune Ecrivain : (marmonne pour lui-même) «Cher lecteur inconnu, à toi qui lit cette dernière lettre à l'humanité»... Non. Ce n’est pas bon. Attends, attends. Voilà. «Cher être, à toi qui lit cette lettre, écrite de la main tremblante du dernier représentant de l'humanité». Hum, non, trop pathétique, ce n‘est pas le concours du plus tragique. Si je le faisais un peu plus, comment dire, désinvolte. Oui, c'est ça, désinvolte. Alors, allons-y «Cher être, qui que tu sois, prends le temps de lire la lettre du dernier humain sur terre, même si je pense que t'en as franchement rien à foutre»... Aie aie aie, on dirait un camionneur bourré qui s'adresse à l‘un de ses camarades, c'est vraiment très mauvais. Trop désinvolte et vulgaire, justement… Merde. Qu'est-ce que je pourrais faire d'autre ? Je suis totalement à plat. Quelle galère cette lettre à écrire. Il faudrait en plus que ce soit prenant et original. Et puis l'échéance du concours se rapproche, j'ai à peine une semaine pour pondre quelque chose de potable. Si je m'y étais pris avant, peut-être que... Enfin, ça va maintenant faire près de 6 mois que je n'écris que de la bouse en tube. Aucune inspiration, ni aucune volonté, c'est affligeant. Bon, courage, on froisse et on retente le coup...   
Le jeune adulte prend une nouvelle feuille et se met une nouvelle fois à griffonner quelques lignes.   
Jeune Ecrivain: Non. Non. NON ! Ce n’est pas ça, ce n’est toujours pas ça. Pfiou. Putain, je me sens comme vidé.   
L’écrivain en herbe met de côté ses brouillons et se saisit d’une nouvelle feuille sur laquelle il trace quelques nouveaux mots, sans vraiment y faire attention.   
Jeune Ecrivain: Bon, certains disent que l’inspiration vient en écrivant, alors tentons le coup. J’aurais peut-être plus de chance de ce côté-là. Mais malheureusement, il faut dire que la passion n’y est pas vraiment. Pourtant, j’aime les challenges littéraires, en principe. Mais cette fois-ci, l’usine à idée s’est tarie, la production est au point mort et les ouvriers sont tous en grève. Je n’en suis pas encore sorti de l’auberge. Sorti de l’auberge… elle est conne cette expression. Comme si il était difficile de sortir d’un bâtiment. Franchement, il suffit de ressortir par là où l’on est entré, non ? A moins qu’il y ait quelque chose qui nous empêche de sortir par cette même porte. Comme un brigand de grands chemins qui vous intime de ne pas sortir, à moins que l’on veuille que celui- ci nous tranche la gorge. Ou encore mieux ! Une jeune fille. Une jolie demoiselle rencontrée au détour d’un couloir. Aux yeux noisettes, à la chevelure de boucles couleur ambre et châtaigne, avec le sourire charmeur d’une déesse… Ah ! C’est quand même agréable de laisser aller notre imagination. Penser à des choses douces, hormis le tranchant d’une dague sous la gorge, évidemment. Mais je divague, je ne suis pas vraiment plus inspiré que ça. Finalement, ce serait bien trop beau si l’on pouvait invoquer l’inspiration par le simple biais de mots ou de formules magiques. Comme une magnifique incantation qui ferait apparaître Ganesh « Wazam-Ganesh ! », ou mieux, l’une des muses antiques ! Ha ha. Je pars en délire, ce n’est pas très sérieux. Il faut que j’arrête mes conneries, et que je reprenne l’écriture de ma lettre. Arbeit, immer Arbeit…   Tandis que le jeune homme froisse une énième fois la feuille qu'il vient à peine de noircir, une jeune fille entre sur scène, l’air perdue, elle cache pudiquement sa nudité. Elle s’empare
 
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discrètement de sous-vêtements et d’une chemise dans la commode avant de s’allonger confortablement sur le canapé qui fait aussi office de couchette. Là, elle pioche ensuite des bonbons colorés dans le bol posé sur la table basse face à elle. Pendant ce temps, le jeune homme renouvelle les échecs et jette négligemment un de ces ratés par-dessus son épaule.   
Jeune Fille: Ouch ! Hey, espèce de bourrin. Tu ne pourrais pas faire attention non ? Tu ne vois pas que je me détends ? Et puis, c'est quoi cette manie de balourder à tout va tes torchons littéraires ? La poubelle ça existe tu sais. Je te jure. Et après, c'est comme ça que les personnes comme moi se prennent tout et n'importe quoi sur le coin de la figure. Là, c'était juste un bout de papier froissé, mais imagines si ça avait été ta tasse de thé à la menthe, hein ? Ou pire encore, une de tes crottes de nez qui tu aurais projeté tel un trait mortel à l'autre bout de la pièce. Tu imagines ? C’est dégoûtant. Donc la prochaine fois, tâches de te lever pour mettre ça directement à la poubelle, ou de le laisser à tes pieds, comme ça, je ne serais plus dérangée.   
Le jeune homme, le visage froncé par la surprise, pivote lentement sur sa chaise pour faire face à l’intruse.   
Jeune Ecrivain: … Oui, d‘accord. Alors, faisons les choses dans l'ordre. D'abord, tu vas me dire rapidement qui tu es. Puis ensuite, tu vas me dire comment tu es entrée malgré le verrou sur la porte. Après quoi, tu me diras pourquoi tu t'allonges sur mon pieu comme si tu étais chez toi, pourquoi tu boulottes comme si de rien n'était tous mes bonbons sans sucre et pourquoi tu portes une de mes putains de chemises. Et pour finir, mais ça c'est en bonus, tu vas me dire depuis combien de temps tu squattes ici sans que je le remarque. Voilà, j'attends.   
Jeune Fille: Holà ! Cela fait à peine un instant que l’on s’est rencontrés et tu commences déjà à me harceler, en posant tant de questions en même temps. Bon, je pense qu’il est quand même utile pour toi de savoir quelques petites choses. Qui je suis ? Ça je ne te le dis pas maintenant, comme ça, il faudra que tu le devines, mais bon, ce n'est pas franchement difficile, rassure toi. Ensuite, comment suis-je entrée ? La vérité est simple, car c'est surtout grâce à toi, mais tu comprendras mieux lorsque que tu auras compris qui je suis réellement. Pour ce qui est du lit, de faite, je suis aussi en partie chez moi, car ce chez toi c'est aussi chez moi. Pour les bonbons, c'est juste qu'ils étaient posés là, comme ça, tous mignons sur ta table à implorer pour être mangés, donc vu que je suis un être généreux, je me suis sacrifiée pour leur venir en aide. Pour la chemise, c'est parce que je suis pudique, et sans ça, je serais totalement nue, et je t'ai aussi pris un caleçon, même si ce n‘est pas très saillant pour une dame, j'espère que ça ne te dérange pas ? Et puis dans le cas contraire, je pense qu'il serait peu convenu que tu me demandes de te rendre à l'instant tous les vêtements que je t‘ai pris. Ce serait vraiment gênant pour la jeune fille que je suis et ce serait véritablement un comportement de gros pervers. Hors, je ne pense pas que tu aimerais assumer cette étiquette, qui par ailleurs t'irait si mal. N'est-ce pas ?   
Jeune Ecrivain: (silence consterné)   Jeune Fille: C’est dingue, je te pensais plus vif que ça. Même si je sais que je suis une jeune fille captivante, ce n’est pas un raison pour rester bouche bée comme cela. Cela manque de tenue et de courtoisie.   
Jeune Ecrivain: … Putain. C'est quoi ce délire ? Mince, c’est fini, je crois que je pète un plomb. Peut-être que je ne dors plus assez, à moins que ce ne soit la consommation excessive de pâtes à la sauce tomate qui sur le long terme provoque des hallucinations ? Je pense qu'il faudrait que je fasse un somme, ou une thérapie, histoire de le remettre les idées en place...  
 
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Jeune Fille: Tu sais, ce n'est pas sympa de ne pas répondre à son interlocuteur. Surtout quand celui-ci est une jeune fille polie et très charmante.  Jeune Ecrivain: Tu as raison. C'est vrai que ce n'est pas de la plus grande politesse. Mais je dois avouer que je n'ai pas l'habitude de parler avec des hallucinations anthropomorphiques dans mon propre appartement. Surtout quand celles-ci squattent avec nonchalance mon propre lit ou lorsque elles se permettent de bouffer toutes mes friandises. C'est assez inédit.   
Jeune Fille: Je ne suis pas une hallucination. Regardes, tu peux me toucher.   
Jeune Ecrivain: C'est vrai, j'arrive à te toucher la main. Mais c'est peut-être une simple hallucination sensorielle.   
Jeune Fille: Oui, mais non. C'est une bonne excuse ça, comme qui dirait: « Il faut que je touche encore un peu cette peau douce, parfumée et délicate pour être certain que ce n'est pas une création de mon esprit.» Laisses tomber. Je suis vraie, point à la ligne. Et cette justification à intérêt à t’être suffisante.   
Jeune Ecrivain: D'accord, si tu le dis, on va affirmer que tu es vraie. Mais en tout cas, je dois dire que tu me sembles particulièrement étrange, et je me doute qu’il y a quelque chose d’anormal chez toi.   
Jeune Fille: Quoi ? Ça fait plaisir. J'essaye de t'éclairer un peu et c'est comme ça que tu me remercies, en me disant que je suis «bizarre». Sympathique de ta part, mais je te pardonne, car c‘est l‘ignorance qui brouille ta raison.   
Jeune Ecrivain: Si tu voulais vraiment m'éclairer, je pense que tu m'aurais dit d'office qui tu étais, plutôt que de tourner autour du pot.   
Jeune Fille: Mais si je te dis tout directement, cash, ce n'est plus amusant. C'est toujours plus intéressant et plus ludique de faire ça sous forme de devinettes.   
Jeune Ecrivain: Ok. Bon, on commence maintenant ? Parce que tu vois, pas que ça ne fait pas plaisir de discuter avec toi, mais j'ai un travail urgent qui m'attend et ce n’est pas vraiment une partie de plaisir…   
Jeune Fille: Je sais, je suis au courant. Mais ne t'inquiètes pas, espèce de rabat-joie, ce ne sera pas long.   Jeune Ecrivain: Bon, ça vient ?   
Jeune Fille: Oui ! Mais attends deux secondes. Je dois choisir avec soin les indices que je te donner. Sinon ce sera trop rapide, tu comprends ? Et puis c’est important de bien parfaire le cheminement intellectuel qui va t’amener à découvrir mon illustre identité.   Jeune Ecrivain: Ok, ok. Mais si ton illustre réflexion pouvait accélérer le processus, ce serait un illustre bienfait pour tout le monde.   
Jeune Fille: Crétin. Voilà, je sais comment je vais faire. Commençons par quelque chose de tout simple. Pense au mystère de la chambre jaune. Si je n’ai pas pu entrer ni par la fenêtre, ni par la porte, cela veut dire que…  
 
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Jeune Ecrivain: Que tu étais déjà ici auparavant. C’est ça ?   
Jeune Fille: Oui ! C’est fou de voir comment ta poignée de neurones fonctionne malgré le fait qu‘il y en a si peu, de neurones.   
Jeune Ecrivain: (ironique) Ha ha, que c’est rigolo ! Bon, reste sérieuse s’il te plaît. Je ne suis déjà pas très à l’aise, alors ne rajoute pas par-dessus une inutile couche d’agacement.   
Jeune Fille: Ok, ok, espèce de vieux grognon. D’abord, j’étais déjà présente. Ensuite, si je te dis que je suis ici chez moi si toi tu y es chez toi, cela veut dire que…   
Jeune Ecrivain: Que tu es très proche de moi.   
Jeune Fille: Mais encore ?   
Jeune Ecrivain: Et que tu fais en vérité parti de moi.   
Jeune Fille: Oui ! Exactement !   
Jeune Ecrivain: Putain. Je le savais, je suis timbré. Je disjoncte complètement et je suis en train de développer un dédoublement schizophrénique doublé d‘hallucinations sensorielles aiguës. Je pense que je suis bon pour passer ma vie chez les neuneus à l’asile, à consommer toujours plus de cachets et de drogues pour qu’on me fasse oublier que je suis cinglé…   
Jeune Fille: Raaa ! Mais non, concentres-toi. Tu auras le temps d’être fou plus tard, tu as une devinette à terminer.   
Jeune Ecrivain: C’est vrai que je ne suis pas vraiment à une devinette près. Alors, c’est quoi la prochaine question ?   
Jeune Fille: Pour finir, si je te dis Clio, tu penses à quoi ?   
Jeune Ecrivain: Euh… A une voiture Française ?   
Jeune Fille: Une voiture ? … Espèce de mâle vulgaire et stupide, pas cette Clio là, mais Clio et Calliope, ou encore Thalie. Ça finis par te dire quelque chose ?   
Jeune Ecrivain: Ah oui ! Les muses… Les muses des arts et des lettres. Mais alors, tu es en train de me faire comprendre que toi aussi, tu serais l’une de ces muses ?   
Muse: Ce n’est pas tout à fait exact. Oui, je suis bel et bien une muse, mais je ne suis pas un modèle standard. Je suis le haut de gamme de la muse personnelle, propre à la vision d’un artiste, proche de ses fantasmes les plus insaisissables. Je suis l’incarnation littéraire de ton inspiration changeante. En clair, je suis ta seule et unique muse jusqu’à la mort, pour toute ta vie !   
Jeune Ecrivain: …   
Muse: Eh bien ? Tu n’es pas choqué. Pas subjugué par ma splendeur et par la chance que tu as de pouvoir enfin me dévorer des yeux ? 
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