San Sebastian, je ne te dirai pas je t'aime

Sophie Saban

C'est être libre en dormant à même le sol d'une chambre de 10 m². C'est observer la vie défiler assis sur un trottoir en sirotant un cocktail trop sucré. C'est le soleil, ta peau, la liberté.

Trois jours de congés surprises, une voiture italienne, toi et moi sur les routes du sud de la France. Cette incroyable sensation de liberté, le vent dans mes cheveux, tu roules un peu trop vite, et cette chanson de Goldman qui résonne dans mes oreilles.
Avec toi parfois je me sens comme dans un film, de ces films américains des années 80 où tout semble possible, où le bonheur se résume à une voiture, à une route trop longue, au soleil qui rayonne.


San Sebastian, je ne te dirai pas "je t'aime".
Comme le dit si bien Goldman dans cette chanson qui résonne encore dans mes oreilles, "y a du contrat dans ces mots-là". Et tu vois, San Sebastian, même si avec toi et lui, j'ai été heureuse, même si j'ai ressenti ce que peut être le bonheur au plus profond de mes tripes, je ne veux pas de contrat avec toi.


Je veux garder de toi le souvenir de ces tapas délicieuses que tu proposes tout le long de tes ruelles pavées.
Je veux garder de toi la sensation de ton eau salée sur ma peau quand il nous a éclaboussées, moi et ma petite robe d'été.
Je veux garder de toi mon indignation face à tous ces gens qui n'ont pas voulu que l'on embarque avec eux dans leurs petits bateaux, parce que prendre à son bord des inconnus ça ne se fait pas, parce que tes bateaux touristiques nous on n'en voulait pas.
Je veux garder de toi cette promesse qu'il m'a faite, t'inquiète pas poupée on en fera du bateau toi et moi.
Je veux garder de toi l'impression d'avoir quinze ans en rentrant un peu alcoolisés, en plein milieu de la nuit, dans l'appartement de ces inconnus, chut ne fais pas de bruit, fais-moi l'amour en silence, chuchote, viens on escalade la fenêtre et on fume dans le patio, je crois qu'on n'a pas le droit, on s'en fout poupée, on s'en fout. 
Je veux garder de toi nos heures à observer tes passants, tes musiciens de rue, notre discussion avec ce petit vieux sur un banc, et celle avec ce gay un peu solitaire au fond d'un de tes bars populaires.

Je veux garder de toi ce gamin qui escalade la montagne face à ta mer pas trop agitée, et si au fond c'était ça la liberté.
Je veux garder de toi cette maison isolée sur la petite île qui regarde la plage, poupée tu t'imagines à ta fenêtre le matin te lever à cet endroit et puis prendre ton café.
Je veux garder de toi la meilleure sangria de ma vie, cette sangria de fin de journée, au fond la dolce vita espagnole est aussi une réalité.
Je veux garder de toi la glace à la banane qu'on n'a pas su trouver, et ce bracelet à l'apparence usée qui orne désormais son poignet.
Je veux garder de toi ton soleil, tes trente degrés, tes couchers de soleil, son parfum qui m'enivre, ses regards appuyés, ta musique, les rires de tes enfants, toutes ces choses qui ont gout au bonheur et à la liberté.

Mais tu sais, San Sebastian, si je te dis "je t'aime", je passe un contrat avec toi. Et je ne peux pas te dire que ces choses-là, je ne les vivrai pas ailleurs, parce que je compte bien continuer à le découvrir, ce monde immense et ses merveilles. Je ne peux pas te promettre de t'être fidèle, parce que j'irai en découvrir d'autres, des ports, des bars, des soleils. Je ne peux pas te dire que la relation que je vis avec lui sera à tout jamais liée à toi, parce qu'on est des citoyens de la Terre lui et moi, et qu'on compte bien continuer à savourer ailleurs cette liberté qui nous unit.
En revanche, San Sebastian, je peux te dire merci. Merci pour avoir été le somptueux décor d'un weekend merveilleux.
Mais ne sois pas jaloux, à lui non plus je ne dirai pas "je t'aime".  Parce que comme dit Goldman, "il y a mourir dans je t'aime", et c'est vivante que je veux me sentir dans ses bras. 
Un peu comme avec toi.

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