Sang de civil ou Une grève à Montréal

Patrice Saucier

Il était là, fringant, missionnaire d’un état répressif, de copinages, d’avantages socieux de profiter des crimes que sa clique matraque combattait. Il était là, menton proéminent, vil Mussolini de pacotille à la silhouette de Chaplin, ganté, exalté, le Christ des criss de flics en colère, gantés eux aussi, qui frappaient à tout rompre dans leurs mains, qui recréaient par pur plaisir le son du bois sur les boucliers de plastique. Il était là, en fin auréolé comme un saint en plâtre de procession.

Attention, il va parler. Sur l’estrade, micro en main, son moment de gloire est arrivé. Les élus, il n’en a que faire. Pour la première fois de sa vie, le pouvoir lui entre par le derrière et il exulte! 

«Votre chef de police n’a pas de sang de police dans les veines!»

Les hommes gantés en cuir noir applaudissent. 

«Il a du sang de civil!»

Le hommes gantés en cuir noir explosent de joie et de haine! Ça applaudit énergiquement! On dirait une répression en 

Du sang de civil. Rien que du sang de civil. Notre sang à nous.

Le sang de Martin Suazo. Le sang de Anthony Griffin. Le sang de Barnabé. Le sang de Serge Beaudin, simple poseur de tapis tué à bout portant.

Le sang de tous ceux et celles arrêtés injustement, brutalement, en sacrement, par du sang de police épais comme du purin de porc. Le sang de tous ceux et celles qui font l’objet de vérification de routine, de tous ceux et celles qui étaient là au mauvais endroit au mauvais moment, qui n’ont pas le droit de dire «ce n’est pas moi».

Le sang des fabriqués de preuves par les rapaces désireuses de revenir plus tôt à la maison embrasser leur femme et leurs enfants en toute sécurité ou reluquer la sexy Lynda sur la scène centrale d’un club de danseuses. Le sang des danseuses touchées, caressées, violées parfois par les cochons de la loi.

Le sang de civil que l’on fait bouillir en le taxant sans vergogne, 110 dans une zone de 100, 35 dans une zone de 30, on t’a à l’oeil, partout, pendant que les vrais criminels courent... Ils courent toujours, ces salopards! 

Le chef n’a pas de sang de civil qui coule dans ses veines. Le sang de civil coule plutôt le long des matraques de ses molosses... De ses molosses enragés qui courent actuellement en plein coeur de la ville, révoltés d’être à la solde d’un «civil», qui frappent effrontément sur n’importe qui, du moment que ça bouge et que ça soit un civil. Ces damnés civils qui ne respectent rien, qui nous obligent à émettre tant de tickets d’infractions, qui se plaignent le ventre plein, qui font partir leur système d’alarme par accident, qui s’obstinent à être blanc comme neige, même lorsqu’ils sont pris la main dans le sac. 

Les rues se vident de leurs pires éléments... Les flics se calment, l’ordre est rétabli et les semelles de bottes ensanglantées pendant que dans le coeur des hommes gantés, le sang de police pompe à nouveau normalement. Nous sommes rassurés... 

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