Repas de famille
blackfeather
C'est affreux, ça me donne la nausée, ça me tord les boyaux, me broie les viscères. C'est constant cette atmosphère noire de sentiments. Ce n'est pas la conception que je me faisais de la famille. Ils sont rares ces moments et pourtant ils sont plus pesants qu'une routine écrasante. C'est plein de rancœur, plein de mépris. Les conversations sont vides de sens et d'intérêt. Les mots s'évanouissent avant même qu'ils ne soient entendus. C'est égocentrique. Ça donne l'illusion d'un échange, l'illusion d'une entente. C'est diplomatique. Personne ne prend la peine de gratter la surface, bien que chacun aie beaucoup à partager, à raconter. Les rancunes et les souvenirs rendent les conversations hésitantes, ce, manquant de trébucher sur tel ou tel tabou familial. C'est pathétique. C'est un repas de famille.
Chacun arrive en groupe, car arriver seul c'est arriver désarmé. Chacun arrive en groupe car la famille n'est pas une famille, la famille est un ensemble de familles, la famille est un puzzle et le notre est éclaté, son concepteur s'est épuisé. Quelques fois j'ai l'impression qu'il a mélangé les pièces de deux puzzles différents. J'aime à espérer qu'il y a de l'amour, bien qu'il ne soit oppressé par la jalousie, l'envie, la culpabilité, le sexisme, le racisme, le sentiment d'infériorité, de supériorité, la gêne... De l'amour il y en a de mon côté alors même que les circonstances le rendent injustifié. S'ils venaient à le chercher ils le verraient et l'adoreraient. Mais cet élan d'affection je l'ai généreusement enveloppé dans le voile léger de la pudeur.
Si les discours sont proches du néant, les regards en disent long : "Je suis désolé(e)", "Je te demande pardon", "J'aimerais pouvoir te parler"... Ils disent toute l'incapacité de notre famille à se ressouder, non, à se souder. Pourquoi ? Par peur de ne pas assumer les conséquences, par peur d'aimer, par peur de découverte de l'autre, par peur de devoir aborder des tabous, de déterrer de mauvais souvenirs, par peur de la confrontation de nos opinions, par peur de prise de risques ? Après tant d'années : un ouvrage de longue haleine. Une magnifique perte de temps désopilante que personne ne bravera. C'est un équilibre exécrable que chacun semble tolérer deux à trois fois par an.
Les plus braves arboreront un sourire dissimulant toutes les gênes décelables. Ils amuseront la galerie en puisant, au plus profond d'eux, une énergie générée par l'espoir. Espoir qui deviendra de manière contagieuse, un moteur presque crédible chez chacun de nous, ceci le temps d'un repas. Repas à la fin duquel nous serons tous épuisés, non seulement parce que nous nous serions gavés de tout et de n'importe quoi dans l'idée de combler ce vide qui nous habite tous, mais également parce que nous aurions passer cet instant à imaginer ce que nous pourrions être, quels points communs pourrions nous avoir, quelle genre d'entente nous aurions en d'autres circonstances, quels moments nous pourrions partager...
Au final, tout rentrera dans l'ordre bancal qui existait à l'initial. Le repas de famille aura ravivé une étincelle d'espoir qui s'affaiblira jusqu'au nouveau repas.
Parfois on se demande où ça mène, tout ça ... Et puis un jour, on comprend tout : ça ne mène à rien. :) Je crois que c'est assez bien résumer le concept de famille, en réalité ... « Ca ne sert à rien, mais c'est tout ce qu'on a. Alors on le chérit et on essaie de limiter les dégâts. »
· Il y a plus de 10 ans ·briseis
"Quand, le cœur fatigué, nous serons las d’attendre
· Il y a plus de 10 ans ·Que notre volonté ait fini de se pendre
Au gibet de nos lâchetés"
Frédéric Clément
Je comprend complètement ce texte. Durant pratiquement tous les repas, je souris, et je dissimule ce que j'aimerais dire (pour ne pas blesser principalement). Je n'ai pas la force d'être celui qui contredirait ton texte ! J'adore !!! :) Merciiiiii
· Il y a plus de 10 ans ·+
ahrityr
Un texte réaliste bien qu'un peu triste. J'adore ton style par contre, fluide, précis, très agréable.
· Il y a plus de 10 ans ·Mélanie Courtois
C'est tellement vrai, tellement ce que j'ai pu vivre que je pourrais me rouler dans ce texte comme le boulanger dans sa farine.
· Il y a plus de 10 ans ·veronique8