Rainbow Feline

Charlie, devant le miroir, observait son visage. Elle avait relâché ses traits pour leur donner leur figure de tous les jours. Elle se détailla de haut en bas. 
Ses cheveux, noirs, étaient coupés à la garçonne. Sa peau était bronzée, héritée de sa mère aux origines italiennes. Son nez, petit. Sa bouche, foncée. Sinon, elle était normale, ni trop grande ni trop petite, juste des doigts de pieds immondes et des genoux maigres. Enfin, elle trouvait. Sa mère lui avait toujours dit le contraire.
Et puis, il y avait ses yeux. Bordés de longs cils noirs et épais, son oeil gauche était bleu ciel, très clair. Et son oeil droit était noir, un noir d'onyx, une perle étincelante. Quand elle n'écartait pas ses paupières au maximum, on ne voyait pas le blanc de son oeil. Encore sa mère, Carla, disait que cet oeil noir lui venait de son père. Charlie ne connaissait pas son paternel, disparu avant sa naissance. Carla avait tout tenté pour le retrouver, en vain. Mais Charlie ne souffrait pas de l'absence de masculinité à la maison. Elle n'avait jamais connu la douceur d'un gentil père, ainsi elle se fichait des remarques, au collège, du style :
" Mais tu souffres pas ? Wohlala j'sais pas comment tu fais...."
Ces remarques, qu'elle trouvait d'ailleurs un peu idiotes, exagérées et même parfois hypocrites. Charlie n'avait pas vraiment d'amis au collège. Certaines personnes étaient gentilles avec elle, sans pour autant la comprendre et partager des souvenirs en commun.
Bon, et puis elle était la seule de sa classe à aller au CDI pendant le récréations, à être toute seule à une table à la cantine... Tous ces critères qui te déterminent aux yeux des autres comme une "sans-amis" . Ou, aussi, comme SAF, copié-collé sur SDF, qui voulait dire "Sans Amis Fixes" . Surtout, ça ne voulait rien dire.

Mais pour l'instant, Charlie ne songeait plus à sa vie du collège. Demain matin, un dimanche ensoleillé selon la météo, elle partait pour la Tanzanie avec Carla. Là-bas, sa mère avait organisé sept nuits dans l'hôtel d'un immense parc de safari ! Elles atterriraient à Dodoma, la capitale, puis feraient une petite heure de route rocailleuse dans un 4x4, un taxi selon l'organisateur. Mais tout cela, Charlie ne le savait pas encore...
Pour l'instant, elle s'était décollée de son miroir, qui l'hypnotisait déjà depuis un bon quart d'heure, pour s'affaler dans son fauteuil préféré et dévorer un de ses bouquins sur les félins. Elle était passionnée par ces fourrures dorées, ces corps souples et les pattes griffues.