Retour au calme
petisaintleu
Ils sortirent, effarés. Dépharés serait plus juste, tant ils étaient éteints. Le soleil de mai ne suffit pas à les réchauffer. Le confinement avait refroidi leur cœur et ils ne se sentaient plus à renouer avec les relations humaines des open scapes.
Les moins exsangues, ceux qui avaient pu économiser avant la crise, décidèrent de s'aventurer vers l'inconnu en éclaireurs. À y réfléchir, il n'était pas plus incertain que de reprendre une activité salariée. Ils avaient durant deux mois expérimenté l'existence dénuée de ce qu'elle a de plus compliquée. Ceux qui ne s'étaient pas entredéchirés avaient pris goût aux relations nucléaires. Les plus anciens se souvenaient des soirées sans internet, avec les trois chaînes en noir-et-blanc et les partie de 1000 bornes ou de Scrabble.
Ils réalisèrent qu'ils avaient été dupés par les robots ménagers qui promettaient de nous libérer des contraintes. En réalité, ils avaient largement contribué à rendre leur quotidien mécanique et artificiel. Ils prirent la tangente, privilégiant les départementales. Malgré la fraîcheur matinale, les enfants riaient à gorge déployée, toutes vitres ouvertes. Les plus urbains découvrirent des sensations jusqu'alors périphériques à leur environnement cloîtré.
Quand ils débarquèrent dans les campagnes, ils firent profil bas. Durant leur enfermement, ils avaient ressorti des boîtes à chaussures les photos défraîchies. Ils s'émurent de la vie des simples, d'un oncle ferronnier, d'une lointaine cousine qui vendait ses fromages de brebis sur les marchés. Ils retrouvèrent des figures familières, en plus souriantes et en plus altières.
Ils durent montrer patte blanche. Pour s'assurer qu'ils fissent amende honorable, on les couronna d'une nouvelle quatorzaine. Ils en sortirent vierges de toute trace du passé qui eut contaminé les villageois de leurs mauvaises habitudes. Pour marquer l'événement, ils eurent droit à un bizutage en règle. Dans les terroirs, on avait conservé le goût pour la convivialité. Ils surent, à coups de tapes dans le dos à en décoller les poumons, de cochonnailles et de tord-boyaux les intégrer.
Pour que les déserts fleurissent, quelques gouttes suffisent. Petit à petit, on ressentit l'effet du ruissèlement. Les citadins firent définitivement tomber les barrières en apportant de la prospérité que l'on avait pas connue depuis l'époque des comices et des grandes foires agricoles départementales. Dans les vergers, dans les champs, dans les prairies, il suffisait de se pencher pour récolter les fruits du bon sens. Qu'importe que les supermarchés finissent en friches ? On les transforma en terrains de maraîchage. Les anciens employés furent les premiers à se consacrer à faire pousser des légumes qui les remercièrent de ne plus à voyager en wagons plombés. La terre sut s'en montrer reconnaissante. Jamais on n'avait vu sortir du sol tant de prodiges.
On redevint riche de sa pauvreté. Ce nivellement par le bas mit à jour tout ce que l'humanité avait de meilleur. Sous la coupe de l'humilité retrouvée, les anciens bourgeois se montrèrent d'une étonnante générosité. Ils firent don de leur corps et ils ne rechignèrent pas à devenir ampoulés quand ils devinrent bêcheurs.
Après dix année à ce rythme mesuré, Paris avait perdu près de la moitié de ses habitants. Les angoisses de la décroissante ne seraient bientôt plus qu'un lointain souvenir. Qu'importe le matériel qui parfois manquait. On avait retrouvé le goût de la solidarité. Les médecins de famille reprirent possession des foyers. Dans les cafés, la belote et la vinasse revinrent en force. Chaque village vit réapparaître sa boulangerie, son épicerie et sa cohorte de potins qui étaient bien plus anodins que les fake news des temps d'avant.
Comme me le disait ma grand-mère, ce n'est pas la petite bête qui va manger la grosse. Nous n'en sommes pas passés loin. Mais, finalement, cet épisode a alimenté de nouvelles espérances.
Quand reviendra le temps du lèche vitrine dans les galeries marchandes ? J’en salive par avance :o))
· Il y a plus de 4 ans ·Hervé Lénervé
Une bien belle leçon de vie...puisse t-on en tirer les enseignements...on peut toujours rêver :)
· Il y a plus de 4 ans ·marielesmots
Oui, quel que soit notre âge. ;-)
· Il y a plus de 4 ans ·petisaintleu
Heureux de vous relire. J'aime la poésie qui se dégage de votre texte et bien sûr son message. mention spéciale pour cette petite phrase qui résume le tout. "On redevint riche de sa pauvreté"
· Il y a plus de 4 ans ·Bryan V
Merci Bryan. Je crains malheureusement que ce ne soit qu'un épisode lié au temps libre que me laisse le confinement.
· Il y a plus de 4 ans ·petisaintleu
Les fruits du bon sens !!! Un renouveau !!
· Il y a plus de 4 ans ·Louve