Rouge clochard
pianitza
Nono, il faisait rire avec sa barbe mousseuse d'papa Noël. Il agitait les cloches hivernales d'une main, touillait sa bière de l'autre. Mouvement circulaire des plus expérimenté. C'était tout lui, l'apparat des fêtes, les déguisements. La neige l'excitait comme pas deux.
— Marco !
— Qwa ?
— Regarde !
Il dandinait sa bedaine entre deux poubelles. Marco applaudissait frénétiquement, les potes roucoulaient derrière le feu. On était heureux. Sous les tuiles descendantes des habitations, on s'réchauffait d'un cantique qui nous paraissait plus si lointain. Les airs d'jeunesse revenaient jusqu'à nous sous les flocons.
— Roules-en un Gégé !
Gégé en roulait un à la Hollandaise, pour l'occasion. Il gloussait, c'lutin ! Nono lui a déposé un fanion multicolore sur les épaules. Ça lui en a donné des pulsions au corps. La mixture en faisait tomber ses brindilles d'herbe et d'tabac. Et puis Michou est arrivé avec son cargo d'capsules Kronenbourg.
— Ça fait une belle collecte !
On était tous à s'atteler à la tâche des décorations. On perçait l'centre des capsules qu'on fixait aux crochets du sapin. Entre deux merguez torpillées dans l'fond, notre conifère s'ornementait. Ça en faisait mouiller les épines… Mais l'tableau était sympa ! Nono a roulé sous les branches.
— Un sapin… ! C'est génial, un sapin !
— Ho Nono ! Tu rentres en contact avec la nature ?
— J'adore les sapins, moi ! Laissez-moi tranquille !
C'était lui qu'avait eu l'idée d'la soirée. On ferait comme tout l'monde… On irait s'froisser dans les papiers cadeaux entre des lampadaires… Pourquoi qu'on n'y aurait pas l'droit ?
— Gégé ! J'ai un cadeau pour toi !
— Ah ué ?
— Bah oui !
— C'est gentil ça !
— Ça m'fait plaisir… !
Il lui avait empaqueté un vieux bouquin sur la mythologie trouvé dans les décombres. A Gégé, ça lui faisait tout bizarre d'tenir entre ses doigts l'morceau d'son passé professoral. Il a fait glisser les pages avec émotion. Ses yeux papillonnaient entre les caractères, à côté des illustrations. Il en a fait basculer la pomme d'Adam !
— Oh mon dieu… ! C'est merveilleux !
Il en pleurait presque. Ça nous a tous un peu bouleversé, sauf Jean-Mi qu'a arraché l'ouvrage des mains.
— Et pourquoi qu'y'a une photo du mec qu'a écrit l'truc d'ssus ?
— Ils aiment bien qu'on les voit les écrivains ! rétorque Robert.
— C'est l'égo trip ! rajoute Jo.
— Quoi c'est ? affine Nono.
— C'est des gens qui savent qui ils sont ! Ils s'cherchent en photo !
On a tous réfléchi longuement à son idée sans savoir quoi rajouter. ‘puis on a tous dansés d'un coup, ça a attiré une bagnole d'flic qui s'est étalée sur l'bas-côté.
— HEY ! Un peu d'calme ! Baissez l'son !
— Bah pourquoi ?
— Vous dérangez !
— Qui ?
— L'voisinage !
— Eux ?
— Baissez l'son du poste ! Bordel !
— Jo ! Baisse le son !
— Ça marche, j'baisse le son !
Jo a baissé le son.
— OK… Ne recommencez pas… !
— M'sieur l'agent … ?
— Qwa ?!
— Ramenez-nous des Ferreros ! Faîtes pas les putes !
— Quoi ?!
— Et un peu d'dindes ! Ça s'rait sympa ça aussi !
Les poulets se sont extirpés d'leur Renault, le torse plastronné. Leurs jambes râtelaient la neige boueuse.
— Tout l'monde au poste !
On s'est tous observé, le sapin s'est mis à pleurnicher, des capsules s'en sont même dévissées. Gégé a essayé d'planquer la beuh rapidos mais un des poulets l'a vu.
— Putain d'merde les gars, c'est Noël !
— Noël ou pas, nous on bosse… !
— V'nez boire un coup, quoi ! Faîtes pas chier !
— Surveille ton langage !
— Allez quoi ! Les roublards ! On a tout c'qu'il faut ! Desserrez les braguettes ! P'tit coup d'gnôle ?
— On a même du veau ! Des quenelles !
— Un tonneau entier d'rouge !
— Du reblochon qui reste entre les dents !
— Manque plus qu'les nichons !
Y'a finalement un sourire commode qu'a pris ses formes sur l'uniforme.
— Bon… Bon… Ça va qu'c'est Noël… On prend un verre avec vous, mais vous faîtes moins d'bruit…
— Hervé ? T'es sûr de toi ? murmure le jeune collègue flic.
— Ça va… La maison mère sirote ses huîtres… Personne le saura. Merde… ! Allez quoi, p'tit verre !
— Michou ! Du contenu pour ces messieurs !
— A vos ordres !
Ils se sont laissés embarquer plus rapidement qu'prévu, les colonels… ! Des bonnes germes, finalement ! ‘faut jamais rester sur une première impression ! Trois heures du mat', les v'là sans képi ! Ils se sont dévergondés de trop, C'est Marco ça ! Il surcharge les verres !… Tu peux pas aller à l'encontre d'cette danse, d'ce grabuge-là… C'est trop hypnotisant ! On tombe dedans ! Même les voisins sont descendus d'leurs balcons ! On a commencé à dix, on est maintenant à cent ! Un camion arrive.
— Yo les mecs ! C'est ici qu'ça s'passe ?
— Où d'autre ?
C'étaient les barbus du caisson. Les mecs à chien. Ça a commencé à voler en éclat entre les fibres électroniques… On s'contrôlait plus…
— Oh, mon petit papa Noël ! gueulait Nono dans la foule.
— Fais monter les décibels d'un cran !
— Qui veut des provisions ?!
Un autre camion a déboulé avec ses cargaisons d'Whisky. On les connaissait pas, on s'en foutait.
— De l'alcool et du son, c'est tout c'qu'on a pour Noël ? il gueulait le flic qu'était maintenant torse-nu. Et où qu'elles sont les demoiselles ?
— Une cargaison d'jupes courtes est en partance !
— Tu déconnes ?
— Bien sûr qu'non, éructa le type dont je ne connaissais pas le nom. J'ai tout c'qu'il faut jamais très loin !
— J'me sens tout sentimental d'un coup !
C'était un autre sacré bon cadeau, les jupons et les bisous. C'est Noël, fiston. Dans la rue, les visages se confondent, s'enlacent, s'embrassent. Le froid du blanc ne leur gèle plus aucun os. Ils sautent, s'entrechoquent. Les corps s'emboîtent dans le grand puzzle de la jungle. L'amour.
On arrête pas un peuple qui danse ?
On n'arrête pas un corps passionné ! On n'arrête pas des millions d'corps en tension, en chaleur, en bonheur… ! Ça s'amuse là-dedans ! Ça s'émeut ! Ça s'souffle des gentillesses de partout ! C'est pas les pancartes métro-bureau qui s'exhibent mais bien la chair, enveloppée dans une soyeuse gaminerie qui de ses rires s'élève. Derrière les photos des jours précédents, solitaires, avec Nono, Gégé et toute la bande, on fait un peu parler la vie. Comme toi, j'pense à moi, à c'que j'uis. Cette tête un peu perturbante, échouée entre tant d'autres qui autour de moi s'éperdent. Noël, c'est pas qu'le 24. C'est 24/24. Si comme moi à rien tu n'appartiens. Si autour de toi, sans cesse, les cloches sonnent.
J'adore.
· Il y a presque 11 ans ·Marion B
Merci beaucoup Marion :)
· Il y a presque 11 ans ·pianitza
Ah et Oh! De chouettes tournures et d'atmosphères.
· Il y a environ 11 ans ·Quand je te lis, ça me réveille d'un coup.
Et pour une fois en plus, y a même un morceau de rêverie optimiste! ;)
hel
Ca fait du bien, des fois, d'écrire autre chose que des gémissements ! :o)
· Il y a environ 11 ans ·pianitza
Et sinon, et un peu pour t'embêter, y a peut-être juste le titre qui claque pas assez, un peu raccourci facile.
· Il y a environ 11 ans ·hel