Failed encounter

hbicchloe

Participation concours Racontez votre Amérique

Montréal, octobre 2011

Quel dépaysement… Et surtout, quelle joie de retrouver Martha et surtout d'être venue pour son mariage ! D'avoir renoué avec les filles… Et ce soir, fini les dîners à répétition à se gaver au point de n'avoir presque pas pu rentrer dans la robe le jour-J. Ce soir, on décompresse après le stress du wedding et on sort entre filles. Enfin presque. Parce que la mère de Martha lui a demandé de faire une « bonne action » et de sortir avec un jeune de son entreprise fraîchement arrivé et ne connaissant pas grand monde, Marc. Et puis finalement Clémence a décidé de nous lâcher sous le prétexte bancal qu'elle a un rendez-vous téléphonique qui s'est improvisé le lendemain matin pour le travail. Bref, ce soir, c'est Martha, moi et Marc. Plus un ami à lui, apparemment. Donc pas vraiment une soirée fille mais peu importe, j'ai envie de sortir, boire un coup et m'amuser. Et de profiter de Martha que je n'avais pas vue depuis des années et que je risque de ne pas revoir de sitôt. 

Au bar, des bonbons, des sucettes et des cocktails à coucher dehors mais pas de Marc en vue. En tous cas, pas au premier abord. Et puis finalement ils viennent vers nous. Marc c'est le grand pas trop mal et son copain, Nicolas, n'est pas terrible, mais il a un charme indéniable. Et surtout, il est drôle. Mais vraiment drôle. Tout en léchant ma sucette d'une manière qu'il sera bien le seul à trouver très langoureuse - rapport au nombre de cocktails ingurgités - je fais connaissance, pendant que Martha discute avec Marc. Mais la soirée touche vite à sa fin et on sort tous pour une dernière cigarette avant d'attraper un taxi et de se dire au revoir - adieu dans mon cas, je repars pour New York deux jours plus tard. Sauf que dehors, les choses ne se passent pas comme prévu. Je ne sais plus trop comment c'est arrivé, mais avec Nicolas, on en est venu aux mains et avant que je ne m'en rende compte, il m'a jetée sur son épaule. En m'agitant violemment, j'arrive à le déstabiliser et on tombe l'un sur l'autre sur le trottoir. J'imagine maintenant que Martha ne savait plus où se mettre, mais sur le moment, tout ce que je suis capable d'intégrer, c'est que ce mec est fort, sexy et que j'ai très, mais alors très envie de l'embrasser et de repartir chez lui pour la nuit. Même si je sais que je ne le reverrai pas, cette attirance… Mais la raison reprend le dessus : chez Martha il y a aussi sa mère et ses deux tantes, et je me vois mal expliquer le lendemain que j'ai découché. Alors je monte dans le taxi avec elle, la tête et la bouche pleine de regrets… 

Facebook, novembre 2011 

Il le fait exprès, avec ses photos torse-nu dans la neige ? Je le savais, qu'il était bien foutu, je m'en doutais, mais là… Tout ce qu'il me reste à faire, c'est de me moquer de lui parce qu'il est vraiment pâle. Mais tellement bien foutu ! Pas musclé comme dans une pub pour les slips de David Beckham, non, mais juste dessiné comme il faut pour qu'on imagine les muscles tendus. Et puis les discussions, plutôt enflammées, et les regrets exprimés, d'être si loin, alors que de toute évidence, entre nous, ça aurait si bien collé. Mais l'espoir fait vivre et surtout attendre jusqu'aux vacances de Noël : il va venir à New York, moitié pour le travail, moitié pour faire un break avec des amis. Et je pense qu'il y a moyen. Moyen de quoi, je ne sais pas encore bien, mais moyen quand même. 

New York, décembre 2011

C'est bientôt Noël et comme dans la chanson, j'ai envie de lui dire que « All I want for Chrismas », c'est lui. De préférence torse-nu, avec un bon lit bien confortable pas loin. Mais ça ne serait pas très ladylike, n'est-ce pas ? Alors je ne dis rien, mais quand il me propose de dîner, j'ai des papillons dans le ventre. Il me laisse choisir le restaurant, prétextant qu'il ne connaît pas la ville comme moi. Je choisis le petit restaurant italien, deux blocs plus loin, qui ne paie pas de mine mais fait des pâtes maison délicieuses. Une ambiance intime et chaleureuse. D'ordinaire peu encline à ces dates programmées je me sens bien, détendue. J'avais peur avant de venir, en me préparant, j'ai même dû me forcer pour ne pas annuler au dernier moment et maintenant, dans ma petite robe préférée je me sens belle et surtout, je me sens bien avec lui. Je lui dis que dans mon souvenir il n'était pas très beau et que comme il n'est pas photogénique du tout, j'avais fini par me dire qu'il était même assez laid mais qu'en fait en vrai, ça va. Il est même plutôt pas mal. Il se moque de moi et on rigole. 

Toute la soirée, on se raconte nos vies en enchaînant les verres de vin. C'est là que je me rends compte qu'il est plus jeune que moi. Ce qui m'aurait rebutée chez un autre ne me dérange même pas chez lui. Ah tiens, il viens de m'effleurer la main. C'est drôle, cette sensation. Être heureuse d'être là et de plaire à celui qui me plaît. Et si je pouvais décrocher mon regard de lui un instant je suis sûre que je verrais la salle de restaurant entière nous fixer avec envie. Les couples nous regarder et se demander pourquoi entre eux il n'y a pas cette alchimie. En fait, je crois bien que personne ne fait attention à nous mais ils devraient, pourtant. On est tellement beaux tous les deux ! Ah tiens, là, on aurait presque dit une caresse sur mon poignet. 

Les coudes et les seins sur la table, les joues dans les mains, je me moque complètement de mal me tenir. Une minute sur deux il n'arrive pas à décrocher de mon décolleté et ça me va bien comme ça. De toute façon je serais bien mal placée de lui en vouloir, puisque de mon côté je ne pense qu'à déboutonner sa chemise pour toucher les muscles bandés des photos. Des photos de lui à moitié nu dans la neige… Mais je m'égare et je ne l'écoute plus. Il le remarque, me reprend, et je ne peux pas m'empêcher de lui avouer ce à quoi je pensais. Ironie du sort il me demandait justement où se trouve mon appartement. Je détourne la réponse en lui annonçant de but en blanc que j'ai une copine qui squatte pendant deux mois le seul lit de mon studio. J'espère un peu qu'il va me répondre que ce n'est pas grave, qu'il a une chambre d'hôtel et qu'on peut y aller mais il me dit qu'il fait la même chose que mon amie. Autrement dit il est peu probable que je puisse l'accompagner. 

À ce moment-là j'envisage carrément de le laisser me prendre dans une ruelle un peu sombre tellement j'ai envie de lui. Mais je résiste encore et toujours. Pour combien de temps ? Dieu seul le sait… 

On sort du restaurant, on se regarde, on se rapproche et là, je me souviens que même si cette soirée peut encore bien se terminer, d'une manière ou d'une autre, le réveil sera dur. Parce que cette fois, c'est lui qui repart dans deux jours. Et on sait aussi bien l'un que l'autre qu'on ne se reverra pas avant des mois. Alors je fais la seule chose qui, je le sais, le rebutera et l'empêchera de m'embrasser, j'allume une cigarette. Il fait une grimace, grogne et fait un pas en arrière. Je souris et sors le prétexte de la clope qui est si bonne après un bon repas. Machinalement on se tourne, à l'affût d'un taxi. Heureusement, il y en a un qui vient vers nous. On décide de le partager le temps qu'il me dépose chez moi. Quelques minutes plus tard, devant la porte de mon immeuble, il demande au chauffeur de l'attendre quelques minutes et descend avec moi. Au fond de moi, j'espère que ma copine est sortie, qu'elle n'est pas encore rentrée, enfin bref qu'elle n'est pas là et que je pourrai dire à Nicolas de monter pour profiter de lui un peu plus longtemps. Peut-être même retirer sa chemise et, qui sait… J'envoie un message rapide : « t'es où ? ». « Dans le canapé, pourquoi ? » vibre mon téléphone quelques secondes après. Presque les larmes aux yeux je m'avance pour embrasser Nicolas et au dernier moment, je tourne le visage et lui fais la bise. Je vois bien qu'il partage mon désespoir quand il remonte dans le taxi en donnant l'adresse de son ami au chauffeur. 

Je reste quelques instants dehors, à regarder la voiture jaune s'éloigner, en pensant, imaginant quelle folle nuit j'aurais pu passer. Je regrette de n'avoir pas demandé à ma pote de sortir ce soir, de rentrer plus tard, pour me laisser un peu plus de temps avec lui. Après tout, c'est fait pour ça aussi les amis, savoir s'effacer quand c'est important. D'ailleurs, quand je suis remontée et qu'elle m'a demandée pourquoi je ne suis pas allée à son hôtel, quand je lui ai répondu qu'il n'était pas à l'hôtel mais chez un ami, elle m'a dit que j'étais stupide, que j'aurais dû lui envoyer un message pendant le dîner quand je l'ai su, qu'elle aurait enfilé un jean et serait sortie dîner un peu avant que je rentre… Tant que je changeais les draps avant qu'elle ne rentre, qu'est-ce que ça pouvait lui faire ? « Laisse, c'est pas grave, de toute façon on aurait fait quoi, après ? », je m'entends lui répondre, à moitié en dehors de mon corps, comme si mon âme volait après ce taxi pour lui dire de revenir. 

Février 2012, Natural History Museum de New York

J'aime bien me promener au Musée d'histoire naturelle. Ce que je préfère, en fait, c'est m'avachir sur le banc qui fait face au mur végétal qui recrée la forêt tropicale de Dzanga-Sangha. Je pourrais rester là des heures à chercher les petits animaux cachés dans les branches. Une fois, je m'y suis même endormie et c'est un gardien qui m'a réveillée à l'heure de la fermeture. Sur mon banc, je laisse mes idées vagabonder et je repense à Nicolas et à nos échanges, beaucoup moins fréquents et surtout beaucoup moins osés ces derniers temps. Je sors mon téléphone et lui envoie un message. Il me répond que oui, si dernièrement il est moins entreprenant, c'est qu'il a trouvé quelqu'un. Que pour lui je suis l'incarnation d'un regret et qu'il aurait toujours envie de moi s'il s'autorisait à y penser, d'où les messages qui n'arrivent plus. Je regarde l'heure, il est 17h30, le musée ferme dans un quart d'heure. Cette fois, je ne suis pas d'humeur à parler à qui que ce soit, et surtout pas au gardien qui va me mettre dehors. Je range mon portable dans mon sac et mes mains dans mes poches et je retourne dans mon appartement vide. Un prince charmant de perdu… ?


  • J'aime tout particulièrement le dernier paragraphe très nostalgique et évocateur, avec en toile de fond le mur végétal. j'ai aussi le style direct et imagé que tu emploies! et j'aime le fait que tu l'as posté! :)

    · Il y a plus de 9 ans ·
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    jasy-santo

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