Sang et Or

petisaintleu

En septembre, je ne dormais pas les deux premiers soirs qui précédaient la rentrée. Allais-je me retrouver dans la même classe que Jean-Christophe ? Je savais très bien que si nous étions séparés, notre amitié disparaîtrait tout aussi vite que ce qui nous avait lié depuis le CE1. Je pourrais alors dire adieu aux bâtons de Zan, aux colliers de bonbons et aux Roudoudous apportés dans un petit sac bleu, les mêmes que ma maman avait dans un placard de la salle de bain. J'espérais aussi ne pas me retrouver dans la classe de madame Vaillant. Les grands nous avaient dit que c'était une peau de vache. Elle n'avait cure de mai 68 et des nouvelles méthodes d'apprentissage. Elle en était restée aux bonne vieilles méthodes de dressage mais j'avais déjà les mêmes à la maison.

J'intégrai la classe de monsieur Hannequin. Un jeune maître qui avait le don de mettre tout le monde à l'aise. Ce qui ne l'empêchait pas d'être exigeant et de noter sévèrement.

J'avais depuis le CP des appréciations plus qu'honorables, me hissant presque invariablement à la troisième place. Hors, un jour, j'eu la mauvaise idée de revenir à la maison avec un 4/10. Il est vrai que je n'avais pas révisé dans Lisons Lisette ; j'avais préféré me plonger dans Tistou les pouces verts et regarder les facéties de Garcimore. J'étais donc arrivé décontrachté, mais sans Tic et Tac-Tac pour l'interrogation, sûr de pouvoir m'en sortir, comme d'habitude. Manque de bol, il apparut très vite que je ne maîtrisais pas du tout le vocabulaire proposé. J'avais beau dans ma tête me dire pouce et fermer très fort les paupières pour espérer changer mentalement les définitions demandées, rien n'y faisait.

Pendant une semaine, l'angoisse me tenaillait. Je pense que le soir où je rentrais pour faire signer ma copie fut le premier où une vague idée de fugue me saisit.

Heureusement pour moi, les dieux du stade me sauvèrent. Quand j'arrivai, mon papa avait déjà son blouson en cuir sur le dos et empestait l'eau de Cologne. J'avais oublié que c'était le derby Valenciennes-Lens, l'incontournable. Didier Six venait de rejoindre le chaudron pour y retrouver Dominique Leclercq.

Il jeta rapidement un œil pour me déclarer un « De toute manière, tu finiras éboueur ». Et je savais que la note serait vite oubliée ; la semaine s'écoulerait aux rythmes des commentaires sportifs. La seule de ma vie où j'ai dû aimer le foot.

Quelquefois, les mots peuvent être aussi cinglants que les coups. Et à quarante-cinq ans, je dois admettre le caractère prémonitoire de l'oracle. Cela fait vingt-cinq ans que je suis  condamné à faire les fonds de poubelles de ma boîte crânienne.

Signaler ce texte