Sans titre

eukaryot

Il se lève tôt, comme tous les matins. Après avoir longuement défroissé son corps, il se tend vertical, et décide que tout va bien.

La cafetière frissonne gentiment, alors que les volets s’ouvrent sur la cuisine. Elle se lève à son tour, cheveux en bataille, démarche titubante. Café, silence.

Sourires échangés, timides, alors qu’ils boivent doucement, yeux qui se croisent par dessus les bols. Il est déja habillé, les yeux encore collants de sommeil. Elle l’embrasse, distraite, puis il claque la porte.

Le téléphone sonne péremptoire, implacable. Elle ne répond pas, ne veut pas gâcher sa matinée. Elle retourne dans la chambre, et essaie de se rendormir, la musique de son casque l’isole dans une sphère foetale d’oubli. Elle dort.

Le téléphone sonne toujours. Elle se réveille, décroche enfin. Silence. Conséquences. Elle repose le téléphone, sans trembler, puis ses jambes ne la portent plus, et elle s’envole. Elle reste, flottante, un long moment, tout l’univers n’existe plus qu’en douleur. Elle reste là, la sueur sèche sur son front, ses cheveux collés, ses yeux inertes. Pas de larmes, pas encore. Une paix paralysée, une pétrification nécessaire. Le blindage s’arme pour l’à venir. Pas de réaction;

Elle va, d’un pas sûr, assuré, se faire un café. Elle s’habille sans trop y faire attention, ses mains automates parcourent les rayons de son armoire, enfile les tissus sans regarder. La clé sur la table basse, le paquet de clopes, il en reste deux, dont une retournée.

Ce détail la fait s’effondrer. Puissance du rite.


Elle écoute hagarde les explications. Le médecin en face d’elle ressemble beaucoup à Tintin. Pensée qui l’effleure alors que ses pleurs sillonnent ses joues de traces indélébiles. Elle jure, un instant, qu’elle ne rira plus. Sauf que c’est Tintin qui lui parle. Alors elle éclate de rire, au milieu du morbide, au milieu des fastidieux détails qui composent une mort violente.La pièce est petite, encombrée de dossiers, des vies entières en intercalaires de couleurs, d’un électrocardiogramme, et du plus petit bureau du monde. Juste au dehors, un arbre étale ses branches couleurs jusque sur le bureau. Flaques de soleil sur les murs et au sol, éclaboussés.

Un dernier regard, celui de l’identification. Lui dire au revoir. Moche. Récuperer, dans une petite plate de métal la bague et les souvenirs, le bracelet de lointaines vacances, le collier de sa mère. Mettre tout cela dans le sac, sans les regarder. Sans les regarder. Elle a déja assez coulé, ses joues piquent de sel, elle sent les yeux crier grâce. Elle ne pleurera plus. Autour d’elle, les couloirs infinis oranges étendent leur grâce curieuse, déploient le ballet des blouses obligatoirement blanches, dévoilent des théâtres de drame ou de victoire derrière chaque porte. Arrêt au toilettes. Elle jette la bague, le bracelet, le collier. Elle a décidé.

Trajet retour. Inerte. Chairs qui fluctuent autour d’elles, déja morts. Plus morts encore. Elle, vivante, respire.

Retour chez elle. Elle s’assoit sur le lit, allume une clope. Débranche le téléphone d’un geste vif, puis s’allonge. Plus rien. Silence. Et puis ce sont les odeurs, qui flottent. Les draps sentent encore le sexe. Elle se lève d’un bond, sentant le trop plein aux lèvres aux yeux. Elle ne pourra pas. Alors elle arrache. Tout. Les tableaux, les photos, ses ongles patinent contre les murs lisses, qu’elle voudrait peler, écorcher, découvrir la pulpe sanglante qui sous tend le monde, et la sentir palpiter entre ses doigts, sentir la vie lui échapper doucement, elle hurle maintenant, et ce sont les meubles qui frémissent de ce cri. Elle valdingue les feuilles, l’ordi sur le bureau, elle valdingue les albums, les bédés, les bouquins empilés , les bibelots souvenirs, tout ce qui attache, ce qui colle aux parois du crâne, qui attend de ressurgir au détour d’un coin d’oeil, d’un coup de tête.  Elle continue à hurler dans l’appartement déglingué. Ses hurlements ont couverts le passage à la cuisine, à la salle de bain. Bataille perdue d’avance contre le vide. Décollage. Elle s’effondre finalement pliée au milieu du salon, des feuilles, des lambeaux divers de leur deux vies, une seule.

Une seconde. Deux. Elle se relève, prend son gros sac de voyage, le bourre de tout ce qu’elle peut trouver. Puis, elle saisit une petite bouteille d’essence à briquet, fait un joli tas des décombres, l’arrose avec patience, et fout le feu. Elle ferme la porte. Plus.

Elle dévale l’hélice escalier, remontant l’ADN de sa mémoire à l’envers, le fil se dévide elle se défile, elle sort, cour, immeuble, rue, elle court, empreinte d’une énergie malsaine, qui lui vrille la poitrine, incapable de faire cesser le cisaillement de  ses jambes sur le bitume, elle bouscule, pousse, dévie, regards furieux, plus de larme parce qu’elle brûle, elle prend feu en pleine rue, toutes ses mitochondries en ébullition, tout son être se recompose, son métabolisme s’affole, sa structure prend un coup et recompose une nouvelle partition. Elle part.

Loin maintenant, une gare inconnue, une ville ignorée jusqu’ici. Tard.

La lumière joue à se disperser sur le plafond en flaques jaunes, les lampadaires tuent autant d’insectes que d’humain en cette lueur déja partie. Le quai est vide, elle est seule. Dans le hall, un vieux noir balaie, son uniforme comme punition, jaune, et gris. Sa clope bientôt finie à la bouche, il la regarde, et lui sourit. Elle répond. Collision d’âmes. La nuit précipite les êtres les uns contre les autres en sa boucle accelératrice. Comètes. Elle s’aperçoit alors qu’elle ne court plus. Epuisée, elle s’effondre sur un banc, alors que le vieux noir s’approche, s’assied à côté d’elle, et finit sa cigarette, la scrutant sans la regarder.

“Pardonnez-moi, dit elle, vous savez où je peux dormir cette nuit? Il faut que je dorme

-Vous revenez de loin, dit le vieux, ses dents abîmées de prophète jouant avec le mégot.”

Elle le regarde longtemps, étonnement profond invisible. Il la regarde avec une neutralité parfaite, son mégot termine de se consumer à ses lèvres sans qu’il y prête attention. Flottement.

“Mais…

-Epargne moi le baratin petite, t’as du pain sur la planche maintenant. C’est qu’on déconne pas avec la métaphysique, et tu viens de prendre un train à l’envers. Bon, pour que je t’explique. Tu te trouves à présent nul part, exactement.”

Il crache son mégot, pince la langue entre ses lèvres pour dégager les débris de tabac, et enfourne une seconde clope, allumée (allumée?) dans sa bouche.

Ma fille, à quoi ça sert de courir comme cela? T’as gagné quoi au fond, sinon perdre tes lambeaux? Rassemble, rassemble un peu, t’as du boulot”

Elle regarde, fascinée, ce vieux balayeur la prendre par la main des yeux, et l’emmener là où les sources coulaient, là où les origines nouaient doucement en trame les drames à venir, inhérents aux êtres, les histoires pas encore encre sechée, qui attendent l’oeil qui viendra les fixer.

Attentes diverses, elle attendait, et une averse dehors qui isolait le hall en un astéroide étanche fonçant droit dans le néant.

Silence. Le vieux a fini sa clope et sa pause, se relève péniblement en s’appuyant sur son balai, et puis se retourne ” dans ce merdier, ma fille, t’es seule. Ici et maintenant, nous sommes seuls. Essaie de sortir de la gare. Tu as détruit, détruis encore ce qui lambine, c’est une nouvelle roue pour toi. “

Elle se lève, maintenant terrorisée, serre son sac inutile, et fonce vers la baie vitrée qui laisse le néant à l’extérieur. Incapable. Les portes coulissantes coulissent, mais elle est infoutue de mettre un pied dehors, de faire le pas nécessaire, le dernier mouvement vers sa sortie. Sortie vers quoi au fait? Dehors, le grand rien s’étalait comme un grand rideau, voilant le reste de la scène.

Elle fait demi-tour.Le balayeur a disparu, et la gare prend une allure de fin du monde. Les bancs désolés, la buvette semble immémoriablement abandonnée, le guichet est muet et aveugle, et même la machine à café lance son mutisme autiste à sa face.

Elle fait alors le tour de la gare, s’approprier l’espace, le rendre moins étranger, donc menaçant. C’est alors qu’elle voit, au sol, des craies.

  D’escalier.

S’agenouille doucement, la présence des craies est de trop.

Elle les ramasse, les soupèse longtemps pour en jauger la réalité, pour s’assurer de leur présence, autant de la sienne. Elle joue avec un moment, palpe de ses doigts la texture désagréables des bâtons, puis, comme une enfant, commence à tracer au sol des lignes, pas encore dessins, premiers signes, premieres significations, l’oralite est superflue.

Elle retombe, s’allonge maintenant, le signe devient représentation, la représentation devient histoire, puis fresque, elle fait maintenant le tour de la gare, elle recouvre le sol de ses ésotérismes d’enfants, de mots qui n’appartiennent qu’à elle, un peu à lui.

Mumemememomi meme momie, mamie mimie , comme mémento, mantra murmuré, marmonné, et maudit un peu.

Les enfants sont des sorcières, l’adulte à peine doppelganger, écho d’incantation.  Les sortilèges juvéniles foudroient le monde de leurs volutes silencieuses idéales.

Elle dessine aussi, exorcisme, le vieux noir et son balai. Elle s’interrompt, se relève balbutiante genoux, et regarde. Et dehors, le néant s’est tranformé. Blanc. Attente. Silence bourdonnant, vibration, puis cataclysme, hurlement neigeux, crinquant, crépitement, crachats.

Autour d’elle, ni jour, ni la nuit, juste la présence naissante du blanc, qui la surveille.

Et en un dernier souffle, elle se lance dans le tout des couleurs, et retrouve enfin le sien. Accouchement dans l'inverse, mise en abîme de la naissance qui se regarde, il est là, attentif et souriant

  • Ce téléphone qui sonne et qu'on ignore, faute de pouvoir affronter, nier les sonneries et gagner des minutes avec elle vivante, ces dernières minutes qui nous ont échappé

    · Il y a environ 13 ans ·
    Banksyyyy orig

    hello-44

  • Etrange voyage intérieur, entre cauchemar et folie, une sensation de vertige blanc.

    · Il y a environ 13 ans ·
    Arbre orig

    pointedenis

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