S t r a n g e - 1

condamnes-a-etre-libres

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1. Lendemain.
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Les souvenirs affluent par vagues irrégulières. Courtes. Longues. Courtes. Longues.
Je suis transportée par mes souvenirs. Ou plutôt, ils me noient. Je réponds aux autres malgré tout.

« Hein ? J’ai fait ça tu dis ? »

Non je ne me souviens pas. C’est plutôt drôle. Même si cela ne te fais pas rire. Il faut que je m’excuse.

« Désolée pour ta main. Non, vraiment. Merci d’avoir nettoyé… »

Mon poing qui s’élance. Indécence. Ivresse. Puissance. Oh, que c’était bon de frapper ; j’ai plaisir à me le remémorer.

« Mec, désolée pour ton nez. »

Bon, stop.
Il faut que j’arrête de délirer. Je m’assois, silencieuse, avec un bout de gâteau écœurant entre mes mains ; ça dégouline, mais ce n’est pas bien grave. J’ai comme un semblant de faim.
Tandis que mes yeux dérivent sur les veinures du plancher verni, je me souviens, encore. Au loin rient mes camarades. Et moi je repars.

Je me revois, le menton enchâssé à la cuvette, attendre que ça sorte. Mon estomac renâclait quand je tentais de l’aider. Ma main engoncée dans ma gorge me fit mal. Alors je cessai. Je recalai mon menton. Et je laissai voguer mes pensées. Je me demandais pourquoi je n’arrivais pas à souiller d’un nectar immonde ces pauvres toilettes blanches, vierges. Moi qui avais tant cette volonté destructrice. Je me demandais quelle heure il était, et pourquoi je pensais comme si j’écrivais. Je songeais à ce qu’il se passais à côté. Je voyais même le temps défiler.

Je ferme les yeux et revis le moment qui avait suivit, comme si j’y étais.

Je relève la tête, vaincue. Je détaille la salle de bain autour de moi ; il faut que je me lave les mains. Que je boive, mais de l’eau cette fois-ci. Je m’avance. Et m’applique minutieusement à faire couler le robinet. Je me saisis du savon et en fais mon affaire ; puis je m’abreuve, ma gorge est comme une terre desséchée, mes lèvres, parcheminées. Ma langue et l’eau, c’est comme feu et glace, toujours la même qui l’emporte, mais l’autre finit par se rallumer.

Et après ? C’était comment après ? Bizarre. Je replonge.

Je relève une nouvelle fois la tête. Un instant de surprise. Un mouvement de recul. Qui est cette fille dans cette glace ? Ces pupilles dilatées, ces cheveux en bataille, c’est moi ? Moi ? Parce que j’existe maintenant ? Eh oui, il faut bien le croire. Je souris, elle sourit. C’est faux, c’est laid. C’est absurde. Mais le monde est ainsi. Elle sourit en ouvrant grand la bouche cette fois-ci, mais c’est parce que je l’ai décidé. Et je ris, je glousse.

Cette sensation était fort curieuse. Je vais retrouver les autres, je leur raconte, ils rigolent. Ils sourient, comme moi hier soir. Non, eux c’est normal. Pas moi. « Moi ? Parce que j’existe maintenant ? » Sérieusement, je suis capable de penser ça ?

Parfois j’ai la vague impression que quelqu’un m’écoute, quand je me parle ainsi, intérieurement. Comme si toutes mes élucubrations mentales, mes sensations, étaient répertoriées au fur et à mesure, enregistrées, écrites. Il faut que j’arrête de délirer...


© Condamnés à être libres.


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