Red Marsh Lightning

verper

La voie poussait au Sud à travers les marais de l'Alamissippia. Pendant quelques secondes une longue pancarte au sortir d'un tunnel les avait informé qu'ils entraient pour de bon dans des contrées [.]


L'ouest et les vaches et le beurre des obèses et le beurre vert et le blé pour les poules et encore pour la terre des hommes libres de prier dieu sait qui ou sait où d'épouser à Vegas une vache pourquoi pas moi plutôt belles yankees aux pommettes piquées de silencieuses moues comme quoi on sentirait pas trop bon par chez nous vous en donnerons du cliché en plastique -tique -tique du gen-bardé-darm'uriers à chaque coin de rue du Paradis ma belle comme je te manque une occasion de rester il ne fait pas bon vivre de l'autre côté de l'océan ça je l'ai toujours dit et...


-Attend, attend juste une sec'...


De son coin de cabine B... commençait à peine à sortir de sa torpeur. Dehors l'air s'était fait plus sain, mais quelque chose d'étrange s'écoulait dans le vent. La brise qu'ils bravaient depuis le matin lui parvenait à présent comme à travers une moustiquaire, en laborieuses brassées tièdes.


La voie poussait au Sud à travers les marais de l'Alamissippia. Pendant quelques secondes une longue pancarte au sortir d'un tunnel les avait informé qu'ils entraient pour de bon dans des contrées sauvages. C'était l'empire des broussailles, de ces pays qui tout entier crissent l'été quand l'eau même se met à fleurir. Des deux côtés des rails les roseaux au garde-à-vous se faisaient passer en revue par la locomotive du Red Marsh Lightning. Perché dans sa guérite entre deux wagonnets, le commandant de bord sabrait avec entrain les quelques têtes rouges trop promptes aux révérences, et de leur porte-fenêtre grande ouverte sur les champs, A... n'aurait eu qu'a tendre un peu les mains pour saisir en plein vol une de ces plantes estropiées. Le vent les emportait un brin trop empressé le long des flancs du train, et il soufflait si frais, si doux au front de A... qu'il semblait lui porter tout ensemble le murmure de l'étang, des feuillages et de l'eau, et toujours derrière lui d'un coin de la cabine : « Attend, je jure, juste une sec' attend... »


- Que veux tu que j'attende ?


A... avait fini par répondre, mais ses yeux ne s'étaient pas détachés du paysage mouvant. B... prit appui sur l'une de ces damnées caisses, fit le geste de se lever avant qu'une secousse du convoi le rasseye à sa place, comme d'autorité. Qu'importe.


- J'ai été pensant, fra, pensant et pensant, pendant tout l'trajet. Puis ce que j'attendais depuis l'début a fini par arriver. Ça m'a heurté. J'ai eu l'épiphanie, là, à l'instant, vautré dans l'foin. Voilà ce qu'en sort : ton plan est bidon, fra, définitivement bidon.


- Comment ça ? s'exclama A... en se retournant tout entier vers son compagnon de voyage


Après une autre tentative ratée pour se redresser, et abandonnant pour de bon la prestance :


- Ok, écoute moi et écoute bien. Accordement à ton petit plan, nous avons débarqué sur l'côte, comme voulait tradition, trouvé un peu d'argent et des renseignements. Pour l'instant tout va bien. Maintenant nous traversons cte' région de rednecks, pourquoi ça ? Pour nous retrouver dans l'petite ville de rednecks encore plus gratinés, l'trou sans nom, dont on a du entendre parler deux fois en tout. Et c'est ce trou là que tu as désigné pour être l'épicentre de ta révolution. Ais-je raison ou na ?


- Oui, dans les grandes lignes c'est bien ça, en effet, répondit A... imperturbable.


- Et tu comptes t'y prendre tout seul, fra ?


A... chercha le regard de B... avec circonspection. Un sourire mauvais se dessinait sur le visage de son ami, le rai de la lumière du soir qui s'était faufilé par un trou du plafond tombait en plein milieu de sa grosse face hirsute, révélant un rictus hérissé de dents jaunes. En plissant un peu les yeux A... pouvait distinguer dans la semi-pénombre de leur wagonnet la couche improvisée sur laquelle B... s'était assis. A son côté, le petit tas de cadavres de canettes vides avait encore grandi.


- Eh bien, c'est pour cela que tu es venu non ? Pour m'aider, n'est-ce pas ?


- T'aider ? S'exclama B... Ah !


Il partit d'un grand rire éraillé d'ogre gris, qui mourut aussi vite qu'il était survenu.


- L'ami, l'ami, fit-il, tu n'y es pas du tout. Pour moi depuis l'début, toute l'histoire c'est qu'une farce. Quand tu m'en a parlé ce fameux soir au bistrot - celui pas loin des quais - tu ne peux pas savoir comme l'idée m'avait amusée. Je l'admet, pour un temps tu as réussi à piquer ma curiosité, à ce moment j'avais hâte de voir toute l'étendue de ton délire, être l'témoin de ton échec éclatant ! C'est bien ça qui m'a décidé à mettre les voiles. Ça et puis l'fait que j'étais déjà à moitié soul quand on a largué les amarres. Rien de plus.


Après cela A... ne dit rien. Dans ce genre de situations c'était encore la meilleure chose à faire. Le visage de B... se rembrunit d'un coup, puis disparut du rai de lumière. L'homme s'allongea et entreprit de finir une canette tiède qu'il avait mis de côté avant de s'endormir, comme si à parler de boisson l'envie lui était revenue. On l'entendait siroter bruyamment dans l'ombre. Puis sa voix de nouveau.


- Foutues bières américaines.


A... avait profité du moment de répit pour se plonger encore dans la contemplation du dehors.


- C'est les mêmes partout, fit-il distraitement.


- N'empêche qu'ici ça goûte encore plus abject.


- Pourquoi est-ce que tu continues à en boire alors ?


- L'habitude, je ne sais pas, répondit B... en faisant un vif geste d'impatience avec sa main, chassant la question importune du revers. Mais pour en finir, fra, ce que je veux te faire comprendre c'est que cette mascarade a bien assez duré. C'était drôle les cinq premiers jours, peut-être, mais là je ne m'amuse plus, et je ne te suivrai pas plus loin . Tu es encore plus cinglé que je ne le pensais.


- Alors comme ça tu me quittes ? Voulu s'assurer A... qui peinait à conserver son calme.


- Un peu que j'te quitte, dit B..., catégorique. Tant pis pour ta révolution.


- Vraiment, je ne te comprend pas. Pourquoi, dis moi, veux tu absolument agir ainsi, quel mal y a t-il au juste dans ce que je fais ? Tu n'aurais jamais eu de rêve toi, B... ?


De ce qu'on pouvait en voir, l'intéressé semblait s'être pris la tête dans les mains à présent. Allongé tout à fait il roulait sur sa couche au rythme des cahots, comme pris d'une migraine atroce.


- Damnés. Mais qu'est ce qui vous prend tous avec votre grand rêve ? A quoi bon vous enfuir? Dis moi A..., et cette fois ci je te jure, réfléchis bien avant de me répondre ; qu'est ce que tu pourrais bien faire ici que tu ne pourrais accomplir au chaud dans ton pays ?


- Tout est possible ici.


La réponse s'était faite bien trop rapide pour que A... ait eut le temps de peser quoi que ce soit. C'était sortit comme un automatisme. Alors tout aussi preste B... bondit sur ses pieds avec une énergie pour le moins surprenante.


- Faux ! Criait-il. Faux, faux ! Un rêveur, voilà ce que tu es, vous avez toujours une réponse à tout toi et les gens de ton espèce ! Rien n'est possible, ce n'est pas ça la vie !


A... eut un mouvement de recul immédiat.


- Calme toi B..., qu'est-ce qui te prend ?


- Cette existence sur le vieux continent l'est pas assez bien pour nous, na ? On voudrait s'échapper alors on traverse l'Atlantique, na? Mais bougre c'est trop tard, tu ne peux pas t'échapper ! Sont partout les ricains, bataille perdue ! Pas de révolution qui tienne ! Et en venant, je te l'dis comme je pense, tu t'es jeté tout cru dans l'gueule du loup, tu t'es donné, parti rejoindre les vainqueurs, l'camp de ceux qui ont raison parce qu'ici « Tout est possible », c'est bien connu... Propagandiste !


- Comment peut-on être aussi désabusé ? répliqua A... en marchant cette fois en avant de l'ivrogne. Tu parles, tu parles, convaincu de pouvoir me rallier à tes vues pessimistes, mais moi tout ce que j'entend ce sont des phrases mortes, sorties d'une coquille vide. Je ne te reconnais plus, mon vieux, tu aurais donc perdu la foi et en dieu et en l'homme ? A t'entendre tout n'est plus que complot, cynisme et division. Tu ne verras jamais ce pays comme je le vois, j'en ai bien peur. Sincèrement je te plains, « fra ».


- Voyez vous ça. Tu aurais bien assez à faire pour te plaindre toi même, ne t'occupe donc pas de moi.


Sur ce B... vida sa Blondie Monk d'un trait avant d'envoyer la canette valser avec ses petites sœurs sur la pile. Puis la tempête passée, on pu entendre les grillons à nouveau. Le train se mit à ralentir, sans doute pour laisser circuler un convoi venant en sens inverse. B... n'en avait pas fini. Il tournait en rond dans son coin et grommelait à présent


- Et l'guerre au Shimastan? Reprit-il d'un coup. L'aurais tu oubliée ? Tu sais ce que j'en fais moi de ton Amérique, de l'argent tâché du sang des civils, de cette société qui glorifie les criminels, oui monsieur ! Ça glorifie les criminels, ça se voit tous les jours. Et ces rues bardées d'armuriers, tique, tique, tique, y a tu même pensé ?


- Tu ne vas pas recommencer ! Et qu'est-ce que tu raconte ?


- Je me comprend. Ne me dis pas que tu veux collaborer avec ce système de meurtriers ! Parle, allez défend toi maintenant !


A... poussa un court soupir en s'adossant contre l'embrasure de la porte fenêtre.


- Ah ! s'exclama t-il presque instantanément. Mais bien sur, je comprend maintenant !


- Tu comprends ? Ça m'étonnerait, rétorqua B... interloqué.


- Je me disais bien que tu ne pouvais pas être aussi buté depuis le début, continua A... comme porté par une révélation. Je sais que tu avais des rêves quand tu m'as accompagné, je l'ai vu dans tes yeux ce soir là, tu y croyais autant que moi.


- Tu as eu des visions, cria B... visiblement perturbé.


- C'est cette fille qu'on a rencontré il y a deux jours pas vrai ? Comment elle s'appelait déjà ?


- Pff !


- Leslie ! C'est bien ça ? Eh bien, je ne pensais pas qu'il en fallait si peu pour vous briser un homme. Surtout un homme comme toi, B... Regarde toi maintenant, tu ne ressemble plus à rien.


- Enflure ! C'est cette situation qui ne ressemble à rien ! cria B... de plus belle.


Il s'était retiré tout contre son angle de cabine, de sorte à être complètement dans l'ombre. Sans doute voulait-il éviter que A... voie son visage en cet instant. Le convoi continuait d'avancer au pas. Un léger sifflement s'éleva du coin sombre alors que B... ouvrait une énième canette.


- Regarde ce wagon, reprit il plus courroucé que jamais, tout en tâchant surement de noyer le poisson. Ce Sud, ces marais, manque plus qu'Huckleberry Finn pour nous jouer de l'harmonica et l'tableau serait complet ! On nage en pleine fantaisie je te dis.


Là dessus il donna un coup de pied dans la petite valise brune qui était jusque là sagement posée contre la paroi.


- Laisse ma valise tranquille, tu veux, réagit A... qui commençait à perdre patience.


Le bagage était tombé mollement au sol. B... titillait encore le cuir du pied, comme pour narguer son rival. Son visage à nouveau dans la lumière, rougi, au milieu ses yeux avaient des de démence. Il semblait à bout de souffle, donner ce coup de pied l'avait presque fait chanceler. Et pourtant il partit d'une grande inspiration.


- Quoi, tu as peur pour ta petite protégée ? Dit-il en ricanant muettement. Ce qu'y a dans ta valise c'est l'perle de tes yeux pas vrai ? L'objet de ta grande révolution, l'outil de ta réussite, ton laisser-passer pour entrer dans cette grande Légende. Je refuse d'en faire partie, moi. Tu n'es rien A... et tes rêves sont vains, tu es comme tous les hommes de notre génération, des chiffes molles à vous filer l'nausée, qui espèrent que tout leur tombera tout cru dans l'gosier du moment qu'ils ouvriront l'bouche au bon moment et au bon endroit. Tu t'es livré, je te l'ai dit, mais pas qu'au ricains : à ta paresse aussi. Tu as choisi la voie de la facilité. De la fausse fuite. Tu es pire qu'un lâche. Et ta valise j'en fais ce que je veux.


Sur ce il donna un grand coup dans la malle, qui partit glisser à l'autre bout du wagon, et faillit cette fois ci se vautrer pour de bon si ce n'avait été pour la poignée de secours, vissée dans la paroi à hauteur de hanches. A... regarda sans faire un geste la valise se heurter au mur. Un silence plus pesant que l'air du marécage était tombé sur la cabine. Dehors, même les grillons semblaient être allés se coucher. A... considéra la scène pendant quelques instants, puis se tourna encore, pour regarder le paysage rougeoyer alors que le soleil disparaissait progressivement derrière les roseaux.


- Alors, qu'est-ce qu'on fait maintenant ? finit il par dire il. Tu vas vouloir descendre à la prochaine station c'est bien ça ?


- Ce serait un bon début, oui, affirma B... en se relevant.


- Et ensuite tu trouverais bien un bus pour rejoindre Tuscamery Town, puis un autre pour l'aéroport.

- Oui, oh oui, c'est bien ça ! Qui exultait presque à l'idée de quitter enfin cette scène terrible.


- Oui, poursuivais A..., les yeux toujours fixés sur l'horizon. Je pourrais te donner la moitié de mon argent, avec ça tu devrait avoir assez pour rentrer au bercail.


B... claquait des mains, presque sans s'en rendre compte. Un sourire des plus sincères illuminait maintenant sa face, revigorée d'un coup. Euphorique il replongea dans l'ombre de son coin de cabine et se mit à rassembler ses affaires, ses canettes, ses vêtements et ses clopes dans le grand sac de marin qui s'était déjà bien usé ces quelques jours passés.


- Honnêtement, reprit A... Tu crois vraiment que je te laisserais me quitter maintenant?


Les mouvements de B... se figèrent aussitôt. Penché comme il était sur sa paillasse, il semblait cloué sur place, clignant des yeux il tourna douloureusement la tête en direction de son ami.


- De quoi ? Comment ? parvint-il à prononcer.


A... daigna soutenir son regard, mais dans ses yeux la compassion n'avait plus de place. Il n'était que mépris froid et implacable.


- Nous sommes trop prêts du but. Tu resteras ici. Une fois que tu seras sobre tu devras bien te rendre compte de ton erreur.


- Mais, mais mais je suis sobre, je le suis, lui assura B..., les yeux brillants, presque implorants, à genoux comme il l'était.


- Ton haleine me dit le contraire. Mettez vous d'accord. Fais un somme.


Le verdict semblait avoir sonné, irrévocable. A... se tourna une dernière fois vers le paysage. Derrière lui, B..., cassé en deux, fin soul, lui brulait un trou dans le dos à force de le regarder. Les mains serrées autour du sac marin, sous lequel il pouvait sentir ses maigres richesses, tremblaient. Il se mit à sortir ses canettes, ses vêtement, les disposa sur sa paillasse, bien en ordre, puis les remit dans le sac, un a un, sans savoir tout à fait ce qu'il faisait au juste.


- Et dire que tu as voulu fuir... prononça A... à voix basse. Qui aurait pu croire que tu prendrais la solution de facilité, n'est-ce pas, fra ?



L'ouest et les vaches et le beurre des obèses (Quelque chose se passait) et le beurre vert et le blé pour les poules et encore pour la (se brisait) terre des hommes libres de prier dieu sait qui ou sait où (les mains de B... tremblaient, et tremblaient de plus belle)


- Ils ne m'auront pas... souffla t-il entre ses dents.


A... ne l'entendit pas se lever. Il ne l'entendit pas non plus alors que son ami fonçait vers la valise brune à l'autre bout du wagon. B... ouvrit le bagage, en extirpa à la hâte une vieille clarinette en bois noir tout fissuré de blanc. Le bel objet, solide, résistant aux années, si facile à manier une fois qu'on l'a en main.


- Voilà ce que j'en fais de ton Amérique ! Cria B... pour finir.


L'instrument s'abattit avec la force du diable sur la tempe droite de A... Un grand crac, de bois ou d'os, la clarinette qui vole en morceaux, A... qui s'écroule sur le sol poussiéreux du wagon.


B... pris son sac marin à la hâte, tira quelques billets de la veste de son ami avant de sauter par la porte-fenêtre, puis entre les roseaux, avant de disparaître.



La Légende dit qu'il court encore.



  • Waou! c'est vraiment génial! ta force de narration est tout simplement magnifique, tes descriptions que tu parsèmes par-ci par-là en quelques mots traduisent très bien l'atmosphère, les dialogues sont dynamiques, vifs, un ptit peu d'humour aussi! et puis les descriptions en italique, qui résonnent comme un blues! je suis fan. Le seul petit hic, c'est que ça aurait gagné à être relu, et corrigé à certains endroits, mais rien de tragique, je pense

    · Il y a plus de 10 ans ·
    318986 10151296736193829 1321128920 n

    jasy-santo

    • Salut, ta réaction me fait très plaisir! Et c'est vrai, il y a quelques maladresses, c'est ce qui arrive quand on termine d'écrire une demie-heure avant la fermeture du concours (yep, mauvaise habitude ). Du coup je pense que je reprendrais le texte un de ces jours, pour revenir sur les fautes et certaines autres tournures, il me semble que tout ça aurait pu être amené avec un peu plus de finesse si j'avais eu davantage de temps pour y réfléchir. À creuser... Content que ça t'ait plu en tout cas!

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Personaje   1961 579 1

      verper

    • Oui c'est tjs le problème des concours, il faut avoir le temps puis on voit tjs des trucs après avoir lu!

      · Il y a plus de 10 ans ·
      318986 10151296736193829 1321128920 n

      jasy-santo

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