Rupture

immarcescible

16/04/2020

Il y a dans les ruptures quelque chose de dramatique, tragique, lourd et triste. D'ailleurs, quand on l'annonce, la réponse est toujours la même « je suis désolé pour toi »

Quand on s'est séparé, pourtant, tout était le contraire. Une libération. Comme si depuis tant de mois nous étions accrochés à une corde toute effilochée et que le poids avait enfin lâché.

J'en ai profité de ce semblant d'air pur, joui de cette liberté nouvelle, tant attendue. Je laissais mon téléphone trainer sans avoir peur que tu le fouilles, n'avait plus à attendre de tes nouvelles dans les moments importants que tu oubliais toujours, rentrer à pas d'heure sans avoir peur des reproches, pouvait forcer du rouge à lèvres sans subir de remarques. Je pouvais prendre toute la couette, me coucher tôt sans être gênée par le bruit de la télé, prendre des longues douches sans me soucier de faire traîner mes cheveux, laisser la porte du four ouverte, oublier mes sachets de thé dans l'évier, regarder mes séries sans entendre de réflexions de ta part. Ça ne sentait plus le tabac froid. Le linge sale ne trainait plus par terre. Je pouvais rester assise sans culpabiliser de ne pas être assez tactile, assez présente, suffisamment aimante.

Me laisser m'éprendre d'un autre sans me sentir coupable.


Mais les murs sans toi sont devenus si froids. Se glisser dans le lit glacial me tordait le ventre. Fermer mes yeux en attendant que tu rentres en sachant que ça n'arriverait pas les embuait jusqu'au torrent. Chaque soir je redescends pour aller chercher le courrier car avant, c'est toi qui le faisait. J'ai arrêté de faire vraiment la cuisine car sans personne avec qui la partager, les choses n'avaient plus de saveurs. Je n'ai même pas rangé mes vêtements dans les étagères que tu avais libérées.

Je dois réapprendre à faire mes courses maintenant. Arrêter de prendre du temps devant chaque article pour te le ramener car ça te ferait plaisir.. Je dois chercher mes clés quand j'arrive car tu ne sera pas là pour ouvrir. Je n'allume plus la télé, car j'ai encore cette musique de toi qui récite toutes les pub par cœur en écho. Je n'ai même plus envie de ma tisane le soir, celle que tu te levais pour me la faire. Je rigole toute seule devant toutes ces petites choses qu'on partageait. J'ai envie de te les envoyer, tout le temps. J'ai envie te t'entendre m'appeler « ma belle amazone ».. J'ai envie de ressentir un peu de ton amour que je trouvais si oppressant, qui prenait tellement de place que le vide que tu as laissé est immense. J'ai envie que tout ça ne soit qu'une dispute, que tu reviennes avec deux sandwichs et qu'on se réconcilie comme si rien ne s'était passé. J'ai envie de retrouver des fleurs sur la table, mon chocolat préféré dans le frigo. J'ai envie de m'endormir avec ta main dans mes cheveux, me réveiller avec du jus d'orange frais. J'ai envie de te voir manger de la pizza comme si c'était la dernière chose que tu faisais dans ta vie. J'ai envie de revenir dans notre appartement où l'on regardait les voisins dans leur piscine avec envie, où l'on entendait la voisine crier et chanter si fort, et surtout, la sonnerie qui sonnait le début de la récrée dans l'école d'à côté et les enfants qui hurlaient à la mort. La douleur est si forte. D'habitude quand je suis triste c'est toi qui me réconforte. Tu fais des blagues, et tu me serres très fort. Trois ans que c'était dans nos habitudes..

Je n'ai pas conscience qu'une page s'est tournée. C'est fini, c'est comme ça, on ne peut pas revenir en arrière indéfiniment. Quand on se sépare on passe souvent d'un tout à rien, d'un équilibre à un gouffre dans lequel on tombe. Je ne sais pas trop quand s'arrêtera cette chute.. Peut-être jamais.

Ca doit être pour ça, que les gens disent « désolé ».

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