Rejoindre Paris

Paulodrive Ettessiom

Découvrir Istanbul.
Flâner, observer, s’oublier.
Oublier la France, nos petites envies, les histoires trop bêtes, les images trop nettes. Nous sommes partis le 10 avril. Retour prévu vendredi 16.
Mégapole à la croisée des continents et des cultures, Istanbul est vaste, riche, envoûtante et paradoxale. Nous partions à l’aventure surmontant nos fatigues, nos préjugés, nos contrariétés pour accepter l’Echange. Une semaine, c’est juste pour qui veut s’oublier.
Aussi j'avais un petit goût amer dans le taxi qui nous menait à l'aéroport ATATURK le vendredi matin. Et un pressentiment. J'avais rêvé d'un gros nuage de cendres qui flottait dans le ciel. Un gros nuage noir fait de particules qui scintillent. La veille, on était tombé sur L'INFO. Celle qui allait, comme son sujet, envahir notre espace. Je n'arrivais pas à m'ôter de la tête l'idée qu'on ne partirait pas comme ça.
À l'aéroport, le chaos : files d’attente interminables, incompréhensions, énervements...
Tous les vols vers l'Europe sont annulés pendant 24 heures ? Ok ! Il faut rejoindre la ville et régler ça avec l’agence principale.
Vendredi après-midi, ballade aux îles aux princes, au large de la mer Marmara. Deux heures de traversée. Lumière intense, mer métallique. Dans la matinée, nous avons réussi à trouver un hôtel et un vol pour le dimanche. Efficace, royal.
À Paris, la vie s’organise sans moi. Ma fille me manque. Ne pas y penser. Nous sommes bloqués deux jours de plus, essayons d'en profiter.
Les informations ne laissent pas présager de bonnes nouvelles. Dans mon sommeil, je suis en avion... et je ne m'y fais pas. Je ressens le vide. Par le hublot, au loin, vers l'horizon splendidement inondé de soleil, sur le tapis de nuages blancs, un nuage de fumée noire qui scintille.
Samedi. Pas vraiment envie de dévorer la ville. L’objectif s’impose à nous, Rejoindre Paris. Récolter le maximum d'informations. Mais où ? Qui sait ? Agences de voyages désertes…
En passant par l’unique gare qui relie l'Europe, nous observons une file d'attente peu habituelle. Le train?! C'est 2 jours au moins…Rejoindre la file, ensuite réfléchir ! 6 heures d’attente.
C’est l'endroit idéal pour échanger des informations. Les voyageurs les plus dégourdis sont là. Privé de tous privilèges, tous démunis, tous égaux, dans le respect de la file d’attente, il n’y a que notre humanité et notre intuition. Les images de mon rêve resurgissent. L’avion ?  Quel jour? Et puis ce nuage... Il arrive sur la Turquie.
À l'aéroport, les gens somnolent sur leur sac…CANCELLED every where. Non, impossible. Nous rentrerons en train.
20h, nous errons dans les rues animées d'Istanbul notre billet en main. Nous croisons des Français qui ont réussi à avoir un vol pour mardi... C'est loin, mardi. On devrait être en Allemagne. Nous devenons des voyageurs.
Dernière nuit à Istanbul.
Un puzzle flotte dans mes rêves, fait de pièces confuses, de pays aux formes géométriques de couleurs variées. Jaune, rouge, bleu, rose, vert.
Aujourd’hui dimanche, tous les aéroports d'Europe du Nord sont fermés pour 24h supplémentaires. Une partie du monde moderne est bloquée. Nous réapprenons à apprécier les distances, et avec, le temps.

22h. Notre train est à quai, il est usé, désuet. Les gens se pressent, le chef de quai est débordé. Nous quittons lourdement Istanbul longeant les rives du Bosphore, un paysage incroyable déroule sous nos yeux. Nous pénétrons la nuit accrochés aux lumières qui défilent. Le roulis mêlé aux grincements aura raison de nous. Nous sommes brutalement réveillés pour un contrôle de passeport. Il est 3h du matin, il fait froid, tout le monde est dehors, nous essayons de comprendre. La frontière Bulgare. Nous subirons de multiples contrôles. Il faut les vivre pour les considérer insupportables.
En vain, nous dormons. Nous émergeons vers 9h, épuisés de cette première nuit. 3 heures de retard. La traversée de la Bulgarie sous une pluie fine rend le paysage triste. C’est un pays d’un autre temps, l’époque s’est figée…
À Sofia, je change 5 euros. 2 cafés, une carte d’Europe (?), et le reste pour les toilettes. Nous attendons la correspondance de 20h40. La gare aussi est triste.
Nous repartons. De nouveau la frontière, Serbe cette fois, nouveaux contrôles. La routine... Nous sommes mieux organisés, nourriture, vin, gobelets. Notre convoi chemine lentement vers Belgrade…24h que nous voyageons. L’homme s’adapte à toutes les situations. Nous échangeons de tout et de rien avec nos compagnons d’infortune. Du temps nous est offert. Sans condition. Du temps de vie.  La nuit est courte et bonne, bercés par le train. À 5h nous guettons la correspondance…Que nous ratons!
Mardi 20 avril, 6h du matin, nous patientons à Belgrade. Je change 5 euros. Cafés, toilettes. Le train pour Zagreb de 10h20 se remplit vite. Nous subissons un contrôle douanier rigoureux. Vitesse de croisière  40km/h, un extravagant transsexuel serbe anime le wagon avec une jeune Croate. Nous échangeons. Ils s’étonnent de mon bon Anglais et nous envient d’habiter Paris…Paysage plat, des monts vers l’horizon. Arrivée à Zagreb avec 25 min de retard, c’est pas si mal. Le quartier de la gare est pittoresque. Ce voyage nous donne envie d’en voir plus. Donner envie.
Le train de nuit, confortable et moderne nous fait regretter le charme de l’ancien. Nous partageons le compartiment avec cette famille de français, sympathiques et râleurs. Charcuterie, vin et pistaches.
Lubjanja, Villebach… Munich 6h15 mercredi. Aucun billet pour Paris ce jour n’est vendu. Strasbourg alors! après on se débrouillera. Je n’arrive pas à retirer de liquide ! Munich ? Allemagne ? Europe ?
Nous retrouvons des visages connus qui ont emprunté d’autres chemins, Budapest, Bucarest, Zurich, Vienne…
À Strasbourg, nous prenons le temps de manger une flammekueche. J’ai acheté les billets pour Paris sur Internet. Retour des privilèges. Payer la connexion, avoir l’outil.
20h Paris gare de l’Est.
L’intuition.
Ma sœur mon étoile.
Je suis né pour explorer, voyager, jouer du temps et des époques.

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