Rendez-vous en terre pas très inconnue

– NON, AUX CADENCES INFERNALES !!! NON, À L'EXPLOITATION !!!

– Qu'est-ce qui se passe, ici ? demanda le Père Noël à l'un des lutins.

– Nous sommes en grève !

– En grève ? Allons, donc ! Et pourquoi cela ?

– On en a marre d'être exploités et de subir des cadences infernales !

– Mais, vous êtes fait pour ça ! Allez, ça suffit ! Au travail !

– Non ! Nous reprendrons le travail que lorsque nous aurons obtenu ce que nous désirons ! Nous voulons que la fabrication des jouets se fasse sur l'année et non sur un mois et nous voulons une pause chocolat toutes les heures.

– Une pause chocolat toutes les heures ?! Puis, quoi encore ?

– Pas de pause, pas de jouets !

Les lutins du Père Noël tinrent bon leur piquet de grève. Notre bon gros bonhomme n'eut d'autre choix que de se débrouiller seul.

– Font chier, ces p'tits cons ! grommela-t-il en entrant dans l'écurie.

– Qu'est-ce qu'il t'arrive ? demanda Rodolf le renne.

– Noël est dans deux jours et les lutins sont en grève !

– Va dans un magasin de jouets, suggéra l'animal. Tu devrais y trouver ton bonheur.

Le Père Noël jugea l'idée bonne.

Il prépara le traîneau et se rendit dans une grande surface.

Après avoir tourné vingt minutes sur le parking afin de trouver une place, il parvint à caser son engin entre deux monospaces.

Une foule de gens entrait et sortait du magasin.

Une fois à l'intérieur, le Père Noël se dirigea vers le premier rayon.

Il observa consciencieusement chaque jouet, cherchant ceux qui se trouvaient sur les listes.

Il lisait les instructions d'une boîte, lorsqu'il se sentit poussé. Il se retourna et découvrit un jeune enfant.

– Pousse-toi, le gros ! fit l'enfant.

– Pardon ? s'étonna le Père Noël.

– Pousse-toi ! T'es gros et t'es moche !

Le Père Noël chercha du regard les heureux parents de cette charmante créature et aperçut la mère, à quelques mètres, miraculeusement absorbée par la lecture d'une étiquette.

Le vieil homme plissa les yeux, eut un léger sourire et demanda au gamin.

– Comment t'appelles-tu, mon grand ?

– Léo ! Et pousse-toi, t'es gros, t'es moche et tu pues !

– Joyeux Noël, mon petit Léo !

Le Père Noël prit la liste du garçonnet et avec un malin plaisir en effaça l'intégralité.

– P'tit con ! marmonna-t-il en s'éloignant.

Peu après, le Père Noël errait désespérément dans les rayons, à la recherche d'un cheval à bascule, en bois et de couleur rouge.

Il arpentait les travées, revenait sur ses pas et cherchait en vain. Il finit par trouver un homme avec un t-shirt fluo. Il s'approcha de lui et toussota pour attirer son attention. Voyant le peu de succès de cette technique, il s'adressa à l'homme :

– Excusez-moi… Pourriez-vous me dire où se trouvent les chevaux à bascule ?

– Ah ! C'est pas mon rayon !

L'homme s'éloigna d'un pas rapide, laissant le Père Noël dans le plus grand désarroi.

Le vieil homme se remit en route.

Après plusieurs minutes, il se retrouva dans le rayon des motos électriques.

Comme il regardait d'un air distrait les petits véhicules, un vendeur s'approcha spontanément de lui.

– Je vois que vous regardez la dernière moto ZX350 de chez Playsqual ! Une vraie merveille !

– Ah…, fit le Père Noël un peu dérouté par ces propos.

– Elle fonctionne sur batterie lithion, a une autonomie de huit heures et avec ses quatre vitesses et sa fonction BZ21 votre enfant conduira un vrai bolide ! En plus, en téléchargeant l'application « B-tramp » sur votre smartphone, vous pourrez toujours savoir où se trouve votre petit pilote, grâce au GPS InterDualcore 77 intégré dans la selle ! Alors ?

– Je suis très impressionné par tout ce que fait cette petite moto, répondit le Père Noël, mais moi, je cherche un cheval à bascule de couleur rouge. Vous avez ça ?

Le vendeur resta silencieux quelques secondes.

– Je vais voir en réserve… lâcha-t-il en s'éloignant.

Le Père Noël patienta de longues minutes avant de voir le vendeur revenir avec une grosse boîte dans les bras.

Il la posa lourdement aux pieds du vieil homme.

– C'est le dernier qui me reste, fit-il.

– Ah, bien ! Est-ce qu'il y a des roulettes, demanda le Père Noël, soucieux d'offrir ce qui se fait de mieux.

Le vendeur retourna la boîte en tous sens et trouva l'étiquette explicative.

– Il y a marqué : « cheval à bascule, bois, couleur rouge », finit-il par répondre.

– Ah ! Et quel genre de bois est-ce ?

– Il y a marqué : « cheval à bascule, bois, couleur rouge ».

– OK ! Il convient pour un enfant de quel âge ?

– Il y a marqué : « cheval à bascu… » Ah ! C'est à partir de deux ans !

– Très bien ! Je le prends !

Il suivit le vendeur jusqu'à un plot informatique.

L'homme tapota sur son clavier, puis finit par demander :

– Il me faut votre adresse, votre numéro de téléphone, votre numéro de sécurité sociale, votre carnet de santé pour savoir si vos vaccins sont à jour, vos trois dernières factures de gaz…

– Pourquoi vous voulez savoir tout ça ? s'étonna le Père Noël.

– C'est pour vous rentrer dans notre fichier.

– Mais, vous êtes du KGB, ou quoi ? En plus, j'ai pas de factures de gaz, c'est au bois chez moi !

– OK ! On fera juste avec votre adresse et votre numéro de téléphone alors, s'exaspéra le vendeur.

Une fois les formalités terminées et le cheval sous le bras, le Père Noël décida qu'il était temps de rentrer. Trois heures pour acheter un seul jouet, c'était trop. Il devait parler à ses gars…

De retour chez lui, il convoqua les lutins.

– OK, les mecs ! J'ai réfléchi et je suis prêt à faire un effort. Pour les cadences infernales, on ne pourra commencer que de l'année prochaine. Mais, si vous reprenez le travail immédiatement, vous avez le droit à une pause chocolat toutes les heures et j'offre les biscuits en prime. Mais, faut vous bouger, parce que Noël approche et y'a du boulot !

Un tonnerre d'applaudissements éclata.

Les lutins ravis d'avoir obtenu satisfaction se remirent au travail avec un regain d'énergie.

Le Père Noël regarda ce petit monde s'agiter en tous sens et repensa aux dernières heures qu'il venait de passer.

– Font vraiment chier, ces p'tits cons ! marmonna-t-il avant de regagner son fauteuil.