Qui s’y frotte s’y pique

elodie

Et c’est plus que jamais le cas lorsque l’objet de la taquinerie est un motard de 120 kilos de bière et de rage. Nombreux sont les héros de la contre-culture qui auront croisé la route poussiéreuse d’un Hell’s Angels. Les plus têtes brûlées transformeront l’essai comme Hunter S. Thompson et son incroyable documentaire tiré de son immersion aux côtés de Sonny Barger et des siens. Les autres, constitués comme vous et moi, n’éviteront pas à l’avenir un petit pipi au lit une fois l’an : Lester Bangs ne se remit jamais du viol collectif dont il fut témoin lors d’une banale soirée fumette avec des bikers. C’est à leur insu que le 6 décembre 1969, les Hell’s Angels mettront un terme à l’illusion hippie dans le champ de bataille d’Altamont alors qu’ils étaient chargés de la sécurité du festival en échange de quelques binouzes.

Il est de ces métiers où l’on s’attend à voir mourir un homme sous ses yeux. Les Rolling Stones, têtes d’affiches du concert, n’avaient probablement signé pour cela en s’engageant dans le rock ’n’ roll plutôt que dans l’armée de Sa Majesté. Ils n’eurent le temps de jouer qu’une poignée de titres avant d’assister au meurtre de Meredith Hunter, au quatrième rang, victime de la barbarie de ceux qui étaient supposés contrecarrer une organisation aberrante. C’est dans ce contexte que « Sticky Fingers », sorti au printemps 1971 pourrait s’illustrer comme l’effort de réhabilitation des Rolling Stones au regard de l’opinion publique américaine. Pourtant, l’album ne fait même pas figure de calme avant la tempête de 1972, celle de leur come-back en Amérique, surdocumenté tant il fut décadent (on murmure que les Stones traumatisèrent Hugh Hefner dans sa propre mansion, qu’ils donnèrent une orgie - quelle qu’elle soit - dans chaque ville conquise et moquèrent chacun de leurs hôtes, fussent-ils aussi guindés que Lee Radziwill et Truman Capote).

À la problématique de la rédemption, « Sticky Fingers » ne fut pas la réponse appropriée puisque la thématique des coïts mulâtres, des bacchanales toxicomanes et de la lascivité hédoniste ne balaye pas vraiment les odeurs nauséabondes du soufre qui entoure la mythologie  des Rolling Stones. Là n’était pas vraiment l’objet de la démarche me direz-vous lorsque Mick Jagger s’attelle à l’écriture de leur onzième disque. Derrière la braguette de Joe Dallessandro sur la pochette, s’érigent les premiers signes de la maturité des Stones, celle de l’ère post-Brian Jones. Du solo de saxophone de « Brown Sugar » aux glissantos prodigieux de Mick Jones, l’album s’offre comme un tour de montagnes russes dans le potentiel Blues des Stones avec les virages langoureux de « Wild Horses », les loopings de « Can’t hear me Knocking » et la plongée dans un vide camé de « Sister Morphine ». Ce n’est qu’à la fin du manège qu’on réalise, le cœur au bord d’une lèvre humide, qu’on reprendrait bien un ticket pour un second tour car « Sticky Fingers » est de ces albums pérennes auxquels seule l’apocalypse mettra un point final.

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