rencontre à Reims
bridge
Lui : Oui ?
Elle : Eh bien.
Lui : Allez-y.
Elle : Oserai-je ?
Lui : Il le faut bien, non ?
Elle : J’ai peur de votre regard.
Lui : Qu’est-ce qu’il a, mon regard ?
Elle : Il a qu’il est trop vert, vraiment.
Lui : Je ferme les yeux, si vous préférez.
Elle : Je préfère, moins difficile, sans le regard.
Lui : Les yeux fermés, je vous écoute en aveugle.
Elle : Vous pourriez ne pas sourire, les fossettes, dur, dur.
Lui : Vous êtes bien exigeante, Madame, mais j’obtempère.
Elle : En fait, ce serait mieux si je ne vous voyais pas du tout.
Lui : Pourquoi m’avoir demandé de venir, on aurait pu se.
Elle : Se téléphoner, s’écrire, s’envoyer des mails, des messages, oui.
Lui : Mais vous vouliez me voir, vous me le dites dans votre dernier mail, sinon.
Elle : Ah, là, c’est pire, quand vous avez l’air méchant. Pire encore que les fossettes.
Lui : Je n’ai pas beaucoup de temps, vous le savez, alors si vous pouviez me dire.
Elle : Vous avez raison, tout à fait raison, c’est ridicule, ouvrez les yeux, souriez.
Lui : Suis-je conforme à l’image que vous vous faites de moi ? A quel étrange jeu jouez-vous ?
Elle : Mettons les choses au point : l’étrange jeu, c’est vous qui le jouez depuis notre dernière rencontre.
Lui : Je ne vois pas où vous voulez en venir, vous voulez dire que je n’aurais pas dû vous écrire ?
Elle : Soyons clairs et rationnels, comment voulez-vous que je m’en sorte, moi, le regard, les fossettes, les mots ?
Lui : Les mots ? Mes mots ? Que vous disent-ils donc, mes mots, qui vous font perdre les vôtres et rougir de la sorte ?
Elle : Il y a que votre regard, vos fossettes, vos mots, surtout vos mots, vos phrases, ça vibre, ça chante, ça déplace!
Lui : Venez, rapprochez-vous, tout contre moi, vous ne verrez plus mon regard, mes fossettes, je vais me taire, tout contre vous.
Elle : Tout contre vous, tout contre moi, je ne sais pas si je vais pouvoir vous dire, ce que je suis venue vous dire. Votre odeur.
Lui : Venez, tout contre moi, comme ça, ne tremblez pas, ne rougissez pas, imaginez que vous me parlez de loin, de très loin.
Elle : Le nez dans votre cou, les lèvres contre le col de votre chemise, j’avais tout imaginé. Sauf votre odeur. Pire que le regard.
Lui : Il est temps que vous me disiez, vous savez bien, j’ai des obligations, des contraintes, vous savez bien, le temps m’est compté.
Elle : Votre regard vert, vos fossettes, votre odeur, vos mots, vos phrases, ça vibre, ça tangue, ça chavire en moi, de la joie et de la souffrance, c’est.
Lui : Là, là, doucement, Madame, chère Madame, douce Madame, vous me faites là le plus doux des aveux, la plus tendre des confessions et vous aviez peur ?
Elle : Comment ne pas avoir peur, comment ne pas craindre le feu de votre regard, comment ne pas redouter votre effroi, votre tressaillement ?
Lui : Votre aveu pourrait-il m’effrayer quand vous m’avez témoigné tant de confiance, quand vous me dites ce qui vous touche et vous émeut ?
Elle : D’autres que vous ressentiraient de l’effroi, j’ai mis ma confiance entre vos mains, et plus encore, si seulement vous aviez idée .
Lui : Ce que vous ressentez, je pourrais bien en avoir idée, jamais vu cette lueur dans d’autres yeux que les vôtres auparavant.
Elle : Dès la première rencontre, dès que sur mon épaule votre main soudain s’est posée et que mes yeux dans les vôtres ont plongé.
Lui : Oui, dès la première fois, j’ai eu idée que je pourrais avoir sur vous une emprise, un pouvoir, et plus encore.
Elle : Depuis ce jour, je suis devenue celle qui attend, celle qui espère, celle qui doute et se relève à chaque fois.
Lui : La première fois, vous marchiez d’un pas si léger, dansant à côté de moi sur les pavés de la place.
Elle : Oui, ma façon à moi de refuser l’évidence, le poids dans le cœur, le coup dans les yeux, le ventre.
Lui : Je suis démuni, vaguement mal à l’aise, je ne sais comment m’y prendre, devant cet aveu.
Elle : Exactement pour ça que je ne voulais pas vous le faire, cet aveu, je sais ce qui.
Lui : Ce qui va se passer, ce que je vais dire ou faire, ou ne pas faire, ou ne pas dire.
Elle : Prévisible, oui, même vous, vous entre tous, vous allez vous taire, cesser d’écrire, de.
Lui : Pourquoi le ferai-je, donnez-moi une seule raison, pour que je coupe le lien ?
Elle : Parce que je vous embarrasse, je vous ennuie, je vous livre mes doutes, mes joies.
Lui : Vous ne m’ennuyez pas, au contraire, c’est moi qui suis ennuyé, puni.
Elle : S’il vous plaît non, ne jouez pas à cet étrange jeu, il me fait mal.
Lui : Reculez-vous un peu, voyez- vous quelque chose dans mon regard ?
Elle : Là, vraiment, non, dans le soleil, votre regard, vraiment trop vert.
Lui : Ne faites pas l’enfant, chère Madame, dites-moi plutôt, courage !
Elle : Je tremble au bord de l’indicible, donnez-moi vos mains.
Lui : En vous je vois la petite fille que vous étiez.
Elle : Vos mots, vos fossettes, votre regard, je m’y noie.
Lui : Prenez garde, je pourrais vous croire, je crois.
Elle : Vous voulez dire, vous croyez, peut-être.
Lui : Qu’il se pourrait que moi aussi.
Elle : Se pourrait-il, vous aussi.
Lui : Vos cheveux m’ont guidé.
Elle : La première rencontre.
Lui : J’y pense toujours.
Elle : Nuit et jour.
Lui : Sans cesse.
Elle : Oui.
Ils sont beaux vos textes Bridge, Quelle amoureuse vous faite ! Et il est vrai que ce texte qui se dessine, croissant décroissant, c'est très réussi.
· Il y a environ 13 ans ·angel-l
J'aime beaucoup la symétrie des phrases, de longueur croissance puis décroissante bravo!
· Il y a plus de 14 ans ·benhoguet