Rupture de contrat

Caroline Morello

Monsieur,

C’est avec regret que j’ai pris connaissance de votre souhait de rompre le CDI qui nous liait. Cette décision unilatérale n’est pas sans avoir provoqué un grand émoi au sein de notre petite structure.

À la suite de nos divers entretiens j’ai bien noté les raisons qui ont précipité votre départ et je ne reviendrai pas sur le bien fondé (ou non) de celles-ci.

Il semblerait que nos propositions (votées à l’unanimité lors de notre dernière AG) visant à améliorer les termes de notre contrat afin qu’il s’harmonise avec vos exigences et vos aspirations n’aient pas reçu vos faveurs. Ainsi, vous n’envisagez donc pas de nouvelle collaboration.

Pourtant, après concertation auprès de nos dirigeants, il s’avère que vous êtes le maillon indispensable, celui sans qui, à court terme, l’entreprise devra déposer le bilan. Je ne vous cache pas que celle-ci, actuellement, tourne au ralenti. Les organes de direction ont bien des difficultés à accomplir leurs tâches au quotidien, à raisonner, à prendre les bonnes décisions, ce qui provoque des dysfonctionnements internes à tous les stades de la hiérarchie.

De plus, notre crainte la plus profonde est que vous mettiez à profit votre expérience et vos qualités, si ça n’est pas déjà fait, au service de la concurrence. Bien que le risque soit omniprésent et que nul ne peut rien y faire, nous ne pourrons, et vous nous en voyez désolés, être aptes à vous souhaiter de vous épanouir dans votre future nouvelle carrière. Comme énoncé précédemment, la perte de notre élément phare nous a grandement perturbé et certaines pièces essentielles au fonctionnement d’une entreprise telle que la nôtre, la tolérance, la compréhension, l’empathie, le pardon, ont quitté la chaîne de production.

Par conséquent, je vous prie de bien vouloir m’accorder un dernier entretien pour que je puisse vous rapporter les affaires que vous avez laissées à votre bureau lors de votre départ soudain. Leur simple vue nous rappelle à tous votre présence (donc votre absence) et plonge le service dans une espèce de dépression chronique.

Par ailleurs, je vous saurais gré d’accepter de me rendre une part de l’amour que je vous ai donné pour deux raisons qui me semblent essentielles.

La première étant que, conformément au Code des Relations Amoureuses, art. 5, al. 3, vous auriez dû poser un préavis. De ce fait, les sommes versées en trop lors des dernières semaines doivent nous être remboursées.

Dans un deuxième temps, même si cela n’est pas à l’ordre du jour, il faudra bien, un jour ou l’autre vous trouver un remplaçant. Vous comprendrez donc qu’il nous faut désormais épargner notre capital amour qui s’est ostensiblement amoindri au cours de ces dernières années (la crise de 2009 n’a épargné aucun secteur).

En attendant une réponse de votre part concernant notre ultime rencontre, je vous prie d’accepter, Monsieur, l’expression de mon amour le plus sincère.

Caroline Morello

Signaler ce texte