Retour aux origines

mary-morgan

Mes valises sont prêtes.  Je décide de partir aussitôt, ressens un peu d’appréhension et fronce légèrement les sourcils.  Cette fébrilité ne me ressemble pas. J’ai, en effet, l’habitude  des voyages.  La nouveauté réside dans le fait suivant : Je pars sans laisser d’adresse.  Çela ne m’était plus arrivé depuis très longtemps.  A 37 ans et des poussières,  j’ai le cœur un peu trop lourd et j’en suis gênée.  Il parait que c’est normal : Un cœur brisé peut devenir encombrant si sa musique est déréglée.  Il bat un peu trop fort puis un peu trop lentement selon des rythmes irréguliers qu’il peine à tenir, ne voit pas le bout, avance, courageux funambule, sur une corde raide et, jongle comme il peut avec la fatigue.  Cet état de fait ne pouvait plus, ne devait plus durer.  J’ai donc pris ma décision : Partir.  Il m’en coute… 

Je me rebelle. Moi, Layal, domptée pour tolérer tous les écarts de mon mari, j’en ai marre.  Pourtant, j’aime Mazen et des mots tels qu’usure du couple, routine et faiblesses passagères me viennent à l’esprit.  Je me sens fléchir.  Cela ne dure qu’un instant.  Une bouffée de fierté m’envahit et je rabats le caquet à toutes ces pensées parasites en bouclant d’un coup sec ma petite valise.  J’éteins mon portable.  Je me donne un week-end pour faire le point et peut-être même prendre une décision.  Ma destination ? Le pays qui m’a vu naitre.

L’aéroport du Caire, tout en granit gris, est glacial,  Heureusement que la bonne humeur des Egyptiens réchauffe ce décor trop imposant.  Depuis ma dernière visite, je ressens pourtant, une différence. Les gens sont moins placides et encore plus volubiles qu’à l’accoutumée.  Entretemps, un évènement majeur s’est produit.  Le printemps arabe est passé par là et la politique a envahi les esprits.  Le vent du changement a suscité des espoirs fous et causé des désillusions amères.  Une fois à l’air libre, je trouve un taxi et lui communique l’adresse de l’hôtel où je descends. Le conducteur, aux grosses moustaches, est sympa.  Il amorce le dialogue, me demande ce que je pense de la situation en Egypte.  Je dis la vérité : Je suis déçue.  Il l’est tout autant et s’en explique : L’ancien régime corrompu de Moubarak renversé, les Egyptiens ont repris espoir et élu un nouveau gouvernement : Celui des  frères musulmans.  Ces derniers se sont accaparés le pouvoir et n’ont pas tenu leurs promesses.  De plus, ils tiennent un double langage : Ils promettent de protéger le tourisme et mettent en place des choses qui le feraient fuir.  Le chauffeur de taxi hausse les épaules, me dit que les prix flambent et qu’il ne voit pas de changement dans son quotidien. 

Cinq minutes après, nous longeons  la place « Tahrir », devenue célèbre.  Il y a du monde et dans ma tête défilent les premiers moments de la révolte.  Je revois la ténacité de la foule, les hourras de la victoire.  Je pense aussi à ces jeunes femmes dénudées de force.  Leur crime ? Demander une société juste, laïque et respectueuse des droits de ses citoyens.  La liberté est, pour certains, un crime dans le monde arabe.   Le taxi me dépose devant mon hôtel.  Il surplombe la source de vie de l’Egypte : Le Nil aux eaux troubles parcourues de fines veinules.

Le lendemain matin, j’apprends par le journal qu’une jeune Egyptienne « Aliaa El Mahdi » pose nue devant l’objectif et demande aux hommes de se photographier voilés. Aliaa a peur que le printemps arabe ne se mue en un long hiver glacial.  Aliaa risque sa vie.  Son courage me sidère.   Une heure plus tard, je sors et me fais conduire au vieux souk des joailliers. C’est là parmi les volutes de thé et de narguilé que je tombe sur un groupe de rap arabe : Deux garçons et une fille. Ils reprennent à leur façon une chanson de « Chadia » qui chante si bien la liberté.   Prise d’une impulsion soudaine, j’allume mon portable.  Il ne tarde pas à sonner.  A l’autre bout du fil, mon mari est inquiet.  Je luis dis fermement que tout est fini et coupe court à la communication.  Je sais que je perds mon travail, mon confort et mon couple mais je m’en fous.  Je suis en paix avec moi-même.  Je rejoins un peu Aliaa El Mahdi, les jeunes qui rêvent d’un avenir meilleur ainsi que tous ceux qui ont péri ou risqué leur vie.  Mon pays évolue et crie son besoin d’indépendance et cette révolution passe aussi par les mœurs.  Et moi, je suis une vraie Egyptienne : Authentique et courageuse.

  • Merci pour ton commentaire angemarina. J'ai bien été en Egypte mais la nouvelle n'est pas autobiographique(je l'ai inventee pour les besoins du concours Transfuges). En tout cas , je suis contente que tu aies aimé et j'essaierai d'écrire une suite!

    · Il y a presque 11 ans ·
    Xifo%cc%81pagas inhotim1

    mary-morgan

Signaler ce texte