Reine Détroit

Maxime Lopez

Jadis, bien avant l'épilogue de ta naissance,

Tu n'étais que forêts et lacs, vierges de peaux blanches.

Au milieu de colossaux trous d'eau, tous captifs

De ce que Jacques Cartier, bien après les natifs,

Nomma Saint-Laurent, ancestral « chemin qui marche »

Tu es l'une des plus âgées à l'ouest des Appalaches

 

Rouges puis caucasiens t'ont élu pour domicile.

Respectant ton équilibre naturel d'abord,

Les hommes, peu à peu, cédèrent aux tentations et

On oublia de contempler pour exploiter.

Ton harmonie brisée par l'appétit pour l'or

Le doux parfum de ta chaire en devînt futile.

 

Sur les décombres d'une idole, dans l'eau, morcelée.

Toi, fort Pontchartrain et ce durant des années,

Au devant des petits-fils du Maryflower,

Tu as livré bataille, la Marseillaise en cœur

Soutenus par les fiers tomawaks de Pontiac

Pour défendre ton honneur face aux anglaises attaques.

 

Vint ton rattachement à la nouvelle nation

Depuis Paris, où cinq de ses représentants

Actèrent, au York du sixième, le don des anglais.

Devenue américaine, tu t'es embrasée,

Tu as consumée ton architecture d'antan

Laissant un juge tracé ton urbanisation.

 

Carrefour d'abord, tu t'es constitué empire.

De Mack Avenue, des légions entières conquirent

Le pays, le monde, pour une nouvelle société

Du nom d'automobile, contemporaine liberté.

Tes lignes Beaux-Arts et baroques furent dès lors gommées

Par des tours d'ivoires et ateliers supplantées.

 

Des chariots pour le grand Ouest aux moteurs sur roues,

Tu chaviras dans une allégresse forcenée.

De forêts en prairies, maints lieux furent engloutis.

Eaux et atmosphère devinrent maculés et pis

Les hommes, mimant le passé, devaient s'affronter

Comme au coin de la douzième, lieu longtemps tabou.

 

Ateliers et « ronds de cuirs », ivoire et cols blancs

Banlieues pâles et ghettos noirs, peuples mises au banc.

Dans l'apocalypse, fruit des hommes, tu abdiques.

Usines, bibliothèques, gares et services publics,

L'inanité emplie tes organes et transcris

La désolation d'un biotope en fin de vie

 

Salie et délaissée, de tes concitoyens

Un million d'âmes ont fui la débâcle survenue.

Affranchis, d'aucuns t'ont drapé d'une nouvelle ombre

Scélérate, mortelle, tous agissant sans encombre,

Aidés par une viciée corruption malvenue.

Fils d'ouvriers devinrent, dans les gangs, miliciens.

 

Nonobstant, soubresauts civiques et mouvements

Dans un décor post-apocalyptique naissant

Font de toi une utopie au-delà du livre

Pour dénoncer abattements et faire revivre

Autogestion, réappropriation, entraide,

Mobiliser tels les Grecs au-devant des Mèdes.

 

Enfant chérie, enfant trahie. De ton passé

Aujourd'hui, il ne reste plus que le quadrillage.

Plymouth road, Hubbel Street et W. Chicago street,

Rectangles et carrés, causes de crises épileptiques.

Tu as tracé toutes tes lignes à travers les âges

Pour un moteur, apôtre de la mobilité

 

Verdoyante tu retrouves tes premières essences,

Liberté dans ta destruction, une renaissance.

De ton peuple, tous ont espérés de meilleures choses,

Vient la résurrection  déjouant la nécrose

Richard présageait : « il résultera des cendres »

Cri profond. Devise officielle. A réapprendre.

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