Romance tropicale

Yannick Bériault

         Voilà, je mange avec toi les perles solaires transformées par ta beauté florescente.  Puis-je danser la soif de toi comme la danse sacrificielle d’une religion mystérieuse et disparue ; les éplorations sans espoir du corps bandé tout au long qui est tout désir de goûter les effluves divines comme le mariage des mets tropicaux laissés sur l’autel – ton ventre pétulant : noix de coco, fleurs sucrées et vives, mangues, papayes, laitages nacrés…  Puis-je me changer en désir et te parcourir tout au long, goûter ta peau comme une récolte d’abondance, comme la fête même, enivrante et dissolvante, qui célèbre une saison d’opulence en honneur à toutes les petites divinités en puissance des villages à la ronde.

         Je n’utilise pas les points d’interrogation et pourtant te questionne, comme un oracle de bord d’étang qui chatoie la réponse lunaire, sans parole, pour moi et tes yeux, pour toute la verdeur des sources qui surgissent sur la ligne-fantasme qui te relie à moi.

         Te dire tu, saisir en ce vocable de bout de langue ta singularité, en cette si petitesse qui m’est accessible, te le dire à répétition, jusqu’à ce que s’effondrent les digues retenant ton corps de couler vers le miens, retenant nos ardeurs de se saisir l’une de l’autre au rythme de nos sèves…  Te dire tu, c’est refuser que de toi ne puisse saisir que l’universel ; enserrer ne serait-ce qu’un moment l’impossible unicité de ton âme en la voute de mes sens…  Te dire tu, c’est glisser vers toi avec ma voix, ma soif, ma langue, révéler la ferveur comme un tracé, susciter – quel mot ! – tes tremblements utérins avec mes salves de basse qui te fassent frémir jusqu’au plus creux des replis, jusqu’au plus intime des profondeurs de ton corps, jusqu’au plus primitif des entrains, à la source de tes joies…  Te dire tu, c’est tenter un canal sublime de tes sèves vers les tropismes de ma fougue.

         Refuser l’espoir, pourtant, c’est aimer sans attendre, avec toute l’immensité de mes architectures, la majesté chaude de ma romance.  Refuser l’espoir c’est révéler ta divinité et l’adorer avec ferveur, sans périr au feu des sacrifices, sans t’enfermer en corps d’idole.  C’est ouvrir le courage et la boîte des impressions ignées pour en déballer la vivacité vers le monde, aussi froid puisse-t-il être, sans jamais qu’elle ne s’éteigne.  Refuser l’espoir c’est ne rien attendre et tout de suite baigner mon âme dans l’amour de la tienne, laissant les aléas stellaires décider des alchimies humaines, transmuter sans cesse et sans souci de thésauriser, ta beauté, celle de la Création-Monde, leur identité profonde, l’extase de le savoir…

         T’aimer immensément et refuser l’espoir, c’est chanter ton nom, ne pas le laisser mourir au socle des idoles, et le laisser changer vingt fois… chaque fois te murmurant tu comme à la shakti absolue.

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