REPLAY
Camille Arman
REPLAY, STOP, EJECT !
J’aime cette rock-star, des pieds aux cheveux, mais elle bouffe toutes mes nuits. J’en peux plus de la voir déchiqueter ma vie. Je hante tous les bars où elle brûle sa vie. Je déchire les affiches lisses sur les portes des abattoirs où elle se produit. Je colle mes lèvres sur ses lèvres de papier quand je m’ennuie. Je voulais trop la sentir, je voulais trop la serrer. J’ai pas pu résister.
J’ai pas tout compris. Je marchais dans les prés, à la poursuite de sa folie. Je crois bien que je l’ai rattrapée, un jour ou peut-être une nuit. Les hérissons sont rouges et les taureaux sont verts dans la lumière crue de mes yeux. J’égorge tout ce qui m’éclaire. Je ne veux pas voir Dieu en face qui me parle de ses salsifis. J’égorge tout ce qui ressemble à l’innocence pour ne pas qu’ils voient ce que ce monde immonde sacrifie.
Quand je vois ses yeux bleus comme un ruisseau de pluies amères, j’ai envie de les gober, de les sculpter dans du verre, de les sertir dans de la pierre. Précieuse comme son âme inviolée. J’ai envie de découper son corps pour qu’il ne prenne pas feu, pour que Lucifer ne salisse pas plus loin son doux visage sous ses antiques cieux pluvieux. Pour ne pas prolonger inutilement son enfer sur terre, pour que s’abrègent ses chants douloureux. Ses aïeux résonnent dans tous mes arpèges, je connais sa lignée par delà le seigneur de mes propres anneaux. J’ai mené les mêmes veaux par delà les montagnes vers les mêmes lacs d’eaux claires indomptables. Les papillons et les bergeronnettes me parlaient alors les yeux dans les yeux.
J’ai ses tripes dans mon ventre, j’ai son cœur dans mon cerveau. Je connais tous les cortèges de tous ses animaux. Je relève tous ses pièges, collets après collets. Je lève tous ses lièvres et il faut bien dire qu’ils sont très beaux. Il dit qu’il n’aime que la musique. Il dit qu’il a tué ses chevaux. Il dit que le monde était magique avant les hommes-peaux. Il dit qu’il faut boire, boire jusqu’au désespoir parce que c’est dans le désespoir que se fabriquent les plus beaux tempos.
Je ne suis pas complètement d’accord : j’ai un merle noir posé sur ma balançoire qui délivre chaque matin son chant le plus beau. Il a pas l’air d’avoir le cafard, mon merle noir. Il se prend pas pour un corbeau. Mais pas non plus pour un têtard. D’ailleurs il se lève trop tard pour se prendre au mot. Il se prend pas pour un aigle non plus. Personne n’y aurait cru. Il n’a besoin ni de robe noire ni de trac ni de lac. Il n’est ni majeur ni endormi. Il est bien réveillé, alerte, sur ses quatre pattes. Il va piano, piano sa vie. De trilles en treilles. De veilles en fruits. Guilleret, guilleri comme le compère Karabi. Il est pas trituré des neurones. Pas parano, lui.
Pas comme celui dont je vous cause. Pas comme celui dont je défends la cause et qui s’en fout comme de l’an quarante six.
Il dit qu’il ne faut plus rien croire, même pas ce qu’il dit, même pas lui. Surtout pas lui.
D’ailleurs c’est qui « lui » ? Une idole superfétatoire, une hyperbole larguée qui dégueule sa folie sur des foules qui n’ont plus la force de hurler, de battre des pieds. Juste bonnes à acheter des surgelés aux supermarchés des « Cequiseditcequisefait ». Viens poupée, je t’achète ton paradis entre deux dentifrices et deux contrats pour tes obsèques aux Canaries. Viens poupée, que je te baise avant qu’on pèse ton poids de plaisir sur les tablettes du déficit de produit orgasmique brut. Viens poupée, avant que je t’achète une alaise pour femme balaise en rut au Superhut.
Qu’il parle à son képi ou à son cochon Jerry, il dit qu’il ira pas au paradis, qu’il a pas envie de s’emmerder longtemps ici, dans ce pays sans mystères, tout rétréci. Il dit qu’il préfère les guerres, les corsaires et la Polynésie. Il dit que les troubadours n’ont plus de vers depuis longtemps. Que même le printemps n’inspire plus leur poésie, que le monde de la tune a tout envahi. Il dit que c’est la fin d’un cycle et d’un règne et qu’il faut accélérer le processus de destruction interne afin que la bête meure. Puisqu’elle a gagné même son cœur et ronge son sang comme une teigne, heure après heure.
Comme une pieuvre sans duègne, masque sans peigne, elle étouffe tout geste créateur, tout élan intègre, tout acte libérateur d’ennui et de crédit. Elle ne désire que le conforme et le sans saveur. Elle vomit quotidiennement des gimmicks basiques censés déclencher les appétits de consommateurs abâtardis. Elle paye des robots sans cerveau une poignée de dettes pour alpaguer ces millions de cibles fatiguées de vivre. Elle leur distille du reggae pas frais, de la romance rance et du vieux tube post acnéique, recyclé sur des platines atroces que même une nuit de noce banlieusarde sur fond de Tonton malade et banane meringuée, avec Tata Yoyo et Danse des Canards en prime time, refuserait. A dégueuler.
Appâtés par l’oseille engrangée, les robots s’entretuent à coups de « Vieille charogne, t’auras pas mon plan cul aux Champs Elysées! » Ou plus vexant, pour les photos volées qu’on peut monnayer des sommes folles à Doser ou Voimi et la réputation de winner qu’elles distillent sur le public qui en a le tournis : « Pour tes vacances à Saint Barth cet été, tu peux toujours te brosser ! » Le plus souvent, ils finissent écartelés au fond d’une piscine, permanentés et manucurés, un poudrier entre les dents. Ils n’ont même pas touché à leur argent.
C’est du boulot d’amateur un peu rapide, j’avoue, c’est vrai, mais assez bien fait dans les grandes lignes. Oh juste parfois la carotide, c’est pas parfait, ça dégueule encore son jus pas frais. Manque de courage, peur du Sacré à la dernière foulée. Juste à la fin de l’envoi pas touché, pas tranché net le fil ! Eh, ouais, tout le monde n’est pas doué. Mais ça m’évite de prendre sur mes heures, j’ai un timing de base assez serré. Et qu’ils se butent entre eux, ça me plait assez !
La pieuvre a chassé l’amour de son lit. Il me l’a dit, il me l’a dit. Il était beau l’amour, elle était douce la reine. Mais Il est parti battre tambour sur les terres arides de l’acide et du métal heavy. Elle l’a suivi ce gros lourd, vêtu de reptiles en satin, comme s’il était Hamelin, le magicien. Pourtant les sons du fifrelin faisaient grincer toutes les poutres du pays voisin. Ses hurlements de Wisigoth sourd ébranlaient tous les parpaings de la tour des bons samaritains. La boue de ses bottes de sept lieues a mis le feu à mes tambours. A rutilé mes acouphènes jusqu’à son carrefour. Morne plaine. Pour ta peine, pas de tambour.
D’avoir pendu à une poterne moderne ce malfrat braqueur de belle et l’avoir fendu de part en part, n’a pas déshabillé la haine, la rancœur de son cœur. Depuis ce fatal soir picard, il boit de plus belle des kyrielles de douleur, mon chanteur, mon chasseur d’erreurs.
Il rentre de sa tournée d’adieu une valise ensanglantée à la main. Il déchire l’air poisseux des faux lendemains. Il a dépecé belettes et petits lapins. Que leur âme innocente aille voler plus loin que ces pauvres sentes où s’épuise leur destin. Il a croisé des vieilles, leur a piqué leurs sacs à mains. Les tuer aurait pris trop de temps et de chagrin pour rien. Et puis, il ne tue que les choses belles, les hirondelles, les parchemins. Pas les vipères et leur venin.
Elles, il les laisse s’éteindre dans la fange de leur purin. Il les laisse vibrer de toutes leurs dernières rides sur des restes liquides de Mike Brandt ou de Tino Rossi. Ca leur rappelle les vagues heures du temps jadis où elles étaient, sinon galantes et fraîches, du moins consommables selon les critères de l’Insensé, pour les gars un peu bourrés qui ne voulaient pas y mettre trop le prix. Leur saison de floraison n’a pas duré plus de quatre étés. Eclosion, temps d’exposition et date de péremption compris. Elles croupissent maintenant dans leur graisse en jouant au Monopoly sur un tire-fesse en alpaga gris. Elles font leurs courses en taxi, histoire de humer encore un peu de leur groin humide un de ces sales mâles qui les a fuies.
Pour ces brutes épaisses, à la silhouette hommasse que tout rabaisse comme une Smart, mieux vaut une mort lente, une agonie d’escargot sans duo avec le Maestro Suprême. Il en serait blême, même lui, qui a soit disant tout embrassé, tout compris, même le pire de la crème quand elle a ranci à Drancy. Non, pour ces faces de rates femelles, juste un face à face avec le mur gris de salpêtre de leur cagibi. Inanité de toute une vie.
Mur décrépi, télé en fond sonore sur MacGyvor. Au fin fond d’une impasse taille basse, chaumière au jus de poireau pas blanchi. Cuisine austère, gazinière « Y fait pas chaud par ici ! ». Relents de choux farcis, façon Bocuse en solde à petits prix. Photo du promis ou du beau-frère sur le buffet Louis Deux de Bavière, que les termites bouffent entre deux kebabs partys. Chemises en pilou, à croire qu’elles commandent toutes la même dans le catalogue des trois belges et de leurs maris. Dentiers usés dans verres jaunâtres. Fausses dents, faux appétits saumâtres. Vies en dégriffé, en hâchis de confettis.
Face outrageusement maquillée, offerte sur d’inutiles appétits. Bouche édentée, ouverte, pour la première et la dernière fois, sur l’infini. Strangulée sous le crucifix, juste avant le tir au penalty de Beckham ou la victoire au tour d’Espagne de Mario Cipollini. Juste après le nettoyage des mains et des rideaux. Ca gicle parfois un peu trop haut, une cervelle de moineau. Alors, remettre un peu de décibels autour de Télé foot. Reluquer au passage une nouvelle pompom girl plastifiée qui glougloute ses « yo » dans un hangar pas frais, entourée de types breloqués et musclés, qui la retournent de tous côtés. Pas trop l’air de la perturber. Elle, elle continue à chanter, comme sur la passerelle de ce paquebot qui coulait, coulait… Merde, c’était quoi le nom ? C’était pourtant beau ce film avec Di Caprio, purée, mais son titre m’a toujours échappé. Comme une fin que je voudrais pas capter...
Ils ont visiblement tous oublié Marley, les frérots de la gazelle emperlousée, et ça dure depuis un paquet d’années ! Depuis leur détour pas trop glamour par la panaméenne society. Pas sûr qu’ils sachent qu’il ait un jour articulé autre chose que « Freedom » sur un tee-shirt délavé, le Bob. Remarque, c’est pas si important, les paroles dans le reggae… L’important c’est de se balancer. En se collant si possible, fin de soirée en tournée…
Ah ouais parce qu’il faut que je te dise, je suis chauffeur, chauffeur de car, pas de salle, mais non, connard ! Je t’aime bien, mais parfois tu pars en live, quelque chose de bien !
Conducteur ouais, meneur de tournée, commandeur de frégates, batelier. Oui c’est vrai que je me tape aussi les merdes, les salissures d’après décollages, les pleurs, les erreurs de carrefour. C’est pas toujours la grande classe, les vedettes du show bizz. C’est souvent plus lourd qu’à Leader Prince ou Intercaillou. Ca nous prend souvent pour des larbins ou de vagues copains. Pour les mecs, c’est clair, une biture ensemble, je vais pas plus loin. Mais pour les filles, c’est plus compliqué de résister, surtout qu’elles sont souvent vachement bien gaulées !
Alors, elles me le font style rimmel qui coule : j'suis pas belle, j’suis pas belle et en plus, j’suis saoule. Alors, moi l’mec gentil, j’leur dis : mais qu’est-ce que t’es belle, qu’est-ce que t’es belle, mais ça m’saoule. Elles parlent, elles pleurent, elles reniflent. Alors, je leur tends le paquet de mouchoirs, j’en ai tout un réservoir à côté du compteur. Parfois elles s’empiffrent de pâte à tartiner, même que j’en ai plus pour mon p’tit déjeuner…Puis elles s’font vomir dans les toilettes. Sous prétexte qui faut pas qu’elles prennent trop de lard. C’est mauvais pour leur image, leur auditoire. Moi je les trouve à mon goût, même un peu mincettes, mais j’suis pas dans leur répertoire…
Elles me racontent leur Trafalgar. Avec un luxe de détails superfétatoires. Même que parfois je pleure à leurs conneries, c’est pas dans le contrat, c’est pas permis ! Y m’arrive de me prendre un pain dans la tronche ou dans le ventre quand leur mec est trop taré et qu’il arrive au débotté, s’imaginant tout un ciné. Alors, une fois qu’il est bien rassuré, bien mamouré, bien chouchouté, qu’il est retourné bosser ou draguer quelques nouvelles danseuses en barboteuses, elles arrangent le coup en me scotchant un gros baiser sur la joue, en me glissant des billets gratos pour mes parents, mes amis, mes voisins, mes relations, mes connaissances d’armée, mes frères et sœurs aînés. Elles en ont toujours une liasse de prête dans leur sac en imitation lézard, on ne sait jamais.
Elles savent pas que j’ai envoyé pisser ma famille depuis des années. Frangins, frangines et toute leur destinée. Depuis que j’ai décidé de me barrer de ce monde de fou et de tracer ma route, comme l’autre écrivain anglais, ou américain, j’sais plus et je m’en fous, en tout cas un mec qui allait loin sur les routes en se saoulant et draguant des poupées. C’est pas la belle vie ça ! Bien mieux que d’aller pointer tous les jours à l’usine comme mon copain André, qui finit pas d’payer ses cent mètres carrés avec vue longue durée sur terrain vague et piscine gonflable intégrée, à rembourser sur trente années, que si tu crèves au milieu ou à côté, t’as vraiment pas d’pot… Remarque, comme ça tu vois pas les fissures de ta façade et les lézardes sur le visage de ta rombière, ça vaut p’tête mieux !
Je suis le genre de mec auquel on dit tout une nuit et qu’on largue le lendemain matin: oublié le «mon bichon, mon petit lapin » ! Alors, les soirs de vague à l’âme, j’me rabats sur les fans, elles, elles se foutent de ton look, du moment que tu as approché la star, t’es déjà en platine, du sol jusqu’aux clémentines, je te jure ! Et j’te dis pas tout !
Quelquefois je m’en égorge une, histoire de garder la main. Je choisis toujours celle qui m’aime un peu plus que les autres. Une qui va un peu plus loin que le premier soir, et tout le baratin. Et qui veut des enfants. Une blonde de préférence. Je préfère les brunes mais les blondes ont parfois de ces éclats de douceur dans la voix, des restes d’anges, moi j’vous l'dis. Des restes de paradis. Et comme elles parlent tout le temps, souvent, je pourrais bien m’y croire, au paradis. Mais si je me laisse aller, elles pensent que c’est banco, qu’elles m’ont ferré ! Alors là, c’est Waterloo, parce que oui, tout le monde le dit, la Belle au Bois Dormant, après le baiser, elle veut des enfants, plein d’enfants, de marmots. Des bleus des roses et des violets, plein de petits parfaits…
Et moi je n’en veux pas d’enfants. Les enfants, c’est effrayant. Je déteste les enfants, c’est trop lumineux, ça a carrément de l’or dans les cheveux, ça a le don de me filer un de ces cafards ! Enfin, surtout au début, quand ils te regardent avec leurs grands yeux, y peuvent pas venir sur terre, y se les crèveraient, les yeux, tellement y’a de douleurs à voir !
Elle peut pas faire ça… mais si, elle peut, la demoiselle, pire : elle veut. Surpeupler la planète avec plein de petits princes blonds qui ont de l’or dans les cheveux. Dès fois, elle gémit tant, la pucelle, que je l’aime un peu. Même que je me laisse prendre au jeu, moi qui suis déjà assez vieux. Je l’assois sur le réservoir, je lui brosse les cheveux. J’adore ça brosser les cheveux des femmes ! Parfois je lui dégage la nuque, lui suggérant un chignon, c’est joli un chignon, c’est élégant, ça fait hôtesse de l’air… Si j’étais femme, j’aurais été une hôtesse de l’air. Toujours rêvé d’avoir les fesses en l’air comme y dit le mari d’Hardy, mais elle me répond toujours : « Non, non, non !!! ». Pourquoi je tombe toujours sur des poupées qui disent non au chignon ?
Alors j’évite la dispute je lui mets Tanita Ti Karam et le Grand Danube Bleu d’André, enfin l’autre, pas l’usé, le bouclé sponsorisé pour mamies en veine de grand retour, celui qui a réussi dans la divine comédie. Je l’emmène dans les restos routiers. On fait l’amour sur les couchettes de mon gros pépère, en début d’aprèm, quand ils sont tous levés, lavés, ont bu leur crème et partent en répètes pour le spectacle de la soirée. Faut bien que je ramasse et jette quelques cannettes, quelques ustensiles usagés. Pas la peine qu’elle voie qu’ils sont parfois bien allumés, les tôliers, ces stars qu’on lui vend clean et maquillées sur papier glacé. Même si je vais bientôt la tuer, faut un peu de respect. Je ne peux pas tuer les demoiselles sur des poubelles. Il faut que les draps soient propres et bien tirés. Quand je suis inspiré et bien luné, je lui brûle même de l’encens, lui installe les bougies en veillant à ce qu’elles ne dégoulinent pas trop sur le tapis, le service après-vente n’étant pas garanti, et lui masse délicatement les pieds, ma petite poupée... Elle est si calme, si douce, si confiante. Faut pas qu’elle ait peur. Pas une seule seconde, pas un quart de centième, je ne me le pardonnerais jamais. Faut qu’elle meure dans le grandiose et le beau. Faut surtout pas qu’elle ait froid.
Alors au sommet de l’extase, je suspends les vibratos en un arrêt triphasé du style Mano Solo. Ou Manu Chao, ça dépend de l’éclairage. Quand c’est plus sombre ou que c’est lundi, ou que j’ai mal aux pieds, je mets le premier. Quand j’ai envie de me tirer en Argentine, au Brésil, voire à Cuba, partout où ça danse et frétille des bas des reins jusqu’au-delà, partout où ça se fout du froid, partout où ça éclate de rayons en plein minuit, partout où je peux voir une île dans le rétroviseur, je me la joue Clandestino ou Me gustas tu. D’ailleurs, elle me gustas beaucoup, ma blonde au long cou. Oui, chacun a sa préférence, sa défaillance, chez moi, c’est le cou.
J’aime les cous des belles femmes, c’est là que se niche leur âme. J’aime cette fragilité, ce lien de liane entre la forme et la flamme, là où se niche la voix. La ruche où elle vibre. L’avenue où elle bat. Alors je serre fort, si fort. Je brise la colombe pour qu’elle ne meure pas. Je lui retiens les ailes. Je la délivre de la tombe, de la morsure du temps cruel, de la vie qui nous broie. De l’irréductible effroi.
Lui, je l’ai croisé un soir alors que je rentrai chez moi, dans ma camionnette bleue, celle qui me sert après les concerts pour mes pauses, mes rêves en bleus. Cheveux tristes, air troublé. Jean taché, rayures d’herbes glanées. Chemise anciennement blanche, vaguement trouée. Dans sa main droite, un reste de guitare qui avait trop joué. Sur sa tête, un morne chapeau à plume qui ne le protégeait plus de rien. Il avait l’air fatigué d’un indien qui a perdu sa tribu. L’air désabusé d’un voyant qui avait trop vu, trop entendu. De filles, de chansons, de mots roses. De trahisons, d’illusions et toutes sortes de choses…Toutes ces choses noires qui fileraient le cafard à un troupeau d’éléphants roses Toutes ces choses humaines pas belles à voir. Il avait l’air malade. Je crois bien qu’il avait un peu froid. Mais je ne dis rien. On se reniflait comme deux vieux chiens qui ont connu trop d’embuscades et qui n’ont plus peur de rien. Sauf, quelquefois, de leur ombre, sur quelques rares chemins.
Sans formules de politesse exquise ni allégresse, il me demanda si dans mon Arche, il restait, sauvés du naufrage, un peu d’eau et de pain. Comme je n’avais ni l’un ni l’autre sous la main, il me dit : « C’est pas grave, c’est même très bien ». J’adorais son ironie et m’attendais à un miracle mais cette fois-ci, il ne me la joua pas Jésus-Christ, même s’il en avait la tronche et la couronne, il ne dressa pas la table et multiplia rien de rien. Je devais pas être assez bien. Au dessous d’un certain public, je savais qu’il donnait plus rien.
Il me raconta sa vie, du moins ce qu’il en croyait, qu’il avait buté des sosies de Capdevielle qui s’étaient trompés de routes sur le chemin de l’autoroute. Il jeta en ricanant de son rire de gorge, si plein de sève, si grave, qui peut devenir huant quand il perd le contrôle de ses neurones, qu’ils avaient enfin vu le prix qu’ça coûte de tromper son monde en plein désert. Il avait tenté la même escapade avec des sosies de Johnny, qu’attendaient plus depuis longtemps que reviennent la nuit, mais ils étaient trop pourris, qu’y disait, ils s’électrocutaient eux-mêmes sur les restes de leur rock dégarni. Il a fait un dernier essai sur un sosie de Souchon mais là ça lui a semblé vraiment trop bidon, il touchait le fond. Il fallait qu’il avance, c’était une évidence. Il avait plus assez d’essence pour retourner chez maman bobo. Il se zigouillerait bien un jour, s’il le faut.
Il était jamais tendre avec la connerie, c’est ce que j’aimais en lui. En plus de tous ses dons, qu’il gâchait allègrement depuis une certaine rouge nuit dans une auberge blanche à l’ombre d’une rousse amère en plein minuit.
Je crois que c’est ce qu’il détestait le plus en lui. Ce personnage de colères et d’emportements qui lui bouffait la rate et le foie. A défaut de filer la laine, il tissait la haine hautaine de soi. Comme un chasseur reclus derrière son gibier, un roi déchu, un guerrier revenu désarmé des armées. Il pratiquait cet art premier, comme un geste venu des cavernes, plus loin que la caresse des claviers. Comme au temps des hommes nus et des filles non mariées. Ce médusé de beauté, cet abusé de revolver, ce déchiré de liberté ne savait plus que gueuler contre le monde entier. Il en avait fait son étendard, sa fierté, mais maintenant cette carapace lui pesait. Le molosse avait pris le pouvoir et il n’arrivait plus à rééquilibrer. Même sur sa Fender Stratocaster, à la fin, il dégoulinait de cafard.
A défaut de pouvoir encore pleurer, ce chien battu sans collier tuait au lieu d’aimer. A un moment j’ai cru qu’il parlait de moi. A un moment j’ai cru que je parlais tout bas. C’est alors qu’il s’est endormi, que je me suis réveillé. Ou alors c’est l’inverse, je ne me rappelle plus, vous savez, je ne me rappelle pas. L’identité et moi c’est un combat… Sauf que je n’ai plus rien vu que ses sabots de bois, un peu de paille rosée et sa guitare devant moi.
Un chemin de halage écrasé de sueur, quelque part avant l’heure, canal du midi. Quand le commissaire arriva sur les lieux, il trouva un cadavre sans tête au fond de la camionnette bleue. Sur la porte arrière grande ouverte était écrit, lettres noires sur fond blanc d’éclaircie, « Dont touch me or you die » avec, peinte dessous cette gentille métaphore, une tête de mort en quadrichromie.
Dans ce monastère toscan ou espagnol, oh, je ne sais plus bien où je suis, qui je suis, j’ai pris tant de lacets, tant de chemins. Et de dérives en déroutes, j’ai compris que là où je vis, désormais, c’est là où je suis bien. Je me fous des longitudes des latitudes, des méridiens, je sais seulement qu’il y fait doux et chaud comme dans le ventre d’une mère où glissent tous les oripeaux de tous les faux frères des basses besognes, des sales orgues, allegretto fortissimo.
Champs de vignes et coteaux d’argent, le soleil semble avoir choisi définitivement son camp. Fin du parcours du combattant. Au milieu de ces moines errants, calmes confrères sans adultères, au demeurant. Plus de discours, contours vicieux ni commentaires. Rien que du rudimentaire, du salutaire, de l’éphémère, je veux finir ici ma vie. Poser mes neurones en poussière entre deux écrans de verre, lumière couleur Italie. Vivre entouré de Mozart et Puccini. Même si je ne les ai jamais écoutés dans l’autre vie.
Couper le bois, nourrir les rares chats. Dormir sur la paillasse, travailler au jardin, pétrir le pain commun. Me lever à cinq heures chaque matin, alors que c’était l’heure où je finissais d’ordinaire mes nuits, dans l’ancienne vie, putain ! Porter les sandales et la robe de bure, comme au temps des convertis. Ces amis du silence le plus pur, celui que rien ne travestit. Monter les marches vives de mon destin, les pieds meurtris par mes chagrins, mes crimes et délits. Les laver de mes larmes, je pourrais y passer mes nuits. Arpenter des heures lentes, vivre au ralenti. N’écouter que les vibrations de la lumière sur la pierre sèche qui luit. Désaltérer ma soif d’infini, purger mes doutes et mes peines, sortir enfin de la déroute où ton amour m’a mis.
Le dernier flic à ma poursuite repose en paix sous le prunier qui reverdit en ce printemps tenace. Le premier que n’embrassent pas tes yeux de feu, mon tendre ami. J’ai dispersé les cendres de ses confrères et néanmoins ennemis au gré de mes chemins de halage et de hasard, tout au long de cette errance, ce parcours, qui me dura dix ans et sept jours. J’ai à chaque fois pris soin d’ôter le cœur de leur poitrail. Précaution certes inutile car, le plus souvent, ils n’en avaient jamais. Juste un petit truc en papier mâché. Pas de quoi me perturber. Tout pour te rassurer. Leur sinistre personnalité, tu l’avais depuis longtemps mise à jour, mon éventail à voix lactée.
J’ai écorché en passant quelques ennuyeuses redingotes pâles, quelques patrons de RG, quelques petits comptables gris, trésoriers en Guadeloupe, Tous ces gens respectables et promouvables qui se mêlaient d’un peu trop près de mes dossiers. Un tournevis dans la carlingue, un flingue pas trop cabossé, quelques mignonnes bien balancées et les cons se font toujours avoir, surtout si t’as le temps dans ton peignoir, prêt à dégainer.
Ta tête, ta délicieuse tête, celle qui te causa tant de soucis, me créa tant d’insomnies et tant d’enchantements, repose dans le tombeau du moine qui fonda l’abbaye. Dans une fraîche crypte, sous la voûte romane, celle que tu aimais tant visiter petit. Pas de stricts cordeaux, pas d’alarmes intempestives. Les vœux de sobriété et d’humilité de la stricte confrérie ont été respectés. Il y a peu de chance que tu t’enfuies. Il y a peu de chance que je t’oublie. Je prie pour le repos de ton âme, chaque nuit.
Que je sois chauffeur ou chanteur n’a plus trop de sens pour moi, j’ai vécu tant de vies à la fois.
Merci Alain ! Et...Respect !
· Il y a plus de 11 ans ·Camille Arman
Dès la première phrase tu m'as accroché sans me laisser tomber. CDC et ai voté. Un autre texte très fort qui s'ajoute au concours..
· Il y a plus de 11 ans ·Alain Le Clerc