Salvietta Rinfrescante
laura-lanthrax
Delicia MaÏs déposa ses deux petites valises kangourou devant mon bureau, puis, comme je l'avais déjà vu faire à plusieurs occasions, alluma une cigarette dont je ne connaissais pas la marque, pur hasard biensûr, car volatilisée, je le savais, à un inconnu, à son arrivée, à l'aéroport, prit une bouffée, et comme convenu dans la lettre que j'avais reçu la veille, elle déclama d'un ton monocorde les phrases suivantes :
« La Rage, L'Archive
Nous savons à quel point
Nous portons de grand masque
Sur la cire
De nos visages
Et nos cous béants
Respirent à peine
L'air
Vicié par les vents du lointain
C'est recroquevillé que
Nous implorons encore d'en finir. »
Elle croisa ses jambes qu'elle avait longues et fines (on l'avait engagée pour ça, j'imagine), aspira une bouffée, et me fixa droit dans les yeux.
J'avais bien saisi le message, je savais ce que contenait les valises, rien en l'occurrence, tout s'enchaînait à merveille en cet instant, rien ne laissait présager encore de la fin de l'histoire, je la connaissais, mais j'avais l'habitude maintenant, je ne laissais rien transparaître, j'avais le cœur froid maintenant, le sang jaune ralenti comme le Yang Tse, stérile à force d'avaler des petits grains de verres multicolores.
Elle était belle, mais étais-ce un pressentiment, sa lèvre inférieure tremblait légèrement, une pulpe bien rouge, une chair volontiers à mâcher.
J'ai ouvert le tiroir du haut à droite, j'ai récupéré la petite clef des deux valises kangourou, je me suis levé, et sans un sourire, la force de relever mes zygomatiques absente tout à coup, j'ai émis un grognement impossible (ça aussi c'était dans la lettre), je me suis déplacé jusqu'à elle lentement, j'ai pris les valises, j'ai hoché la tête, donnant mon accord pour qu'elle puisse s'en aller, mission accomplie, à la prochaine fois. J'ai aussitôt ouvert, dans un geste machinal et connu de moi seul, la petite pochette, sortie de ma poche de pantalon, qui contenait la serviette de papier imbibée citron, que l'on trouve dans tous les aéroports et dans tous les avions du monde, à quelque exceptions près, afin d'assurer la propreté et l'hygiène des mains, je ne pouvais pas m'en passer, c'était devenu une sale habitude, je déchirais des dizaines de pochettes par jour.
J'ai décroché le téléphone, je tenais encore à ces vieux appareils gris, où l'on pose un doigt dans le trou correspondant au numéro, puis, où l'on fait tourner le cercle plastique en surface jusqu'à la résistance, puis que l'on relâche d‘un seul coup pour entendre le bruit de crécelle bien reconnaissable quand l'engin revient à sa place, j'ai appelé Freddy pour lui dire que tout était OK. J'ai encore déchiré une pochette citron après avoir raccroché et humé mes mains, vérifié qu'elles sentaient bon.
J'avais le temps, j'avais tout le loisir de repenser à Délicia MaÏs, à notre coopération au long de toutes ces années, finalement seulement trois ou quatre, une drôle de fille, belle attirante, je n'avais jamais compris pourquoi elle faisait ce métier là, je ne savais pas d'où elle venait et comment elle était apparue dans mon bureau, mais elle avait du cran, et accomplissait ses missions avec toutes les qualités requises. Cette dernière mission était un peu spéciale car plus facile que d'habitude mais elle n'avait rien dit, elle exécutait c'est tout.
Le téléphone sonna au moment où j'allumai ma cigarette sans nicotine, je savais que c'était Freddy, comme prévu il me confirma que tout était en ordre et que je pouvais le rejoindre maintenant.
J'ouvris calmement la toilette rafraîchissante fraise des bois et nettoyait mes mains et mon visage couvert soudain d'une suée presque involontaire, du calme mon cher, du calme, il nous reste du travail. Après avoir nettoyé les poignées et le bouton pression avec le reste de mon rince-doigts (pas mon habitude mais j'étais à sec, penser absolument à recharger mes poches avant de descendre voir Freddy), je m'emparai des deux petites valises kangourou, légères comme tout, et les déposais sur la table. Je voulais m'assurer que tout était en ordre de ce coté-là aussi, et que comme prévu, on n'avait rien déposé de compromettant dans les deux valises. J'étais rassuré, j'esquissai pour la première fois de la journée un vague sourire, j'avais moins chaud tout à coup, je fermais les valises et envisageais d'aller garnir mes poches (penser à en mettre aussi dans la poche avant de ma chemise).
Encore quelques minutes et je descendrais voir Freddy. Encore, oui encore une belle journée, mais quel dommage, car c'est parfois la dernière pour certains, à quoi pensaient-ils ceux-là si biensûr ils en avaient le temps, le loisir ou l'envie, à leur vie si courte ?, à leurs enfants aux quatre coins du monde, trop loin pour venir les voir accomplir le grand saut ? , à leurs souvenirs d'enfance ?, à leurs comptes en banque ? à leurs crimes peut-être ? à ce qu'ils leur restaient à faire, oui il y avait tant à faire dans ce monde, tant à découvrir, tant à aimer ou à haïr, le téléphone sonna à nouveau, je sursautais, c'était Freddy biensûr, impatient, qu'est-ce que vous fabriquez, patron, on tient plus ici, vous descendez ou quoi, qu'est-ce que je fais moi, j'avais promis à …
Oui, assez rêvassé maintenant, je fermais la porte et je descendis calmement à la cave. Elle était là biensûr, immobile sur sa chaise, le scotch lui remontant jusqu'aux oreilles, les yeux encore et toujours fixés droit sur moi, les pieds et mains liés à la chaise, au milieu de la pièce nue, avec la lampe au-dessus d'elle, et Freddy derrière, sur sa chaise aussi, gesticulant et suant comme un bœuf qu'on emmène à l'abattoir (penser à se débarrasser de ce Freddy aussi, une fois le problème de la fille réglé).
Alors qu'est-ce qu'on fait patron, on y va, j'ai promis, il est déjà…j'arrachai le sparadrap d'un seul coup sec pour lui faire moins mal, elle restait muette, je tournai autour d'elle avant de lui faire face et de lui annoncer le programme. Ma chère Délicia, comme vous le supposez maintenant, il s'agit de votre dernière mission, cela a pu vous paraître un peu étrange, inhabituel si l'on préfère, ces deux petites valises, ce message énigmatique, du facile, en fait du vent, c'est que malheureusement pour vous aujourd'hui, le vrai travail est pour les autres, cette dernière mission, ma chère, c'est vous, ou si vous préférez, c'est de vous qu'il faut se débarrasser aujourd'hui, et Freddy (penser à ne plus prononcer ce prénom infecte) va se charger de la besogne du mieux possible, enfin du mieux qu'il le peut….
Je commençais à ressentir une vague nausée, c'était sûrement ce Freddy qui empestait l'air déjà confiné de la cave, j'avais eu à peine le temps de me remettre que ce sale Freddy me touchait l'avant bras et me secouait, patron, patron, vous rêvez ou quoi, on y va ou quoi, j'ai du…j'allai devoir sortir rapidement pour ne pas tomber inanimé sur le sol, j'avais besoin de mon rince-doigt et vite, je n'en revenais pas, ce saligot avait osé me toucher, avec ses grosses mains sales et m'envoyer ses postillons en plein visage, Freddy tu t'approches pas de moi, tu ne me touches plus jamais, commence le travail, je reviens, j'avais oublié les toallita refrescante (penser à apprendre aussi le nom en russe pour mon prochain déplacement), quel idiot, mais j'y repensai maintenant, c'était encore à cause de ce Freddy qui avait tout précipité, tu fais ça au couteau comme on a dit, et je quittai la pièce.
Elle était resté calme pendant tout le temps de la dispute ou à posteriori je n'avais pas fait attention à elle pendant l'altercation. J'avais récupéré mes papiers lingettes imbibés framboise, j'avais réussi à désinfecter mon avant-bras, j'avais nettoyé mon visage de même, j'étais près à redescendre quand j'entendis un grand cri, un corps qui tombe suivi d'un silence inquiétant (penser à installer le matériel pour passer de la musique classique dans la cave la prochaine fois), je ne bougeais plus, j'attendais je ne sais pourquoi, tuer une si belle femme, si jeune, si efficace, quel gâchis, mais c'était les ordres, j'arrivai à un âge où on devient peut-être sentimental, me disais-je, elle aurait pu être ma fille, c'est ça, elle aurait pu aussi être ma…
Je descendis à la cave, je trouvais la porte ouverte, c'était un carnage, c'était invraisemblable, à la place de la fille, sur la chaise, sous l'ampoule oscillante, je trouvais Freddy, saigné comme un bestiau, absolument dégoûtant, encore plus infâme mort que vivant, la fille avait disparue…
Avec ce moment de surprise, mon estomac se noua comme une vieille serpillière que l'on essore après usage, je me faisais, oui l'effet d'une vieille serpillière, rincée, usée, trouée, par quel prodige avait-elle saigné jusqu'à la mort cet animal (penser à trouver un autre Freddy pour le prochain contrat mais j'aurai mon mot à dire sur le choix cette fois-ci), je n'étais pas sûre qu'elle soit partie, où se cachait-elle, où et quand viendrait-elle pour me saigner à mon tour, la peur tout a coup, la peur dans mes entrailles, je remontais dans mes appartements, je pris les deux petites valises kangourou avec moi et descendis quatre à quatre l'escalier, je n'avais pas de temps à perdre maintenant, il me fallait partir loin, loin….
Dans la précipitation, mes lingettes tombaient de mes poches comme des flocons de neige, le parfum violette indiquée sur une des pochettes fut ma dernière vision.
Intriguant, mais je ne suis pas fan de certains procédés dont tu uses, ne serait-ce que au niveau des dialogues, je trouve certains moments un peu flou, mais ça reste plaisant a lire, je vais d'ailleurs de ce pas voir la suite
· Il y a environ 14 ans ·kira