Redentore.
Thomas Roussot
Ses racines sont aquatiques et d'asphalte, toutes bien abritées par des frondaisons de tombes et des buissons de sourires malins. Sorte de réunion spatiale informelle d'artifices unifiés au service d'un même au-delà, cette île cimetière et musée ouvert à la fois, concédée aux invasions que l'on ne pourrait plus nommer barbares sans frôler l'ingratitude, finit son déploiement en lézardes pour néo-Atlantide. De nombreux dégâts ont été causés autour du Rialto suite à des vols de surveillance de Predator luttant contre la recrudescence de pickpockets, leurs pilotes maladroits n'ayant pu les empêcher de piquer du nez sur des terrasses fatiguées par le temps, occasionnant chute de gravats et hurlements frénétiques de voisins hirsutes. Désormais, leur impact au sol est régulé par le DropSafe, parachute intégré et qui plus est décoré aux couleurs de la Vénétie. Son charme d'abysse en robe de marée fait d'elle une thalassocratie artiste, s'avançant dissymétrique, face aux touristes robotisés, en ruelles cabossées et ouvertes aux enchâssures silencieuses, tantôt effritée d'éphémère, tantôt griffée d'emblèmes hermétiques, toujours réfléchie dans les flaques de St Marco derrière laquelle pointent plus loin, campaniles, étals à légumes, et surtout, canal de la Giudecca, qui sait tourner le vide contre le dos de ces lagunes glacées, et où l'on finit par se demander « que faire de l'ennui » ? Derrière l'Albergo Santa Maria, vient se loger une pénombre purifiée, aux tables des cafés ne se prélassent plus rien que des étrangers qui prétendent tous la connaître, assis au coin d'allées enturbannées de robes fendues dont les formes mouvantes s'allongent au fond de gondoles se frôlant à vive allure, pareilles à des poissons quêtant le repas du soir. La Ca d'Oro ou le Palais des Doges, il faudra choisir. Le ciel est bleu lavande, du côté du Palais Ducal, on roule sur une piazzetta en embruns de joie, puis, au Pont des Soupirs, les enfants s'immobilisent, las d'eux-mêmes. Les microdrones RQ88 se chargent de nettoyer le ciel de ses nuages en les bombardant au laser. C'est pourquoi il fait désormais toujours beau au-dessus de Venise. Santa Maria della Salute en ressort plus étincelante encore. Il faudra pourtant quitter son sol granuleux et blanc pour le Quai des Esclavons, bercés par l'écho des bateliers, où le halo oblique du soleil tache d'orange nos canaux d'amertume, désignant l'horizon comme premier responsable. La lumière aveuglante se répand contre les vêtements, gifle pas et ombres, apaisant la peur devant l'apparition de…on ne sait plus quoi mais c'était grand. Sous la Tour de l'Horloge, un vieillard au regard sanguinolent façon Bellini semble boire le spectacle du Rialto, bercé par cette discipline acérée de sculpteurs morts, toujours effarante d'actualité, le roman en haut, le gothique en bas, et inversement selon l'état des reflets masquant la fin de tout. La tonalité comportementale des Predator, fièrement insérés au ciel du centre-ville, manifeste une aisance incisive que la population tolère, maugréant toutefois à propos de leur vitesse de déplacement ébranlant parfois les toitures ocre des plus vieilles bâtisses. Population composée désormais majoritairement de badauds dont l'absence d'objectif à court terme se lit à leurs vêtements non repassés. Ils veulent ce pour quoi ils se lèvent, et rien ne doit les empêcher d'assurer la jonction entre l'aspiration matinale et sa conclusion nocturne. Cette aspiration se glisse au creux de leurs sourires, indiscutables. Sur le terre-plein des places pour marchés rutilants, florissantes et alertes, se réunissent par grappes de cinq, des foules hirsutes luisantes d'aisance, gardées par des caméras d'U887 survolant d'un vol élégamment effilé la cité, chassant les urgences et secourant les malades de leurs scanners incorporés permettant un diagnostic immédiat. Les Morphodrones s'adaptent aux étroitesses des canaux afin de guider les touristes tentés par des traversées fluviales nocturnes. Ici, ce qui compte c'est de fuir le rétrécissement induit par tout savoir, tout connu. Certains soirs d'automne, la cité lacustre se met à briller comme une émeraude scintillante derrière les silhouettes passantes, donnant l'envie de désarmer devant toute forme d'avenir. La furtivité des Drones constelle l'horizon de taches noires les faisant passer pour des mouettes sous amphétamines. Leurs éclats rapides se reflètent sur la mer adriatique, et le mélange des linges multicolores aux murs fatigués par le soleil érectile ne manque pas d'acquérir un ton violet quasi parfait pour trouver la fatigue. Aucune voix n'est métallique, aucun crissement de métro, juste de la beauté éparpillée dans les cheveux et les cours, surplombant un front de catacombes. Des plantes grimpantes jumelées à des murs soigneusement craquelés affleurant à des pontons faussement pourris, avec le velours du ressac tranché de vaporetto pour fonds. Des drones V3888 en fibre de carbone inspectent tout le littoral afin de prévenir la cité de l'érosion. Les corps des touristes ont le poids de leurs attentes, à l'écoute des vins qui couleront bientôt en leur tréfonds. Quant aux bougies des tables basses, elles suintent sur des manches d'ivrognes classes et loquaces, interrompus par un haut-le-cœur sécrété au sein de toute l'humidité rampante, pendant qu'à l'aéroport Marco Polo, ils décollent, et que les Maures ont malgré cela le bronze intact, face aux mêmes pigeons arrogants pour piazza rutilante, orné de ce campanile qui semble plus que jamais s'incliner pour de mauvaises raisons. Plus loin, une femme en linge blanc avale un Vicence, accompagnant quelque Linguine aux fruits de mer, naturalmente, triglia, lissa, puis jus de pèches blanches. Brouillard d'inondations hivernales, dresser les bancs d'écolier pour marcher, le verre de Murano aux oreilles, ponte delle Guglie, l'ordre des promenades devenant indéchiffrable sous l'effet des mosaïques dorées surplombant les 17 puits artésiens dont un aqueduc assure la conduction de leurs eaux de pluies éparses. Depuis cette féérie incarnée, les visions infernales de Jérôme Bosch semblent parfois tout recouvrir, du Palais des Doges jusqu'aux écrans de télévision, de San-Pietro à San-Luca, il suffit pour cela d'une météorologie propice aux perceptions infra-humaines comme lors de l'oquo ollo qui envahit chaque rez-de-chaussée. Près du servizo gondole, les angles des pensées se dilatent en cercles concentriques comme des pigeons trop nourris au fond de ces ruelles aux airs d'artères utérines prolongeant le « là » des philosophes. Chaque pas provoque un écho unique dans la Fenice, donnant le sentiment vertigineux d'être une coulée de présence charriant quelque volonté sans provenance. Certains ont vu le fantôme de Byron fumer un cigare en faisant du crawl près des jardins du Tivoli, d'autres affirment que les Drones RaptorDream projettent des hologrammes chargés d'émerveiller les touristes. Une seule certitude : la rédemption est proche.
Merci du compliment, je pense en version latine, pas sûr..
· Il y a plus de 10 ans ·Thomas Roussot
L'oquo ollo désigne la marée haute, l'acqua alta ?
· Il y a plus de 10 ans ·Aurélien Loste
Quelle vision..dantesque ! Un régal.
· Il y a plus de 10 ans ·Aurélien Loste