"Quoi, mais tu pars toute seule ?!"
Le Bruit Et La Harpie
A ceux qui lisent plus ou moins régulièrement ce blog, il ne vous a pas échappé qu’un laps de temps notable s’est écoulé depuis le dernier post. Certes. Je n’ai pas spécialement d’excuses préparées qui aient du poids, si ce n’est les sempiternelles lamentations du registre « J’ai trop de boulot« , « Y’a Stéphane Plaza à la télé ce soir » ou « Ok je reste pour un verre de plus, j’écrirai mon post après« .
Je t’arrête tout de suite : la vie n’a pas été toute rosée frais du Lubéron pour autant. En tout cas, pas pendant les premières semaines de mon silence blogesque. Puis bon, après effectivement, je me suis laissée entraînée par une envie de voyage et de renouveau temporaire. L’évidence s’est imposée : il me fallait aller en Inde, ce paradis perdu des hippies en quête d’eux-mêmes, cette recherche de réponse via des canaux spirituels inconnus de notre monde occidental. Et pour cela, je suis partie seule.
» Quoi, mais tu pars toute seule ?! «
Cette phrase, qui résonnait comme une sentence profonde, a accompagné la majorité de mes excitations publiques pré-voyage. Tant et si bien que je n’ai plus rien dit. Pendant que Gégé racontait son week-end de trois jours à la foire de Bergues à faire tourner les serviettes, je restais muette, lassée que l’on me taxe, du regard, « d’inconsciente au sac à dos« . Passons sur le fait qu’un telle question ne serait jamais posée à un mâle même frêle et incertain. Oublions également les commentaires rassurants et regorgeant d’encouragements sincères comme
» Tu sais, pleins de filles ne sont jamais revenues « .
Face à cette surprise générale, il m’a semblé quasi obligatoire de réaliser une véritable note d’intention en réponse à toutes les questions. Proposer un programme à la manière d’une présentation pour une OPA. J’ai donc tout misé sur une organisation béton qui ferait pâlir d’envie le plus grand chef de projet. Objectifs de résultat et liste des risques éventuels, préparation des solutions correctives, palliatives : j’ai peaufiné mon cahier des charges dans les moindres détails. Auberges de jeunesses bookées, billets de train réservés. Schéma de répartition des poids pour le sac à dos, inventaire minutieux de tous les éléments à ne pas oublier. Oui, même la lampe frontale était de la partie. Beaucoup moins d’imprévus, beaucoup plus de contraintes. A regarder de près, c’était presque même pas marrant.
Bon, en fait, ça l’était. Ca l’était même pas mal. N’ayant jamais tenté l’expérience de voyager seule, les discours un brin moralisateur m’ont fait « flippé sévère » en surface. J’ai arpenté les blogs consacrés au sous-continent indien, dont le notable India Mike qui a peu près réponse à tout, à la recherche de posts de gazelles paniquées. Pas trop d’inquiétude pour certaines, « seulement quelques mains au cul mal placées », ou encore « des Indiens qui venaient me regarder dormir sur ma couchette dans le train de nuit ».
Intéressant. L’Indien est apparemment épris du corps de la femme blanche, l’Occidentale sacrée avec un grand O. Il me faudrait donc dormir dans la journée afin de ne pas fermer l’œil de la nuit, pour être tranquille et voir venir. Allez savoir pourquoi, l’idée ne m’a pas emballé ; j’ai alors balayé d’un geste les sombres présomptions que je venais de lire, oh grosse inconsciente au sac à dos que je suis, en m’auto- proclamant bien assez préparée et prudente pour mon voyage. Tiens, prends ça dans ta face la réalité, peur de rien, j’vais tous vous bouffer.
Puis l’Inde est arrivée. J’avais entre-temps dénoué mon bandeau rouge de Rambo sur le front et ôté le couteau que je tenais entre les dents pour faire place à une sérénité assez surprenante. Atterrissage à Delhi : le chaos, la poussière, les millions de gens au mètre carré. La claque, celle qui en figurait sur aucun carnet de voyage, que j’avais plus ou moins omis de considérer dans mon journal de bord. Et malgré cela, pas une once de stress.
Partir seule dans un pays si éloigné du nôtre a laissé beaucoup de place pour la contemplation et le silence. Perchée en haut de restaurants terrasses, inabordables pour la plupart des Indiens, j’avais un observatoire de rêve, qui m’a permis de ne rien faire d’autre que regarder, scruter les mouvements de la population pendant plusieurs heures, sans être repérée. Du voyeurisme pur et dur, j’en conviens, mais qui m’a semblé presque essentiel pour l’acclimatation.
Les Intouchables sont finalement les seuls ayant osés me toucher, mais pour mendier, je n’ai donc pas intenté de procès pour harcèlement. Les gares indiennes sont plus rassurantes à minuit pour une fille seule que la Gare du Nord ou le coin de ta rue à Paris.
Je n’ai aucun mérite à avoir fait ce voyage seule. Si je me suis certes évité les rencontres hasardeuses dans les trains en réservant une couchette un poil plus cher que prévu, si j’ai effectivement toujours gardé un œil sur mon sac, je ne ressens aucune fierté à être partie seule, car une fois que l’on se frotte à l’Inde, il serait presque honteux de se hisser à la place de « reine des baroudeuses » simplement parce qu’il ne nous est rien arrivé.
La grande différence réside peut-être dans ce fait désarmant de simplicité, que l’on m’a maintes et maintes fois répété là-bas : les étrangers sont les invités des Indiens, qui sont honorés de nous voir visiter leur pays dont ils sont, à juste titre, très fiers. Ils seront d’autant plus prévenants quant à votre bien-être et feront le maximum pour vous apporter leur aide. L’Inde reste évidemment assujettie aux castes prétendument invisibles mais connues de tous, mais la relation avec la personne étrangère s’opère avec curiosité et amabilité.
Dans les conversations avec les Indiens, dès que j’annonçais ma nationalité, une réplique ressortait presque à chaque fois, quelque soit mon interlocuteur :
« Oh, mais j’ai un ami en France. J’ai un ami aussi en Belgique, en Espagne, en Allemagne… ».
La récurrence de cette phrase prouve la relation totalement opposée qu’on les Indiens avec le concept d’amitié. Pour faire simple : si je te parle, si nous échangeons des bribes de conversation, tu seras dès lors inclus dans mon « dossier » ami. Il est certainement assez superficiel et naïf de ma part d’avoir apprécié ce trait de caractère, mais au court d’un voyage, qui plus est seule, il agit comme une bonne dose de chaleur humaine.
Pour justifier mes multiples remerciements, j’ai essayé plus d’une fois d’expliquer aux Indiens que dans mon pays, rares seraient les gens qui les accueilleraient de la sorte. Ce n’est pas la barrière de la langue à laquelle j’ai été confrontée, mais bien celle de la compréhension dans son ensemble. La honte a pris le dessus et souvent, j’ai préféré me taire. Comme quoi, l’Inde m’aura appris à être silencieuse.
Tu es une harpie qui se respecte. Peu importe ce qu'en pense les autres, vis ta vie comme bon te semble... Je ne sais pas pourquoi je dis ça, puisque c'est ce que tu fais...
· Il y a plus de 9 ans ·Je t'accueille sur Lille si tu passe un jour, pour contredire le fait que rare serait les personnes qui accueilleraient de la sorte :-)
J'aimerais lire tes silences...
beatrice
Joli texte qui m'a rendu un peu nostalgique (j'ai fait la Thaïlande et Inter-rail seul) ! Même si je suis un homme, j'ai eu le droit aux mêmes réflexions stupides. Et, pour l'anecdote, j'ai croisé beaucoup plus souvent des femmes seules que des hommes :)
· Il y a plus de 10 ans ·Le Suisse
ça me rappelle beaucoup de choses, moi j'avais eu droit à " tu vas revenir en cercueil "
· Il y a plus de 10 ans ·lilii