Route 66

salander

ROUTE 66

Samedi. Quand je suis rentré, l’aube ouvrait un œil à l’est, derrière les gratte-ciel qui se découpaient dans l’air déjà saturé de particules. Encore défoncé au cannabis, je conduisais d’une main, les yeux vissés à la route comme un halluciné. Le week-end s’annonçait de la meilleure des manières. J’avais passé une partie de la nuit avec Johanna, une grande brune rencontrée à l’uni. On ne peut pas dire que c’était l’amour fou entre nous, mais on aimait baiser de temps en temps. Récréatif, comme se faire une toile un vendredi soir ou se couler un bon bain après une journée difficile.

On ne dormait jamais ensemble. Ses parents n’étaient pas contre – ils préféraient que leur fille sa fasse sauter sous leur toit plutôt qu’à l’arrière d’un pick-up, entourée de néonazis shootés au speed –, mais je n’en voyais pas l’intérêt. Elle non plus. Sur ce point, on était d’accord.

J’ai traversé l’allée jusqu’au garage. Melchior a aboyé. Ce con de chien n’en ratait pas une, toujours à ouvrir sa gueule au passage d’un joggeur ou d’un vélo. Pour rentrer discrètement au petit matin, avec lui, c’était foutu. Le jour où des cambrioleurs avaient pénétré dans la maison, en revanche, le clébard était aux abonnés absents.

Les ombres du jardin s’éclaircissaient sous la lumière naissante du jour. Une odeur de rosée et de pissenlit embaumait l’air. J’ai refermé la porte d’entrée sans bruit. Un détour à la cuisine pour me rincer la bouche. L’eau avait un goût de métal dégueulasse. J’ai décapsulé une bière, léché la mousse qui coulait le long du goulot. Aucun bruit dans la baraque. Mon père roupillait, assommé par les Stilnox qu’il avalait chaque soir à doses respectables. Un farouche adversaire de l’homéopathie, mon vieux. Susan devait dormir aussi. À quatorze ans, ça en écrase la moitié de la journée, surtout le week-end. Sally, mon autre sœur, n’était sans doute pas rentrée. Elle faisait la bringue non-stop, tout juste si on savait qu’elle existait encore.

Notre père s’en foutait. Entre son boulot, les devoirs de la cadette, les partouzes dans les villas voisines… J’ai éclusé ma bière, jeté la bouteille à la poubelle et suis monté dans ma chambre. L’escalier émettait une sorte de ronronnement à chaque pas, comme s’il avait été content que je lui écrase les marches. J’ai ouvert la fenêtre de ma chambre. De l’air déjà tiède s’est déversé, pareille à de la vapeur qui s’échappe d’un four. J’ai ôté mes pompes, mon futal et me suis couché sur le lit. Impossible de dormir. J’ai regardé le plafond.

Cette maison, c’était la fierté de notre père. Il savait qu’en fait ce n’était plus qu’un furoncle jurant sur le visage lisse du quartier, mais il faisait comme si tout allait bien. Comme si rien ne s’était déglingué, que ses espoirs étaient toujours aussi solides que seize ans plus tôt.

Il en avait rêvé, des États-Unis. De la Californie surtout, qu’il imaginait pareille à un jardin d’Éden tout en lotissements douillets et jardinets confortables. À l’adolescence, il était parti sur la route 66 avec son père, son oncle et quelques amis motards. Chicago-Los Angeles, rien que ça. Des vacances d’été qu’il avait idéalisées. À tel point que dix-huit ans plus tard, convaincu que le bonheur nous attendait sur la côte ouest des États-Unis, il avait postulé et trouvé un job puis fourré sa femme, sa fille (Sally, trois ans environ) et son fils (moi, cinq ans et quelques) dans ses bagages. Direction l’Éden.

Susan était née deux ans plus tard. La maison était déjà construite. Mon père l’avait fait bâtir sur plans, dessinant lui-même les subtilités architecturales qui en faisaient le principal attrait touristique du coin – pour peu qu’un touriste s’égare dans notre quartier, événement quasi improbable. Ensuite il avait creusé un trou au milieu du jardin pour créer une piscine dans laquelle, une fois remplie, Susan passait son temps à tomber. Mes parents la soupçonnaient de le faire exprès histoire d’attirer l’attention. Nous avons grandi dans ce petit paradis, sous un soleil quasi omniprésent, dans l’insouciance, sans nous douter que les rues devenaient de plus en plus dangereuses la nuit tombée. Guerre des gangs, racket, bastons… Même de jour, il était plus prudent de prendre la voiture.

Comme ma mère ne voulait plus d’enfants, nous avons eu droit à l’arrivée de Melchior. Puis au départ de ma mère, qui nous a planté tous les quatre sous le prétexte qu’elle ne supportait plus cette vie à la con. « Tu pourrais reprendre un travail ? » lui a suggéré mon père, de la voix soumise qu’il utilisait lorsqu’il se mettait en colère. Il était trop tard. « Cette vie à la con, c’est la nôtre, c’est vous, nous, un travail n’y changerait rien », a-t-elle ajouté avant de claquer définitivement la porte. Elle nous a laissés aux bons soins de notre père qui a refusé de s’insurger parce qu’il pensait que la colère ne résout rien. Depuis, il essayait de la dissoudre dans les médicaments et n’entretenait plus rien, ni lui ni la maison.

J’ai émergé aux alentours de quinze heures. La bouche pâteuse, une envie de baiser vissée aux tripes. J’ai bu au robinet du lavabo, à la salle de bains. Je me suis branlé assis sur les toilettes, ai pris une douche glacée. Le sang giclait dans mes veines, j’étais comme un bloc de chair saisi dans la glace. Vêtu d’un tee-shirt et d’un jean délavé, pieds-nus, je suis descendu. MTV hurlait au salon. À moitié à poil, Susan léchait son index englué de beurre de cacahouètes en secouant la tête sur Apocalyptica. Je lui ai demandé si elle comptait s’habiller.

- Pourquoi ? s’étonna-t-elle.

- On voit ta foufoune, n’importe qui pourrait entrer.

- Personne ne vient jamais ici, à part les meufs de papa. On leur voit aussi la foufoune.

J’ai saisi la zapette et changé de chaîne.

- Tu fous quoi ? Laisse…

- Elle est où, Sally ?

- Je sais pas. Rends-moi la zapette.

- Si tu la vois, dis-lui qu’un mec la cherchait hier soir, il s’appelle Brandon, paraît qu’elle lui doit de la thune.

- Ouais… Tu crois que je vais me souvenir de tout ça ?

Un détour à la cuisine. Une bière pour me rincer le gosier. Un coca pour faire place nette. J’ai sorti des corn-flakes de l’armoire, un bol et le berlingot de lait. J’étais en train de manger lorsque la porte de la maison à grincé. « Sally ? » ai-je lancé sans grand espoir. C’était mon père. Le teint gris, la barbe de plusieurs semaines mais le veston impeccable. Il m’a salué d’une tape sur l’épaule.

- Il y a encore eu un mort dans le quartier, cette nuit. Un dealer de crack, je crois, ils l’ont tabassé jusqu’au bout.

- Qui, ils ?

- Je ne sais pas. Tu as traîné où, cette nuit ?

- En ville, comme d’hab.

Je n’aimais pas cette manière qu’il avait de dire tu as traîné où cette nuit, le ton culpabilisant qu’il utilisait, comme si brader ma jeunesse dans les bars et les boîtes étaient plus dégradant que de se taper les femmes des voisins sous les yeux de leurs maris. Il s’est servi un café, a croqué une pomme. Ses mains tremblaient. « Tu pourrais bosser ta philo au lieu de dormir toute la journée », a-t-il déclaré entre deux bouchées. J’ai cru qu’il plaisantait.

- Mon cerveau travaille mieux quand il dort.

- Ne te fous pas de moi ! Tu passes ton temps dans les bars ou je ne sais avec quelle fille, je ne vais pas te payer tes études pendant dix ans.

Il m’agaçait grave, là. Je me suis levé, repoussant mon bol de corn-flakes. Du lait a giclé sur la table.

- Tu es bien content que je sois là quand tu as besoin de tes foutus Stilnox qui t’abrutissent ou d’autres médocs parce que j’ai des potes qui m’en refilent gratuit.

- C’est bien de votre faute, si j’ai besoin de médicaments.

- Notre faute ?

- Oui, à toi et à tes deux feignasses de sœurs.

J’ai quitté la cuisine sur le champ. Trop envie de lui cogner la figure, de le secouer, de lui mettre le pif dans son tas de merde qu’il avait chié tout seul. J’ai enfilé une paire de tennis. Dehors, le soleil cognait comme un marteau sur une enclume. Je suis passé devant notre piscine, remplie d’une eau huileuse qui scintillait de mille étoiles. Melchior a gueulé. Je me suis mis au volant et j’ai démarré en trombe.

Mon cellulaire a vibré, je n’ai pas répondu. C’était Debbie, je voyais son nom sur l’écran. Elle voulait sans doute de l’herbe ou le numéro de téléphone d’un pote pour ne pas passer la nuit seule. J’ai accéléré, relevé la capote, le vent chaud roulait entre mes mèches. Mes lunettes noires me pinçaient le nez. Je les ai jetées dans la nature, ai ouvert le vide-poche et me suis emparé d’une autre paire que quelqu’un avait oubliée.

Si la ville craignait la nuit, notamment dans les environs de notre quartier, en journée ce n’était pas mieux. On pouvait se balader à pied au centre ville, explorer la périphérie état en revanche bien périlleux. En venant s’installer ici, mon père n’avait pas prévu ces inconvénients. La route 66 traversait des paysages splendides, il avait seize ans, la société ne s’était pas encore embourbée dans une violence qui maintenant la gangrénait. En quelque sorte, il était resté bloqué dans son adolescence et c’étaient nous, Susan, Sally et moi, qui devions ramer dans son jardin d’Éden transformé en marécage.

J’ai appelé Tony. Un grand black décoloré qui m’attendait au bord de sa piscine avec trois filles en bikini et une bouteille de champagne. « Salut », m’a-t-il dit en me saluant. J’ai fait la bise aux trois filles, toutes très jolies et très anorexiques, avant de plonger habillé dans la piscine. Dix minutes plus tard, j’étais presque sec.

- Tu fais quoi ce soir ? me demanda Tony.

- La teuf quelque part. T’as un plan ?

- Y’a dj Zeus au Roxy, si ça te branche. Sinon Peter organise un truc dans son hangar à bateau, paraît qu’un des invités vend des extasies qui déchirent, alors on verra.

- Ouais, on verra…

J’ai jeté un œil par-dessus mes lunettes. Le soleil avait l’air liquide, dans ce ciel laiteux tiré comme un rideau devant nos yeux. Une de filles m’a proposé une tranche de cake. « Space ? » j’ai demandé. Elle a opiné de la crinière.

- J’aime pas Peter, c’est un sacré branleur.

- Mais ses teufs sont toujours in, mon pote.

On a éclusé la bouteille de champagne. Le spacecake aux raisins était délicieux. Quand je suis reparti, j’avais l’impression de battre des ailes au-dessus de la route.

J’ai traversé un quartier résidentiel criblé de bicoques à deux étages. Que des nouveaux riches. Les nantis depuis cent générations vivaient ailleurs et les pauvres n’y venaient que pour mourir d’overdose, du sida ou un couteau planté dans le bide. D’ailleurs, des types en blanc s’affairaient sur un trottoir. La lumière bleue clignotait, des badauds faisaient cercle autour d’eux, pareils à des mouches sur une assiette de vomi. La mort fait partie du jeu, nous disait notre oncle Charlie, le frère de ma mère. C’est le premier qui a claqué, dans notre famille. Pas tellement eu le temps de jouer…

Greg m’a appelé sur mon cellulaire. Il voulait me voir pour une histoire de bagnole. Je lui ai dit que la mienne roulait encore, pas la peine d’insister. Maintenant c’était Patrick qui me saoulait. Il avait de la coke à vendre, de la bonne insistait-il, il savait que je ne touchais pas à ça mais il me causait comme s’il avait été mon dealer depuis vingt ans. Je lui ai bouclé au nez. Il a rappelé. J’ai de nouveau bouclé. Silence. Il avait compris.

On s’est retrouvés à cinq dans un parc pour fumer des joints. Paul, Carlito, Sofia et deux autres poules que je ne connaissais pas. L’herbe de Carlito était toujours bonne, du genre à noyer les neurones dans une brume qui rendait la vie assez trippante. Étendus sur la pelouse, à l’ombre de je ne sais quels arbres, on s’est racontés les derniers potins. Paul, que je croyais gay, s’est mis à rouler des galoches à une des poules qui caquetait et gloussait en battant des pieds.

- Tes sœurs, elles sont où ? me demanda Carlito.

- Sally est en orbite je ne sais pas où, Susan rivetée devant la téloche. D’autres questions ?

- Elles baisent avec qui ?

- Je m’en fous, bordel. Elles peuvent se taper toute la Californie si elles veulent, tant qu’elles ne tombent pas enceintes.

L’autre poule a pouffé. Sofia me fixait de ses yeux couleur jade. Elle a passé une main dans sa longue chevelure, soufflé un nuage de fumée. Une jolie fille. Volontaire, exigeante. Le même mec depuis cinq ans, quelques flirts pour respirer de temps en temps. Elle m’a passé le joint. « Tu vas au Roxy, ce soir ? » J’ai fait oui de la tête.

On s’est rincé le gosier à la téquila. Paul et la meuf ont disparu de notre champ de vision. Sofia s’est éloignée pour téléphoner, l’autre poule cherchait ses clopes au fond d’un sac plus grand que l’Arizona. Étourdi de chaleur, j’ai versé dans l’herbe. Une odeur de viande fumée a flotté sous mes narines. J’ai repensé à nos barbecues en famille et à ma mère qui mitraillait avec son Kodak à téléobjectif surpuissant. Elle immortalisait tout ce qui bougeait. Une manière de figer sa vie à la con, peut-être, pour mieux la revoir et pleurer sur tout ce qu’elle avait perdu ou n’aurait jamais. Quand elle s’est tirée, mon père a jeté tous les clichés dans un sac poubelle qu’il a brûlé dans le jardin. « Ensuite on dégage les cendres très loin, a-t-il clamé, parce que le bordel de votre mère, ça fera un très mauvais engrais. »

La voix de Carlito a vibré dans mes oreilles, me tirant de mes pensées. Je me suis redressé sur mes coudes. Ma tête tournait comme un carrousel.

- Je sais à quoi tu penses, affirma-t-il.

Son visage de latino basané faisait comme une ombre entre le ciel et moi. J’ai dégluti sèchement.

- Parfois je me dis que je devrais me tirer. Faire comme mon père, partir et m’installer ailleurs.

- C’est naze, comme idée. Ailleurs ça sera pareil, t’as aucune chance.

- On peut toujours rêver.

- Tais-toi et fume.

Il m’a passé son joint, j’ai pris deux taffes et je me suis mis à rire comme un dépressif sous Prozac.

Je suis revenu à la maison aux alentours de 21 heures. La nuit grésillait de chaleur. Melchior était à moitié mort sur le carrelage devant la véranda, il a peine grondé à mon passage. À part Susan qui bavardait avec une de ses copines au salon, la maison était vide. Je suis monté prendre une douche et me changer. Une chemise bleu pétrole, un futal pas trop défraîchi, des pompes à six cents balles. J’ai éclaté ma coiffure à coup de gel. Dans la commode de ma chambre, j’ai choisi une montre plus flashy que celle qui avait orné mon poignet toute la journée.

Gonflé à bloc, j’ai repris ma bagnole. L’air tiède fouettait mon visage. J’ai regardé le ciel, d’un noir mortel – les étoiles étaient englouties par les lumières de la ville. Pied au plancher, j’ai traversé la banlieue. Je m’imaginais dans une fusée chromée glisser d’un univers à l’autre. J’étais bien. Assez rare pour le souligner.

J’ai englouti une pizza et un Coca dans un fast-food italien. Des Ritals éméchés broutaient les leurs en jetant les emballages tous azimuts. Un caissier est intervenu, puis le gérant, comme les Pinocchios ne voulaient rien entendre, la cavalerie a fini par débarquer. C’est le moment que j’ai choisi pour me débiner.

Avec deux-trois potes, on a stagné dans un bar en attendant minuit. Au Roxy, le videur ressemblait à Depardieu, en brun. Il m’a demandé ma carte d’identité. Dans son œil j’avais l’impression de voir une caméra de Youtube me filmer – dix millions d’internautes m’observant depuis leur bureau. La musique électro vibrait dans toute la boîte. Le couloir menant aux toilettes débordait de filles déjà stones. J’ai croisé des mecs à la pupille aussi dilatée qu’un estomac rempli de bières. À cette heure-ci, la moitié des clients n’étaient déjà plus capables de reconnaître l’autre moitié.

- Tu me paies un drink ? me demanda une blonde en jean et chemisier à rayures.

- Plus tard.

- Plus tard, je serai partie.

- Alors jamais.

Elle m’a brandi son majeur à la gueule. J’ai cherché Sofia un moment, sans résultat, puis j’ai retrouvé Carlito au bar. On s’est envoyés des rhums coca pour se désaltérer. Il avait l’air bien allumé, ses jambes bougeaient sans cesse et il parlait trop vite pour que je puisse capter. Au bout d’un moment, je lui ai demandé s’il avait des extas. « Non. Demande à Manuel, c’est un de mes potes, un petit moustachu au crâne rasé, il traîne toujours devant les chiottes. »

Mon verre à la main, je suis allé prospecter. J’ai trouvé le type en pleine discussion avec un rouquin qui dealait du crack dans les écoles. Trois minutes plus tard j’étais devant les lavabos, la pastille en équilibre sur ma langue. J’ai avalé deux gorgées d’eau. La musique m’a happé dès ma sortie des toilettes et je suis retourné au bar.

Plus tard, les neurones en hyperventilation, j’ai traversé la foule – ou plutôt elle s’écartait devant moi telle la Mer rouge face à Moïse. Je suis sorti dans l’arrière-cour où tout le monde venait fumer. Des gros balèzes nous encadraient, je me suis senti oppressé et je suis rentré. C’est là que Carlito m’est retombé dessus.

- Viens, je crois qu’il y a un problème.

- De quoi tu causes ?

Il était déjà à dix mètres, agité comme jamais. J’ai haussé les épaules. Il est revenu à la charge. « Viens, bordel, c’est grave », et il est reparti en trombe. Je l’ai suivi, même si le mot grave ne signifiait rien de particulier pour moi à cet instant précis. Je l’ai rejoint devant la sortie principale. Il m’a poussé dehors. « Hé ! » ai-je crié, mais il m’a empoigné par le bras. On a contourné des entrepôts, entre conteneurs bosselés et fêtards défoncés. Le petit jeu de Carlito m’énervait déjà. Il trottait devant moi tel un chiot, je devais presque courir pour le suivre. Dans une ruelle, on est tombés sur un attroupement. Carlito s’est frayé un passage. J’ai suivi. Au milieu du cercle, une BMW aux portières froissées, au capot déchiré et aux pare-chocs démantibulés semblait attendre sa mise à mort. La porte avant, côté passager, était ouverte. Des jambes sortaient de l’habitacle, inertes, sanguinolentes. Des jambes de femme. Carlito m’a doucement poussé vers elle.

La fille avait la tête sur le côté, ses cheveux blonds décolorés lui mangeaient une partie du visage, son pull était déchiré sur des seins nus et lacérés. Ses bras pendaient le long de son corps. J’ai d’abord reconnu le blouson, en daim brun clair – mon cadeau pour ses dix-huit ans –, puis je me suis encore approché et j’ai étouffé un hoquet. « Sally », ai-je éructé dans un gargouillis que j’ai sans doute été le seul à entendre.

- Des types l’ont trouvée il y a trois quarts d’heures, me souffla Carlito. Elle était déjà morte.

Je l’ai regardé sans vraiment comprendre, je me suis plié en deux et j’ai vomi.

  • Merci. Je ne savais que j'étais sur le podium, c'est une excellente nouvelle. Et je n'ai pas l'intention d'arrêter d'écrire :-)

    · Il y a plus de 13 ans ·
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    salander

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