Sapristi

Pierre Magne Comandu

Les éditions Casterman et et la société Kih-Oskh approuvent peut-être ce texte.


Dans mon enfance, un jour de voyage en vacances d'été, je me suis retrouvé l'oreille cassée. 


Pour faire court, nous étions alors un jour de 1969, l'année où on a marché sur la lune. Nous habitions en Bretagne, au bord de mer sur la baie de Morlaix, une maison rustique avec vue sur le phare de l'île Noire. La veille du départ, mon père était parti pêcher le maquereau, l'écrevisse et le crabe sur l'estran humide, devant l'estracade. Nul ne sait comment la pêche s'était déroulée, mais nous l'avons vu ma mère et moi, très vite courir vers l'évier de la cuisine, son doigt ensanglanté et le crabe au fond d'un seau, puis entendu hurler : « Putain, ça pique, arrose-moi ça vite avec l'eau froide pendant que le crabe aux pinces dort ! ». Nous avons ensuite enveloppé sa main dans une compresse, rose, aux odeurs asiatiques des fleurs du lotus bleu. Mon père a toujours été de ce genre d'irascibles, qui peuvent râler tout le jour d'être assis dans un fauteuil, moins contrariés par le fait qu'ils sont en train de ne rien faire que par la dureté dudit fauteuil qui pourrait être beaucoup plus confortable. Et c'est ainsi que, comme il le fait tous les jours les veilles de départ en vacances, celui dont le doigt ne cicatrise pas marmonne, dans sa barbe, que le temps ne fait rien à l'affaire, tourne, soliloque dans la solitude. Et, alors que ce même père, l'autre, suce son doigt et se garde bien de relativiser et d'être objectif, l'une, ma mère, fait la valise et mélange les vêtements et les marques au point de confondre les chaussures de la firme à Kenzo, les parfums de la collection à Armani, les chemises de la maison à Hugo Boss, et les bijoux de la caste à Fiore. Et voilà que ma mère une énième fois se demande si, tout compte fait, nous n'aurions pas mieux fait de prendre l'autocar au lieu de prendre le vol 714 pour Sydney depuis l'aéroport de Brest. Nous n'aurions fait escale ni au pays de l'or noir, ni au pays des Soviets, ni en Amérique, ni au Congo, ni au Tibet — quels détours de merde pour aller de la Bretagne à l'Australie ! — ; et surtout mon père, exaspéré de sa convalescence de la veille et de la longueur du voyage, ne l'aurait pas passé à me casser les oreilles.


Pour faire encore plus long, c'est une histoire rocambolesque et entreprendre sa narration amènerait à une constellation confuse d'étoiles mystérieuses, suivie d'un résultat aussi complexe que l'architecture du temple du soleil, ou que les cartes mystérieuses du trésor de Rackham le Rouge. Aussi, je n'ai absolument aucune raison de vous l'écrire, sinon la bonne grosse dose de coke en stock au pied du lit qui est à elle seule un argument suffisant d'essayer de vous faire lire à l'intérieur des sept boules de cristal. En plus de la coke, tirer un pétard sur les cigares du pharaon ne serait pas de refus, avant d'aborder ce long et périlleux délire : mais déjà vient la fin de mes capacités cérébrales, et les émanations de la coke font un effet qu'avant j'avais sous-estimé. Champignons ! Chiens qui parlent ! Château de Cheverny ! La houppette de Tintin ! Les anacoluthes et les zapotèques du capitaine Haddock ! Les licornes roses dans le ciel rouge ! Tout cela aura raison de mes méninges. La licorne me court après et me rattrape ! Vous attendrez un autre jour, avant que je ne rentre dans les détails de cette histoire et vous raconte enfin le secret de la licorne.


Sapristi. Cette histoire est aussi inachevée et aussi invraisemblable que Tintin et l'Alph-Art.

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