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Suites de Lignes de vie : où la Braderie de Lille m'aide à retrouver mon ancêtre

Cette fois, je ne fis pas appel à mon oncle. Une fois qu'il eut regagné ses limbes, je ne réfléchis pas longtemps pour comprendre par quel moyen je pouvais entrer en relation avec Henri Vincent.             

Je savais que la rencontre se ferait. Je comprenais comment : je devais mettre la main sur un portrait. J'entamai alors un travail de recherche. Plus de mille-cinq-cents généraux servirent durant l'Empire. Mes connaissances sur cette période se limitaient aux images d'Epinal : le sacre, Austerlitz, Sainte-Hélène. J'ignorais comment entamer ma quête. Heureusement, mes vacances estivales approchaient. Je ne projetais pas de partir et j'entamai alors de dresser une liste de tous les lieux dédiés au dictateur adulé à visiter.              

Je n'imaginais pas que son culte puisse prendre autant d'ampleur. Je me munis donc d'une carte routière pour tous les repérer et préparer mon parcours. Le château de Malmaison, celui de Fontainebleau, de Bois-Préau, de Compiègne, le musée national de la maison Bonaparte à Ajaccio, celui de la Pommerie en Dordogne et de l'île d'Aix. La route prit des allures de campagne militaire où je devais prévoir le gîte et le couvert, en contactant, de la manière la plus hypocrite, des amis provinciaux qui m'invitaient depuis des lustres.            

En trois semaines, je parvins même à faire un détour jusqu'à la morne plaine wallonne. Rien. Je me coltinai toutes les peintures en interrogeant des légions d'aficionados qui se montrèrent prolixes pour me décrire par le menu le quotidien de la Grande Armée, les prisonniers des pontons anglais où sévissaient le typhus et le choléra, jusqu'à l'état de la dentition des cuirassiers. Pas un pour me renseigner sur l'objet de ma requête ; la Bérézina.              

Pour être honnête, j'accusais le coup. Je ne doutais pas que, selon les révélations d'Arthur, je finirai par trouver la solution. Je manque de patience et la perspective d'entamer de longues recherches ne m'enchantait guère. Je décidai de mettre le cap sur Lille. Nous étions début septembre et la braderie annuelle se déroulait le premier week-end du mois. Je rejoignis un ami fou d'antiquités. Quel calvaire de le suivre dans les artères, entravées de brocanteurs et de camelots, la chaussée maculée de tessons de bouteille et de vomissures.             

Il négociait le prix d'un guéridon prétendument Louis-Philippe quand mon œil accrocha une de ces croûtes que les héritiers cèdent dans l'espoir d'investir dans le design suédois. Je reconnus immédiatement les maisons blanchies à la chaux et, plus encore, la tour Tavura, vigie de quarante-cinq mètres de hauteur, qui domine la vieille ville. Les doigts tremblants, je la pris en main. Je la retournai pour y lire : « Vue de Cadix avec perspective sur le port, Pierre-Jean Brunet, 1823 ». Il me fallut prendre mon air le plus désintéressé pour ne pas me faire pigeonner et l'acquérir pour cinquante euros.          

Je prétextai un rendez-vous urgent le soir même sur Paris pour me jeter sur l'A1 et slalomer entre les camions espagnols. Je bouillais de m'y jeter tête la première. Je parvins à me raisonner. Je me devais de vérifier que le tableau présentait les qualités requises pour rejoindre mon ascendant. Je pris la direction de la toile, la virtuelle, si pratique pour aller chercher des informations, le séant tranquillement posé dans le canapé à m'empiffrer de chips.             

Pierre-Jean Brunet est un quasi-inconnu dans le monde artistique. Par recoupements, par des requêtes ennuyeuses, je parvins avec peine à retracer la vie du peintre. Il débuta pourtant sa carrière avec brio, ses premiers tableaux furent reçus avec bienveillance par David. Né trop tard, il ne perça pas, arrivant après la bataille et les honneurs que l'empereur aurait pu lui prodiguer. Après avoir végété au retour de Louis XVIII, il fut sans doute un précurseur des Orientalistes. Il écuma l'Italie, la Grèce, l'Egypte avant d'échouer non loin du rocher de Gibraltar.           

Il barbouilla quelques paysages, dont celui que je détenais, avant de finir égorgé dans une gargote.              

Je dormis d'un sommeil apaisé. Le lendemain, je repris le travail le cœur léger. J'attendis tranquillement le retour à mon appartement, mon esprit s'évadant quelquefois vers des cieux azurés avec l'Atlantique en toile de fond. Je pris mon repas sans me presser, à supposer qu'engloutir une plâtrée de nouilles prenne des heures. J'avais quelques appréhensions. Une fois les présentations faites, que nous dirions nous ?

 

 Je respirai avec application, Jean-Marc Barr en apnée se préparant à plonger vers des inconnus abyssaux. Je clos mes paupières. J'atterris au pied d'un bâtiment que je reconnus immédiatement, grâce à des photos consultées sur un site touristique. Les fenêtres grillagées du premier étage présentaient des caractéristiques qui rendirent le lieu immédiatement reconnaissable. Elles sont en forme de croix latines. Le bâtiment, situé au cœur du centre historique, me permit de me repérer facilement et de m'en servir comme point de ralliement pour graviter autour sans me perdre. Des auberges recrachaient des soldats français avinés aux bras de prostituées, blanches de peur. Même les marins débarqués des lointaines colonies, après des mois en mer, se montraient plus prévenants. Je rasai les murs de peur des mauvais coups et, apeuré que mon accoutrement, peu académique pour l'époque, ne suscite de mauvaises curiosités.         

Je traînai ainsi toute la nuit quand, à l'aube, je reconnus de suite la scène d'un homme qui tendait la main à une Bohémienne. Je me fis discret dans l'attente que la pythie prononce son estocade. C'est un homme au regard perdu que j'abordai.        

J'y allai au culot. Au moindre danger, je savais qu'une œillade me permettait de rejoindre ma civilisation.        

« Bonjour général, vous n'avez pas l'air bien. Est-ce la fatigue de votre nuit avec la belle Azucena ou la frayeur de la Bohémienne qui vous donne cet air d'outre-tombe ? »                

D'instinct, il porta sa main à son sabre. Je le rassurai d'un sourire tout en posant une main sur son avant-bras.              « Henri, permettez que je vous appelle ainsi, ne soyez pas effrayé ! Vous qui avez connu la charge héroïque de Hanau ou la retraite de Russie, en quoi vous effraierais-je ? Je n'ai pourtant pas l'air d'un cosaque malgré mon habillement.

— Où suis-je donc ?

— Au tout début d'une aventure où je serai votre serviteur, dont je ne connais ni les tenants ni les aboutissants.

— Comment me connaissez-vous ? D'où venez-vous ? Vous m'avez suivi ?

— Oui, en quelque sorte. Avez-vous entendu parler de Mesmer ?

— Cette question ! Qui êtes-vous donc ?

— Répondez s'il vous plaît.

— Effectivement, je l'ai rencontré en octobre 1812 à Frauenberg.

— Alors dites-vous, sans trop me poser de questions que, sans que vous n'en soyez effrayé, j'appartiens en quelque sorte, tout comme le magnétisme animal, à des mystères qui nous entourent et qui restent encore de nos jours inexplicables. »             Il s'assit à même le pavé, plongé dans une apathie flagrante. Je ne savais que dire. Il me revint en mémoire que, grâce à un site spécialisé en généalogie, je découvris que son épouse Charlotte était décédée en 1802, le jour de la naissance de leur fils Antoine. C'est donc avec le même aplomb que, mélange de folie et d'insouciance,  je renchéris :         

« C'est au nom de votre Charlotte chérie et de votre bien-aimé fils Antoine que je m'exprime. S'ils se trouvaient à vos côtés, je suis certain qu'ils vous demanderaient de m'octroyer votre confiance. »        

Je bénis le ciel de ma curiosité. Je conclus :« Sachez que votre belle-fille Adélaïde porte en son sein votre descendance. Dans trois mois, elle accouchera d'Eugène. »           

Il me confia par la suite que la veille, il avait reçu un pli qui l'en informait. Pris dans des questions d'intendance, il n'avait pas eu le loisir de prévenir son meilleur ami le colonel Marpuis. Sur ce, il s'évanouit de tout son long sur le pavé.

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